En quelques années, les livres de New Romance ont envahi les librairies et ont récupéré près de 7 % des parts de marché de l’édition. Mais qui sont ses lecteurs et ses lectrices, et pourquoi sont-ils devenus fans de ce genre de romans sentimentaux ? L’Éclaireur est allé à leur rencontre.
Signe de son immense popularité depuis quelques années, le genre de la New Romance va prochainement se doter d’une collection bien à lui chez Albin Michel, baptisée « Nox ». Nine Gorman, directrice de collection, souligne d’ailleurs que ce travail colossal est l’aboutissement d’un long processus éditorial pour choisir une douzaine de titres par an. Et ce à rebours des clichés autour de ce genre, qui le renverraient au roman de gare vite publié, vite lu et vite oublié. À l’image, en quelque sorte, des anciens romans sentimentaux aux couvertures un peu ringardes. Mais au fait, la New Romance, c’est quoi, et pourquoi cela fonctionne-t-il aussi bien ?
Un genre qui a gagné en popularité dans de nombreux pays
Audrey, 24 ans, qui prépare un master en édition, est une lectrice qui connaît parfaitement la question : elle rédige d’ailleurs un mémoire sur la place éditoriale de la New Romance en France. Pour elle, le sujet a émergé il y a une dizaine d’années. « La littérature sentimentale a toujours été un moteur éditorial. Mais ce qu’on range aujourd’hui sous l’étiquette de New Romance représente environ 7 % des ventes de livres dans le monde. […] Je dis environ, car on range beaucoup de choses sous cette étiquette qui a surgi vers 2014 ! »
Pour elle, il s’agit avant tout d’un ensemble de textes mettant des histoires d’amour en avant, mais s’étant à la fois affranchis du kitsch des « romans d’amour » à l’ancienne et du côté très gentillet, voire conformiste, de la « chick lit ». Une nouvelle génération d’auteurs, mais surtout d’autrices, qui ose parler frontalement de questions liées au sexe, au genre, mais aussi aux divorces, aux ruptures, aux violences conjugales ou aux nouvelles formes de couple.
« On résume trop souvent ces livres à “Harlequin rencontre 50 nuances de Grey”, mais c’est réducteur. Il s’agit de toute une vague de textes qui considère que la sexualité fait partie de la vie, que les héroïnes peuvent venir de nombreux milieux sociaux et familiaux, et surtout avoir de l’agentivité. C’est-à-dire qu’elles peuvent être fortes, vouloir à la fois l’amour et ne pas attendre béatement un prince charmant pour les épouser. C’est le reflet de ce que beaucoup de femmes vivent dans de nombreux pays ! »
Ce qui n’empêche pas ces romans de retomber (parfois lourdement) dans des clichés de genre ou des structures romanesques extrêmement classiques, mais, comme le souligne Hélène, une bibliothécaire de 48 ans : « Pas plus que la littérature généraliste, les polars ou la science-fiction. Simplement, là c’est une littérature “de femmes”, donc elle a mauvaise presse dans une société patriarcale ! » Un résumé pertinent, confirmé par Eugénie Marchinal, jeune chercheuse à l’Université de Louvain qui voit de possibles vertus « émancipatrices » et « transgressives » dans ces romans.
Des profils variés, qui diffèrent de ceux de la littérature sentimentale plus classique
Néanmoins, ce qui frappe en allant à la rencontre des lecteurs et des lectrices de New Romance, c’est la variété des profils rencontrés, loin de l’image de la « jeune femme urbaine de 18 à 35 ans » que l’on présente souvent comme son unique public type. Nous avons ainsi rencontré des lecteurs masculins, tels qu’Arthur, 39 ans, actuellement en reconversion dans les métiers du livre. « Ce qui me plaît vraiment dans la New Romance c’est les genres confondus, de l’imaginaire à l’historique en passant par des thèmes évoqués comme la musique, le domaine des sciences comme chez l’autrice Ali Hazelwood. Mais aussi les romances queers LGBTQIA+ proposées par des éditions comme Junio Publishing ou Reines de cœurs, bien loin des clichés qu’on pouvait avoir dans les années 2000 avec la chick lit ! »
Une impression confirmée par Amélie, informaticienne de 42 ans qui, si elle affirme que ce genre de lecture est souvent « un doudou » voire « un pyjama confortable », trouve aussi qu’il recèle quantité de titres extrêmement bien écrits, avec une tension dramatique remarquable et des styles affûtés. « Plusieurs livres de New Romance sont des livres bien écrits, bien construits, avec un bon rythme et bien documentés. C’est le cas de la série d’Amanda Bayle sur le rugby amateur, par exemple ! »
Des libraires constatent d’ailleurs que le lectorat s’est élargi ces dernières années, notamment grâce à des publications destinées aux adolescents. Une catégorie largement atteinte par les réseaux sociaux, où les autrices sont extrêmement présentes, mais aussi grâce au boost du Pass Culture. Cette somme forfaitaire versée depuis quelques années aux jeunes de 18 ans pour la consommation de biens culturels a fait pousser les portes des librairies à de nombreux adolescents qui ne les fréquentaient pas régulièrement… Et largement augmenté les ventes de certains titres New Romance.
Une impression confirmée par Audrey pendant ses recherches. « Le lectorat s’élargit vite et se masculinise un petit peu, et la presse [parfois condescendante à ce sujet] s’intéresse un peu plus au sujet comme l’a souligné la journaliste Albane Guichard du Huffington Post. En revanche, on a assisté aussi à une croissance parfois incontrôlée du marché, qui peut conduire des lectrices très jeunes à tomber sur des sous-genres réservés aux adultes, comme la Dark Romance, ce qui nécessite aussi d’avoir un peu de vigilance sur ce que lisent les adolescents. La New Romance a beaucoup de sous-catégories qui visent des publics très différents. Mais c’est pareil pour la fantasy, par exemple. On ne va pas conseiller La Compagnie noire, qui est très sombre et très macabre, et Harry Potter aux mêmes gens ! »
Un genre littéraire à la dimension sociale et communautaire
Ce qui frappe enfin dans la découverte de ce vaste lectorat, c’est la dimension communautaire extrêmement poussée de ce genre littéraire, où les barrières entre autrices, booktubeuses et lectrices peuvent parfois être ténues. Shaina, une jeune femme de 20 ans particulièrement fan des romans de Fleur Hana, nous décrit un quotidien fait de multiples interactions avec tout cet écosystème. « Beaucoup d’autrices sont sur TikTok et répondent aux fans, on suit l’actualité des sorties sur Instagram, on discute de nos lectures en cours sur des serveurs Discord ou des boucles de discussion sur WhatsApp… Je suis un peu dedans toute la journée ! »
Il faut dire que beaucoup de romancières du genre ont elles-mêmes émergé grâce à Internet, au sein de communautés de lectrices, comme Elle Séveno, qui s’est « construite sur Whattpad », une célèbre plateforme de partage de textes. Pour la documentaliste Perrine Chambaud, autrice d’une très longue étude sur le rapport du public des bibliothèques scolaires à la New Romance, cette dimension de réseau est presque constitutive du genre et pleinement embrassée par les éditeurs.
« Robert Laffont a lancé un concours de manuscrits de premier roman sur TikTok, et Hugo Publishing a également développé Fyctia en 2015, sa propre plateforme numérique gratuite d’écriture et de lecture de New Romance, romantasy, comédie romantique et thriller, avec l’idée de proposer un nouveau rapport entre auteurs, éditeurs et lecteurs. À travers des concours, l’éditeur peut rapidement repérer de jeunes auteurs prometteurs tout en évitant la lourdeur et la lenteur du circuit éditorial et des comités de lecture habituels. »
La plupart des lecteurs et des lectrices interviewées signalent d’ailleurs qu’une des particularités de ce genre littéraire (ou plutôt des genres regroupés sous cette bannière) est qu’il se revendique souvent comme une littérature qui n’a pas forcément vocation à changer le monde… Mais qui va bien souvent beaucoup plus loin que les clichés qu’on lui prête. Pour Veronicia, c’est même un point central. « Moi, je me suis fait beaucoup d’amies avec la New Romance, j’ai parlé à des autrices publiées, j’ai appris des choses sur le couple, j’ai commencé à aimer écrire mes propres textes dans mon coin, et surtout j’ai passé beaucoup de temps à lire et à en parler avec beaucoup de gens. »
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Un constat partagé par Audrey, qui voit l’évolution du secteur éditorial à ce sujet. « Au début, il y a eu une frénésie de publications, voire une forme d’anarchie. Maintenant, tous les grands éditeurs s’y mettent, structurent leurs communautés, mettent des signalétiques en place en fonction des sous-genres et des publics visés, créent des collections par tranche d’âge, ont leur catalogue d’auteurs. Autant de signes de normalisation de cette littérature et de leurs lecteurs et lectrices. » Bref, à mesure que le public s’élargit, il semble de plus en plus choyé par le secteur éditorial, et la New Romance semble avoir encore de très, très beaux jours devant elle !