Pas facile d’être parent et encore moins quand les émotions s’emmêlent et nous dépassent. C’est pourquoi Les émotions de Gaston d’Aurélie Chien Chow Chine, ont suscités un vif intérêt. Entre divertissement et sophrologie, ces petits livres aident l’enfant à mieux communiquer ses émotions et ainsi à mieux se comprendre.
1. Avant de vous tourner vers la sophrologie, vous étiez illustratrice. Quel a été le déclic pour suivre cette formation ? Était-ce clair dès le départ pour vous de mêler illustrations et sophrologie ?
Aurélie Chien Chow Chine: « Depuis petite, je savais que je voulais faire des livres pour enfants mais je n’avais jamais pris le temps ni l’occasion. Et avant d’être illustratice, j’avais travaillé pendant dix dans le dessin animé et le rythme était très intense, je ne me voyais pas continuer comme ça, rentrer tard tous les soirs. Et puis, j’ai eu ma fille et j’ai découvert la sophrologie via la préparation à l’accouchement et je me suis dit : « C’est super cet outil qui permet d’agir sur soi ! » alors j’ai pris une formation et le premier jour, j’ai tout de suite dis que c’était pour faire des livres pour enfants donc je savais déjà qu’il y avait cette notion d’outil pour eux. »
2. Comment est né Gaston la Licorne ?
« Une fois que j’ai fais ma formation pour être sophrologue, j’ai voulu pratiquer, donc je me suis autant occupée d’enfants que d’adultes, en cabinet et à domicile. Puis, je me suis dit que ça serait intéressant de faire des exercices en groupe. J’ai proposé mon projet à la maîtresse de petite section de ma fille et elle a tout de suite été emballée : « Oh oui, oui, super ! Vous commencez vendredi ! » À ce moment-là, je me suis dit : « Olalalala, il ne me reste plus qu’une semaine pour mettre en place les ateliers ! »
Pour les enfants, il fallait absolument que je leur dessine quelque chose, je ne pouvais pas arriver avec des concepts. Je voulais vraiment leur montrer par l’image ! Alors j’ai cherché un personnage, il fallait qu’il soit magique, et j’ai pensé à la licorne avec son changement de couleurs. En une semaine, le concept est né et j’ai testé Gaston tout de suite avec les enfants ! Quatre mois plus tard, j’ai proposé le projet de livre. »
3. Qu’est-ce que la sophrologie ?
« La sophrologie est une méthode psycho-corporelle, ça veut dire qu’on va partir du principe que le mental et le corps sont liés. Et il est vrai que souvent on dissocie les deux. Par exemple, si on a mal au ventre, on ne va pas forcément penser que ça vient de quelque chose de psychologique et donc, en sophrologie, on va essayer de réunir un petit peu tout ça et de se dire que si on a mal au ventre, c’est peut-être parce qu’on est stressé.
D’ailleurs, la sophrologie joue énormément sur les émotions. On est vraiment dans l’introspection et à l’écoute de ses ressentis, de ses pensées, tout en essayant de pallier les petits maux physique ou mentaux avec un mélange de respiration, de relâchement musculaire (dans les exercices, quand je dis : « On bloque sa respiration et après on relâche », c’est la décontraction musculaire).
Et puis, on travaille aussi avec la visualisation. Ça, avec les enfants ça marche super bien parce qu’ils partent tout de suite dans l’imagination, ça leur parle énormément ! C’est notamment pour ça que je voulais vraiment leur dessiner tous ces outils pour qu’ils comprennent et qu’ils puissent partir facilement dans des images. »
4. Comment apprendre à son enfant à bien respirer ?
« On sait que pour vivre, il faut manger, boire, dormir mais on ne fait pas assez attention à la respiration alors qu’en fait, elle est là partout. Et si on arrive à bien gérer sa respiration déjà simplement, en respirant dix fois, on arrive à réinstaurer le calme. En grandissant, on oublie la respiration ventrale alors que quand on est bébé, c’est notre première respiration. C’est cette respiration qui permet vraiment de se décontracter et mais en grandissant, on va nous dire : « Rentre ton ventre, tiens-toi droit(e) »… Alors j’essaie de les ramener à cette respiration ventrale.
Avec les enfants, avant de faire l’exercice de sophrologie à l’émotion, je leur fais toujours respirer calmement plusieurs fois, c’est physiologique, rien que de respirer normalement, ça détend. Et pour l’expliquer aux enfants, c’est très simple : il faut les faire participer ! C’est vraiment très utile parce qu’ils deviennent acteurs. Je leur demande : « Qu’est-ce qu’on fait rentrer dans notre corps ? », et là tout le monde me répond : « De l’air ». Et là, je continue en leur disant : « En sophro, souvent, on respire par le nez », et ils répondent avec moi : « On gonfle son ventre (ne pas hésiter à mimer) et après on souffle par la bouche. »
J’aime aussi beaucoup leur expliquer que s’il faut faire attention aux arbres et à planète, c’est parce que ce sont les arbres qui vont créer l’oxygène qu’on respire. Cela leur permet alors d’être sensibilisés à l’importance de la nature et l’environnement. »
5. Est-ce plus difficile de faire de la sophrologie avec un enfant qu’un adulte ?
« Ce n’est pas plus difficile, ce sont deux défis différents ! Les adultes vont être très disciplinés et vont tout de suite bien mettre en place le petit protocole, bien écouter, bien faire les exercices. Par contre, ils vont avoir énormément de mal à lâcher prise : une fois qu’ils seront dans l’exercice, ils vont avoir des pensées parasites, parce que c’est normal, on a nos soucis, mais du coup, il y a plus de filtres et de retenus chez eux. Alors que l’enfant, c’est un autre défi, il faut arriver à le captiver, à l’intéresser, à ce qu’il comprenne le sens de ce qu’on fait ! Cependant, une fois qu’ils ont compris l’intérêt des exercices, ils rentrent tout de suite dedans, ils lâchent complètement, il n’y a aucun filtre, ils partent super loin. Des fois, j’en ai qui s’endorment, qui vivent des aventures, parce que après je leur fais travailler l’imagination. Ce n’est pas le même défi mais les deux sont très intéressants ! »
6. Comment un parents peut-il accompagner son enfant devant une émotion ?
« Pour moi, c’est vraiment subjectif, il faut s’adapter à son enfant et voir comment il réagit. Il y a des enfants qui vont avoir besoin d’en parler tout de suite, d’autres d’en parler plus tard. Par contre, il faut arriver à en discuter à un moment et notamment en mettant en place un petit rituel personnel. C’est vraiment important de ne pas laisser l’enfant vivre son émotion tout seul, sinon elle restera enfouie et ne ressortira peut-être pas de la bonne manière !
Mettre en place des codes, ça va permettre de dédramatiser le côté « colère », qui nomme tout de suite l’émotion. Il faut évitez de dire tout de suite à un enfant : « Ah bah tu es vexé, tu boudes ». Des fois, ça ne va pas du tout arranger les choses ! Avec ma fille, quand je vois que ça ne va pas, on parle en météo : « Tu es plutôt nuage ou soleil ? », « Je suis plutôt nuage de pluie… » Ce procédé permet de rester dans l’émotion mais sur un chemin parallèle, de ne pas mettre tout de suite le doigt là où ça fait mal.
Chacun peut choisir son code et ses rituels : la météo, les couleurs, les mimes, le dessin. Si l’enfant n’a pas envie de parler, il peut dessiner son émotion, sa couleur, ou encore ce qui l’a rendu content, pas content, triste. Mais c’est vraiment propre à chaque famille et chaque enfant… Même dans une fratrie, les enfants ne vont pas réagir de la même manière. Ma mère me disait toujours : « Il n’y a pas de mode d’emploi pour les enfants ! » Et c’est vrai, il faut réussir à s’adapter à chaque enfant et trouver ce qui conviendra au mieux. »
7. Pourquoi la visualisation est importante ?
« La visualisation c’est paradoxale mais ça permet à l’enfant de voir concrètement ce qui se passe en lui. Même si c’est de l’imaginaire, au moins, il met une image (soit une couleur, une météo, un visage, il peut voir l’intérieur de lui, un sourire ou des choses comme ça). Ça va lui permettre de comprendre davantage ce qui se passe en lui que de simplement lui dire des mots tels que « la colère », « la culpabilité »… Qu’il ne va peut-être pas comprendre tout de suite car c’est conceptuel. Il y a vraiment ce côté introspection : apprendre à s’écouter, à se comprendre et à voir ce qu’on ressent. »
8. Il faut stimuler l’enfant avec des jeux ludiques. Quels types de jeux les parents peuvent-ils reproduire à la maison ?
« C’est vrai qu’il y a un côté ludique pour captiver l’enfant, dédramatiser ce côté « émotions ». D’où l’importance de mettre en place des rituels. Je trouve que c’est vraiment important que les parents participent en faisant avec l’enfant, ça montre qu’il n’est pas tout seul, qu’on peut le faire à plusieurs.
Ça peut être un jeu d’apprendre à respirer. Dessiner aussi, ça peut être sympa de le faire à plusieurs, de reconnaître : ça peut être l’enfant qui dessine son émotion et le parent doit la reconnaître ! Il y a vraiment plein de choses à faire. Mais c’est important de captiver l’enfant par un aspect enfantin, ludique et vraiment imagé. Pour les enfants, ça facilite grandement la communication. »
9. Il y a une différence entre exprimer son émotion et agir sur le coup de celle-ci. Est-il toujours mauvais d’agir sur le coup de l’émotion ?
« J’explique aux enfants qu’une émotion, on ne la choisit pas. On ne décide pas d’être triste, en colère, vexé. En gros, c’est une situation donnée avec telle ou telle personne qui va déclencher une émotion. On va être pris par l’émotion comme une vague, et quand on est pris par l’émotion, c’est compliqué sur le moment. Je trouve que quand on arrive déjà à exprimer l’émotion, c’est qu’on a pris de la distance, du recul sur elle et il y a une énorme partie de faite.
Après, agir sur le coup de l’émotion, je ne dirais pas que c’est toujours mauvais parce que les émotions sont aussi des signaux de ce qu’on ressent. Si par exemple, on ressent quelque chose qui nous met en colère, c’est qu’il y a quelque chose qui ne nous convient pas, ça veut dire : « Bon bah là non, il faut faire quelque chose parce que tel que ça se passe comme ça, ça ne nous convient pas ! » Mais, je pense qu’il faut s’écouter même si pour les enfants ça peut être un peu compliqué, et c’est pour ça que nous, nous allons être là pour les accompagner et les guider. Mais en tant qu’adultes, je pense qu’il faut écouter son instinct et sa petite voix et de se dire que si là on est dans l’émotion et qu’on a envie de faire quelque chose, on sait si jamais ça va être constructif ou pas et dans ce cas-là, il faut ajuster. Il y a des choses qui sont importantes à faire sous l’émotion : déclarer son amour, aller faire un câlin spontanément, faire une bonne action. C’est vraiment très important d’écouter ses émotions, parce que, une fois que c’est passé, on n’ose plus le faire, on n’est plus dans l’émotion.
Donc c’est compliqué de faire une généralité et ça dépend des émotions et des situations. »
10. Quelle est la manière la plus saine d’exprimer ses émotions ?
« Ce n’est que mon avis mais exprimer ce qu’on ressent le plus simplement possible, c’est la manière la plus simple d’arriver à expliquer aux autres ce qu’on ressent. Parce que, quand on va trop essayer de faire en fonction des autres, des fois, ce n’est pas le bon message qui va passer. »
11. Pourquoi l’émotion et sa compréhension est essentielle à l’épanouissement de l’enfant ?
« C’est important que l’enfant puisse comprendre ce qu’il ressent parce que ça va permettre qu’il ne garde pas en lui des choses qui vont le toucher. Les émotions, elles sont dans tous ce qu’on vit, elle nous construisent et même dans les souvenirs, dans ce que l’on accumule dans notre expérience… En fait, chaque expérience qu’on vit va créer une émotion et notre histoire est vraiment basée sur tout ce qu’on a accumulé donc c’est vrai que de parler des émotions ça va faire qu’on va les évacuer.
Même nous en tant qu’adultes, des fois on vit des choses qui vont être compliquées et le simple fait d’aller en parler à un ami, de vider son sac, ça va calmer cette émotion parce qu’on l’aura un peu évacuée en en parlant. C »est pour cela que c’est important important que l’enfant comprenne ce qu’il vit et ressent, pourquoi, et de comprendre aussi qu’une émotion ce n’est pas grave, on a le droit d’être en colère, d’avoir peur, d‘être triste… En fait, on est construit de tout ça, on a tous un équilibre d’émotions et c’est pour ça qu’avec Gaston, il est arc-en-ciel quand c’est normal, c’est qu’il ressent chacune des émotions à un dosage qui lui convient. L’enfant est construit d’émotions et il doit savoir que ce n’est pas grave. Et par contre, quand l’émotion devient gênante ou que ça l’ennuie, c’est important d’en parler, d’aller la chasser si elle n’est pas agréable ou au contraire, de la partager si ça lui fait du bien. »
12. Comment aider son enfant à reconnaître les émotions de base (colère, tristesse, joie…) ?
« C’est plus simple d’aider l’enfant à reconnaître une émotion par des exemples, des situations et aussi, en revenant sur ce qu’il s’est passé un peu plus tard, d’aller analyser en lui disant : « Tu as vu quand il s’est passé ça, tu as ressenti ça, c’était telle ou telle émotion. ». C’est aussi possible de lui montrer sur soi ou sur les autres, qu’il se rende compte des émotions des autres. Et de lui expliquer que les émotions, les adultes en ressentent aussi.
C’est vraiment ça que je voulais faire aussi avec les livres, ce côté où on fait un bilan émotionnel ensemble et que l’enfant comprenne que nous, les adultes, on ressent aussi des émotions et qu’elles sont liées entre les gens. Je prend encore une fois ma fille mais elle a six ans et je suis en plein dedans, quand on fait la météo avec Gaston ou pas, je lui demande comment elle se sent et instinctivement, généralement, les enfants vont demander : « Et toi, comment tu te sens ? » Et là c’est très facile de dire : « Si toi là tu es soleil, je suis soleil, si toi par contre, tu es un petit peu pluie, moi ça va aussi me créer aussi un nuage parce que tu n’es pas bien ! » Et c’est important d’expliquer aux enfants que les émotions se partagent, se provoquent et que, même parfois, ils sont responsables des émotions des autres. Et ça, en atelier, c’est chouette parce que eux, quand ils vont parler de leurs émotions, je leur demande : « Qu’est-ce qui provoque de la tristesse ? », et ils vont me dire : « Quand mon copain il m’a tapé » Et là aussi c’est très facile de lui dire : « Bah tu vois, ça t’a fais de la peine qu’on te tape mais ça veut dire que si toi aussi tu tapes quelqu’un, tu vas peut-être rendre quelqu’un triste et donc, tu vas être responsable de son émotion… ». L’enfant doit comprendre ce qui déclenche les émotions par les exemples, les situations. »
13. Comment enseigner des émotions plus complexes à son enfant (culpabilité, mélancolie…) ?
« De la même manière, avec les exemples ! Mais pour ça, je combine les émotions. Par exemple, on ressent de la culpabilité quand on a fait quelque chose de pas bien, on sait qu’on a fait une bêtise et on a un mélange d’émotions : de peur parce qu’on sait qu’on va peut-être se faire gronder, et en même temps on ressent de la tristesse parce qu’on sait que ce qu’on a fait ça va peut-être faire de la peine à quelqu’un.
Donc généralement j’essaie d’expliquer que souvent, il y a des émotions qui sont un mélange de plusieurs émotions dès qu’elles deviennent un peu compliquées, mais pareil, avec des exemples de ce qui déclenche l’émotion. »
14. Avez-vous des retours de votre communauté ?
« J’ai énormément de chance ! J’ai une communauté de petites lectrices et de petits lecteurs, de leurs parents, de leur famille…. J’ai énormément de retours, c’est incroyable ! Merci ! Je reçois tous les jours des messages des parents, je reçois des photos, des dessins, des témoignages, des vidéos… Et même des chansons de maîtresses qui ont créé des chansons avec Gaston.
J’ai vraiment des retours très bienveillants, pour me partager ce que ça a changé dans leurs vies et pour moi c’est génial parce que je sens tout de suite s’il y a eu tel ou tel impact, si ça a plu. J’ai aussi beaucoup de parents dont les enfants ont des troubles autistiques, qui m’expliquent que pour eux ça a pu mettre un autre dialogue, un autre langage, des codes. J’ai des parents qui créent même leurs outils avec leurs enfants !
Et j’ai aussi toute une communauté de maîtresses qui travaillent avec Gaston et qui font des choses formidables : des petites météos en peluches, des sacs, elles m’envoient des photos de Gaston qui voyage dans les familles… C’est super ! J’ai beaucoup de retours de tout le monde et c’est vraiment très très gentil, merci ! »
LES CONSEILS D’AURÉLIE
- Écouter ses ressentis et ses pensées.
- Apprendre à respirer calmement et à utiliser la respiration ventrale.
- Savoir lâcher prise.
- Créer des rituels personnels ludiques et enfantins : jeux, mimes, dessins, météo, couleurs, formes…
- Utiliser la visualisation pour communiquer sur les émotions
- Prendre en exemple les expériences du quotidien pour expliquer les émotions
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