Critique

Mon assassin : plongée dans l’atelier de Daniel Pennac

05 octobre 2024
Par Thomas Louis
Mon assassin : plongée dans l’atelier de Daniel Pennac
©Mantovani/Gallimard

À mi-chemin entre le récit autobiographique et l’atelier littéraire, Daniel Pennac revient avec Mon assassin sur l’incontournable saga Malaussène, qu’il a achevée l’année dernière avec Terminus Malaussène.

Les personnes qui n’ont pas lu ne serait-ce qu’un livre de la saga Malaussène se font de plus en plus rares. Et pour cause, de La Fée carabine à La Petite Marchande de prose, ce cycle romanesque fait partie des plus populaires en librairies. En 2023, l’auteur publiait le huitième et dernier tome de cette série, clôturant cette dernière avec quelques révélations fracassantes. 

« Les Malaussène sont nés au début des années 1980 dans la cave des Éditions Gallimard, sous la couvverture de la “Série noire”, dirigée alors par Robert Soulat et Christian Mounier. »   Daniel Pennac

Comment, alors, ne pas vouloir revenir sur ce qui débuta en 1985 avec Au bonheur des ogres ? Dans Mon assassin, Daniel Pennac se penche sur un personnage capital de l’œuvre, Pépère. Il nous raconte son enfance, créant ainsi des ponts entre le lecteur et lui, mais pas seulement. Chaque personnage (ou presque) est évoqué dans une forme de tourbillon inspirationnel. Un tourbillon qui n‘est pas sans faire écho à la réalité. Et c’est peut-être aussi de ça qu’il est question ici.  

Écrire les Malaussène

Car oui, Mon assassin est aussi un livre sur l’écrivain Pennac. Celui des Malaussène, mais aussi celui qui pense, qui perçoit le monde à travers son prisme. Très rapidement, il nous entraîne avec lui dans ce que l’on pourrait donc appeler son atelier, ses coulisses, et dévoile quelques éléments sur ce qui fait son travail, selon lui. C’est peut-être là le plus intéressant dans ce roman, pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore la saga Malaussène. C’est peut-être aussi ce qui fait de ce livre un livre à tiroirs.

Mon assassin

En effet, de page en page, on apprend qui se cache derrière chaque grand nom des huit livres. On découvre ainsi des personnes en chair et en os, de Robert Soulat à l’éditrice jeunesse Isabelle, en passant par JML (que l’on imagine aisément être Jean-Marie Laclavetine, éditeur chez Gallimard, et qui devint celui de Daniel Pennac). Tous ont pris part à la fiction de Pennac, à leur manière. Tous ont participé à faire de ce cycle romanesque une métaphore permanente.   

« Incarne-t-on l’ami dont on fait un personnage de roman ou le désincarne-t-on ? J’y réfléchirai. »   Daniel Pennac

C’est précisément ce qui amène l’auteur à réfléchir, avec nous, à ce concept nébuleux de personnage. Ce dernier est sans nul doute lié à l’imagination qui, parfois, capte mieux la réalité. Les personnages prennent la page, ils incarnent ensemble l’histoire, plus vrais que nature. Et la vie en devient presque décevante. Ou, du moins, pas assez grande.

La fiction contre la vie

Dans cette optique, les souvenirs viennent se mêler à la réflexion. Parfois, lorsqu’il est question d’expliquer la source d’une idée, Daniel Pennac tâtonne lui-même, il hésite, il se demande si, finalement, ce ne serait pas ceci ou plutôt cela. Il est dépassé par la fiction, et on adore ça.

Lui-même n’est-il pas satisfait de ces limites ? Au fond, Mon assassin pose presque plus de questions qu’il n’apporte d’éclaircissements sur une saga dont on peine à croire que Pennac la détesterait. Et au fond, cette approche de la diégétique n’est pas si singulière, mais elle a le mérite de toucher une œuvre populaire. C’est probablement ce qui en fait un cas intéressant ici.

« Je soupçonne une autre origine littéraire à la fureur assassine de Pépère. Encore un souvenir d’enfance. Et de lecture. »   Daniel Pennac

L’histoire littéraire a déjà expérimenté l’art de brouiller les frontières entre le tâtonnement de l’écrivain et la narration que le lecteur peut concrètement « lire » (pensons à Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino, où le processus de création littéraire intervient directement dans le récit). Et ici, Daniel Pennac se place une nouvelle fois comme un écrivain-lecteur, celui qui redécouvre, qui tente de découvrir ce qui l’a mené à tisser une toile aussi serrée. Mais le mystère a du bon, parfois.

Et si le livre est rempli de phrases éloquentes sur l’inspiration, l’écriture, quant à elle, reste ce qui fait qu’on reconnaît son auteur : expressive, orale, parfois joyeuse, pourquoi pas râleuse. Bref, du Pennac tout craché. Et au fond, on ne demande pas mieux. 

Mon assassin, de Daniel Pennac, Gallimard, 160 pages, 18 €, en librairie le 3 octobre.

À lire aussi

Article rédigé par
Sélection de produits