Entretien

Quentin Bajac pour Regards : « Une bonne image est une image qui conserve son caractère mystérieux »

03 octobre 2024
Par Lisa Muratore
Quentin Bajac pour Regards : "Une bonne image est une image qui conserve son caractère mystérieux"
©Marie Rouge

À l’occasion de la sortie de Regards – Un siècle de photographie, de Brassaï à Martin Parr, L’Éclaireur a rencontré son auteur, Quentin Bajac, afin de revenir sur cette nouvelle parution issue du fonds photographique de la Fnac, mais aussi évoquer son rapport au 8e art. Rencontre.

À l’occasion de son 70e anniversaire, la Fnac consacre un ouvrage inédit à son fonds photographique. Publié aux éditions Gallimard, Regards – Un siècle de photographie, de Brassaï à Martin Parr paraît ce 3 octobre en librairie. À cette occasion, L’Éclaireur a rencontré le conservateur de musée, historien de l’art français, et directeur du Jeu de Paume (qui souffle cette année ses 20 bougies), Quentin Bajac, qui signe la préface de ce beau livre événement.

Regards est enfin disponible. Que retenez-vous de cette expérience ?

Cette expérience a été un plaisir, plus qu’un challenge. Ça a été un plaisir de pouvoir participer à la formation de cet objet, en faisant non seulement la sélection mais aussi le chemin de fer, les découpages en chapitres, ces rapprochements ou ces associations d’images. J’ai vraiment conçu ce livre comme un tout. J’ai aussi bénéficié d’une grande liberté dans mes choix afin de constituer les chapitres et les thématiques.

Je connaissais assez mal l’histoire de la Fnac, donc j’ai moi-même découvert en écrivant la préface un certain nombre d’éléments. Je me suis aperçu, peut-être rétrospectivement, de l’importance de la politique photographique de la Fnac. Cette expérience m’a permis de repenser mon idée de l’enseigne et de réaliser à quel point elle avait été importante.

Luigi Ghirri

Luigi Ghirri. ©Luigi Ghirri / Collection photo Fnac / Eredi di Luigi Ghirri

C’est ce que je dis d’ailleurs dans la préface. Elle a été importante dans ma formation culturelle à travers les après-midi passés dans les magasins et notamment dans celui de Montparnasse, à Paris ! J’ai vu des expositions de photos là-bas et j’y ai passé beaucoup de temps dans ces années-là. Je voulais donc faire un petit clin d’œil à ce qui avait constitué pour moi, et je pense pour beaucoup de personnes de ma génération, un lieu de culture ; un réel accès à la culture.

On comprend que le chemin de fer a été établi en totale liberté, mais quel défi a-t-il représenté ?

Sa constitution n’a pas été évidente, car un certain nombre d’ouvrages avaient déjà été réalisés. Je ne voulais pas trop regarder ce qui avait déjà été fait pour essayer de ne pas être trop influencé. En réfléchissant au chemin de fer, à la structure du livre, j’ai essayé de faire en sorte qu’il ne soit pas bêtement thématique. Je ne voulais pas un découpage qui soit dominé par les genres, mais plutôt, chaque fois, faire jouer cette catégorie en y mélangeant des images. Je voulais mettre ensemble, par exemple, des genres qu’on n’associe pas toujours. Dans le neuvième chapitre du livre, je voulais une forme de conclusion qui ressemble à un feu d’artifice. Je n’ai bien sûr pas tout inventé, mais j’ai essayé de reprendre plusieurs catégories en jouant avec elles, en les détournant et en les faisant un peu dérailler.

À partir de
45€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Vous avez choisi les 250 photographies compilées dans le livre. Comment choisit-on la bonne image ?

C’était évidemment un choix difficile ! Il y en avait plus de 250 qui auraient bien évidemment pu figurer dans ce volume. J’ai vraiment travaillé au coup de cœur en m’interrogeant sur la bonne image. Que représente une bonne image ? Je pense que c’est une image qui, peut-être, ne s’explique pas seulement en mots, qui dépasse les explications textuelles qu’on pourra en donner et qui, d’une certaine manière, a un sens qui ne peut pas se réduire à une explication verbale, qui conserve toujours son caractère énigmatique, mystérieux et légèrement incompréhensible.

Quelle a été votre rencontre avec la photographie ? Quel rapport entretenez-vous avec elle ?

Les premières photographies qui m’ont passionné étaient des photographies qui n’appartiennent pas au domaine de l’art, car il s’agit de la photographie scientifique notamment de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, reliée aux rayons X. Ce sont des images qui ont été faites dans des cadres non artistiques. Puis, je me suis pris de passion pour les premiers grands photoreporters. À ce propos, le premier livre de photographie que j’ai acheté était un livre sur Robert Capa. Bien qu’il soit aujourd’hui considéré comme un artiste, ça n’a pas toujours été le cas !

Brassai

Brassaï. ©BrassaÏ / Collection photographique de la Fnac / Brassaï Succession

Avec ce livre, on se rend compte que la photographie dépasse l’art pour se faire le véritable témoin de l’histoire. Quel lien faites-vous entre la photographie et l’histoire ?

La photographie représente le chaînon manquant entre deux arts qui m’intéressent beaucoup : la peinture et le cinéma. Ce qui m’intéresse justement dans la photographie c’est que c’est une pratique artistique qui parvient à dépasser cette simple condition. Il y a un ancrage au réel qui reste beaucoup plus fort qu’avec le médium de la peinture ou celui du dessin. C’est un art, mais c’est aussi un fait culturel, un fait anthropologique qui ne peut pas seulement être limité à une pratique artistique. C’est d’ailleurs cela qui en fait sa richesse.

Pourquoi la sortie de ce livre est-elle importante ? Pourquoi est-ce le bon moment aujourd’hui pour publier cette compilation, selon vous ?

Je pense que c’est important de retracer aujourd’hui l’histoire de la Fnac, de cet accès à la culture à une époque où sa démocratisation reste toujours une question non résolue, et peut-être, d’ailleurs, qu’elle est encore plus importante aujourd’hui qu’il y a 40 ans. Bien sûr, il y a déjà eu beaucoup de projets autour de la collection, mais je pense que c’est bien aussi de le refaire aujourd’hui, car cet accès à la culture est toujours une vaste question. Peut-être aussi parce que la photographie sous sa forme la plus classique de tirage est en voie de disparition.

À lire aussi

Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste
Sélection de produits