Yann Queffélec, invité du Salon Fnac Livres 2019, partage avec nous sa vision de la littérature contemporaine et du rôle de l’auteur, ses premiers souvenirs d’écriture, de lecture et de publication. Entretien.
Quand avez-vous commencé à écrire ?
Yann Queffélec : J’ai l’impression d’avoir commencé à écrire avant même de savoir écrire, au moment où on me racontait des histoires et où j’en prenais goût, de même que je prenais goût à la force et à la douceur des mots. Il me semble que j’ai toujours été écrivain dans ma tête, dans ma vie quotidienne, dans ma rêverie. Dès que j’ai pu prendre la parole sur une page blanche, je me suis emparé de cette liberté.
Quels souvenirs gardez-vous de vos premières publications ?
Mes premières publications étaient de l’époque où j’étais pensionnaire et où j’animais quelques pages ronéotypées qui rendaient compte de la vie de la pension et qui donnaient l’occasion aux apprentis poètes et aux apprentis pamphlétaires de se lâcher. J’en garde un extraordinaire souvenir ! J’ai toujours eu l’impression que la chose imprimée était la chose la plus extraordinaire qui existait et que tout ce qui se vivait trouvait dans l’impression sa vérité. Pour moi, la vérité passe toujours par l’expression écrite des choses.
Comment l’idée d’un roman germe-t-elle en vous ?
C’est l’amour d’écrire qui me pousse à écrire un roman, l’amour des histoires, le fait de voir des semblables qui ne demandent qu’à s’émerveiller. Cet émerveillement, c’est un vivier pour l’inspiration ou, en tout cas, pour ce désir d’écriture du romancier. L’histoire vient en amont et également en écrivant le livre. Au fur et à mesure qu’on les forge en écrivant, les personnages nous surprennent… Et il est bon d’ailleurs qu’ils vous surprennent, qu’ils vous déconcertent, qu’ils s’habillent différemment de ce que vous aviez mis dans leur garde-robe au début du livre. Ils acquièrent une véritable nécessité humaine comme s’ils étaient de vrais gens et, à partir de là, ils sont capables de faire absolument n’importe quoi : de vous aimer, de vous détester, de se suicider en cours de route, de s’entretuer, de partir au bout du monde, de tomber amoureux… Ce sont des êtres libres.
Avez-vous une routine d’écriture ? Des habitudes ?
Pour un écrivain, c’est indispensable d’avoir une règle de vie dont il ne s’éloigne jamais. J’ai été très mauvais élève dans mes études et je suis devenu au contraire un élève extrêmement sérieux comme écrivain. Je me lève tôt, à 5h30, et à 6h je suis au travail, je n’ai pas besoin d’avoir beaucoup d’heures de sommeil donc, c’est bien, je me couche tard. J’essaie de vivre un petit peu entre temps mais dans l’ensemble je note que l’essentiel de mon temps est consacré à l’écriture et que c’est ainsi qu’un livre finit par s’échafauder, se forger, trouver son point d’achèvement. Il est indispensable pour l’auteur d’avoir un cérémonial d’écriture, ce que vous appelez une routine. Ce qui semble routinier, c’est la répétition systématique des choses et, sans cette répétition systématique, un livre ne se fait pas. C’est comme l’eau que l’on met à bouillir, si on enlève la casserole indéfiniment ça ne bouillira pas. En revanche, si on laisse la casserole sur le feu, là, on a toute chance qu’elle atteigne 100 degrés.
Avez-vous un roman en gestation, toujours en tête, que vous aimeriez bien écrire ?
Je pense que tout écrivain vous fera la réponse que je vais vous faire : bien évidemment ! Et il s’agit de mon meilleur livre ! C’est une gestation permanente et frustrante parce que ça n’est pas forcément le livre que vous avez en route, que vous aimez de manière schizophrénique avec la même force, la même ardeur. Si j’ai bien compris en écoutant le discours de votre lauréate, Bérengère Cournut, il faut consacrer au bouquin de sa vie et qu’on espère un jour avoir le temps d’écrire, 5 à 8 ans. Ça m’a vivement intéressé de penser qu’elle consacrait 8 ans de sa vie à l’écriture d’un roman. Il n’y a pas de doute, ce n’est pas trop, mais il faut les trouver les 8 ans !
Selon vous, quelle est le rôle de la littérature dans nos sociétés contemporaines ?
Pour moi, la littérature a un rôle essentiel dans nos sociétés occidentales. La vie se vit, se lit et s’écrit. Si on n’est pas dans cette triple appartenance à l’existence et au destin, on passe à côté de quelque chose. Ça n’est pas parce qu’on écrit qu’on devient forcément écrivain, mais c’est parce qu’on écrit – des lettres, des mails, des articles – et parce qu’on aime bien avoir une relation écrite avec la parole, que l’on comprendra mieux l’univers d’un écrivain, la musicalité de la langue française et l’imaginaire d’un auteur. Un monde sans littérature est un monde perdu.
Vous rappelez-vous de votre premier rapport à la littérature ?
Mon premier souvenir de lecture, c’est peut-être les nouvelles qu’écrivaient ma mère dans une revue qui s’appelait Cœurs vaillants. Elle n’était pas écrivain, mais elle aurait voulu l’être. Cependant, elle s’est dévouée à sa famille et son mari – qui lui était écrivain – et elle a laissé tomber ce talent qu’elle avait pour la chose écrite. Mais, tout de même, il y avait quelques nouvelles de sa main qui étaient parues dans une revue déjà très démodée à son époque et quand j’étais tombé dessus alors qu’elle les cachait dans son armoire à linge, j’avais eu le sentiment de mettre la main sur un trésor. Je me rappelle d’une de ses nouvelles – j’étais tout petit – qui s’appelait Le Gars du bois, et qui parlait d’un homme terrible dans une forêt qui faisait peur, terrifiait les enfants et faisait des mauvais coups. J’avais trouvé cette nouvelle absolument saisissante et peut-être que cela a renforcé chez moi cette envie de devenir, moi aussi, l’auteur de livres.
Qui seriez-vous si vous pouviez être un personnage de roman ?
Je serais moi-même, c’est-à-dire, quelqu’un coupé en deux entre son amour de l’écriture et de la page blanche, et son amour de la grande page bleue qui est l’océan que j’ai souhaité traverser à une époque de ma vie. Je n’ai pas eu l’occasion de le faire et, aujourd’hui, je suis à la fois dans cette tristesse de ne pas avoir fait le tour du monde sur un voilier et dans cette jubilation d’être devenu l’homme de la page blanche que j’essaie d’être honnêtement.
C’est un auteur américain qui est pour moi le plus grand auteur de toute l’histoire du roman : William Faulkner. Et pour le style, c’est Jacques Audiberti, un écrivain français dont personne ne parle aujourd’hui… C’est une aberration, une injustice totale. J’aime bien aussi les auteurs maudits qui sont extrêmement grands, mais grands de leur côté, sans que personne ne s’en rende compte. Et je n’ai de cesse de réhabiliter Jacques Audiberti en recommandant la lecture de son roman Le Maître de Milan où il met en scène les amours du gouverneur d’une ville d’Italie et de la nièce muette de sa secrétaire. C’est un très grand roman d’amour et une très belle réflexion sur l’homme, la femme et la société.
Avez-vous un conseil de lecture pour quelqu’un qui lit très peu, voire jamais ?
Je l’enverrai peut-être vers Soie d’Alessandro Barrico, parce que, là aussi, c’est une très belle histoire d’amour et, en même temps, c’est beaucoup d’imaginaire autour du monde avec une écriture extrêmement simple, italienne, où l’on retrouve dans la traduction bien faite tout ce qu’on peut attendre de la phrase française, autant dans sa douceur que dans sa force, dans son second degré, dans sa dérision. J’aime énormément ce roman. Pour un lecteur un tout petit peu plus amateur de sensation forte, je l’enverrai vers Légendes d’automne, Une vengeance, L’homme qui dansait sa vie de Jim Harrison parce que c’est extrêmement puissant, d’une violence incroyable et la société a besoin de retrouver cette violence à l’écriture, dépassée par la beauté des mots, sublimée par eux et le sens de l’humour.
Si vous pouviez dîner avec un auteur, qui serait-ce ?
Je souhaiterais dîner avec William Styron avec qui j’ai déjà déjeuné lorsqu’il a publié Le Choix de Sophie. J’avais été époustouflé par le discours de cet homme sur la littérature, sur la vie, sur les femmes… Tout ce que peuvent se dire deux hommes et deux écrivains lorsqu’ils sont ensemble. Il est devenu fou après avoir écrit Le Choix de Sophie ! Il est pratiquement tombé raide mort dans la rue, en plein Paris, à côté de son attachée de presse. Ensuite, il a écrit Face aux ténèbres, car il était allé trop loin dans l’écriture du Choix de Sophie – qui est d’ailleurs l‘un des plus beaux romans jamais écrit. Ça m’a beaucoup intéressé lorsqu’il m’en avait parlé parce que, quand on va trop loin dans l’écriture d’un livre, on traverse non seulement le miroir, mais on traverse tous les miroirs qui nous protègent, qui nous défendent contre l’écriture même. On peut entrer dans une véritable folie dont on ne revient pas ! C’est ce qui lui est arrivé parce que, s’il a écrit Face aux ténèbres après Le Choix de Sophie, il n’a plus pu écrire un seul roman ensuite et je ne voudrais pas en arriver là.
Avez-vous une citation préférée ?
C’est une citation que ma mère me disait lorsque j’étais petit, je la cite souvent et donc pardon à ceux qui l’ont déjà entendu : « Aime et fais ce que tu veux » . Cela voulait dire qu’avec cette règle de vie je pouvais absolument tout me permettre… Mais ce n’est pas simple.
Question un peu difficile : pourquoi écrire ? Pourquoi lire ?
Mais ce n’est pas du tout une question difficile, c’est même très simple : il n’y a aucune réponse ! Il n’y a aucun « pourquoi », aucun « parce que » ! Ça c’est la logique française qui veut absolument mettre des « pourquoi » et des « parce que », c’est totalement irrationnel. On le fait parce qu’on le fait, un point c’est tout.
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Aller + loin : Discussion avec Alejandro Jodorowski autour de la création et de l’imagination