Les NFT ont révolutionné le monde de la culture, et plus particulièrement celui de l’art. Devenus le nouveau terrain de jeu des artistes, ces jetons numériques sont cependant décriés pour plusieurs raisons. Explications.
Les NFT viennent d’intégrer le dictionnaire Larousse. Une nouvelle reconnaissance pour l’acronyme anglais de « non fongible token », qui ne cesse de bouleverser notre société. Les NFT sont des certificats numériques infalsifiables qui attestent de l’authenticité d’une photographie, d’une vidéo, d’une composition musicale, d’un gif et même… d’un tweet. Leur principe est étroitement lié à la blockchain et à la cryptomonnaie, notamment via la plateforme Ethereum. Depuis 2020, ces jetons virtuels représentent une véritable révolution numérique qui investit autant l’univers du divertissement que celui de la culture.
Pour le directeur général de Sotheby’s, Sebastian Fahey, les NFT représentent d’ailleurs « l’innovation la plus influente et excitante qu’ait connue le monde de l’art ces dix dernières années ». Un constat qui interroge aujourd’hui, alors que les NFT bousculent les codes traditionnels du secteur, entre ouverture et dérives.
Les NFT révolutionnent les contours de l’art
Ils sont partout. Si les réseaux sociaux comme Instagram s’y attaquent, avant cela, plusieurs secteurs de la culture comme le cinéma, la musique ou la mode ont cédé à leur appel. C’est notamment le cas du groupe Kings of Leon, pour la promotion de son dernier album, de Martin Scorsese pour le financement de son film A Wing and a Prayer, ou encore de la marque de vêtements Gap.
Mais ces domaines ne sont en réalité que la continuité de ce que ces nouvelles technologies produisent aujourd’hui dans le monde de l’art. Ce dernier apparaît en effet comme le domaine privilégié dans lequel ont pu s’installer les NFT. Comment oublier Everydays: the First 5000 Days, l’œuvre virtuelle créée par Beeple, vendue à 69,3 millions de dollars ?
En 2021, cette transaction a attiré l’attention sur un phénomène présent depuis 2015, mais alors relativement peu connu du grand public. Elle a surtout changé la donne pour le secteur de l’art, qui a vu ses codes traditionnels évoluer, que ce soit pour la validation d’une œuvre, la démocratisation de son financement, sa marchandisation ou encore sa transmission.
Les NFT influencent également la logistique de l’art. D’une part, « car il n’y a plus besoin de réunir les œuvres pour une vente, il n’y a plus besoin de les transporter, les transactions sont instantanées et se font souvent de collectionneur à collectionneur », décrit Jean Minguet, directeur du département d’économétrie d’Artprice. D’autre part, parce que les NFT investissent les espaces classiques de promotion de l’art. Par exemple, le Museum of Crypto Art (MoCA) a ouvert à Paris en décembre 2021, pour fêter ses trois ans de création dans le metaverse. Des musées comme La Maison électronique de Bâle cherchent également à acquérir des NFT pour les exposer, tandis que ces jetons pourront désormais être vendus aux enchères en France, pour des raisons autres qu’associatives.
Les NFT : une nouvelle plateforme pour l’art et les artistes
Un nouveau marché de l’art émerge. Au-delà de ces enchères aux prix astronomiques, il existe également un marché de NFT accessible à une plus vaste audience. Là où l’art contemporain est souvent réservé à une poignée d’experts, les NFT permettent de bousculer le modèle élitiste et de le décentraliser.
De ce fait, le nombre de collectionneurs va se démultiplier, pour aussi rajeunir, une large partie des millenials s’intéressant au phénomène aujourd’hui. Cette nouvelle génération peut porter de nouveaux artistes, ainsi que des créateurs émergents qui, depuis, trouvent dans les NFT un moyen de vivre de leur passion. Ces objets non fongibles permettraient d’ailleurs de rompre certaines inégalités qui régnaient dans le milieu en offrant une meilleure représentation aux jeunes artistes, ainsi qu’aux femmes artistes.
Ces jetons numériques représentent aussi un nouveau terrain d’exploration pour les artistes, qui peuvent proposer des créations inédites, au-delà des limites du monde physique. Le cas du street art est particulièrement intéressant. Les NFT permettent de le sauvegarder et de dépasser son aspect éphémère. Les supports créatifs évoluent eux aussi et les NFT sont le moyen idéal pour posséder des performances et des installations artistiques. Par exemple, l’artiste Alexa Meade crée des peintures 3D en utilisant des modèles dans des espaces physiques.
On voit aussi que les NFT donnent une nouvelle vie à certaines œuvres. C’est le cas de Bunnyman, dont la statue, créée il y a 30 ans par Max Grüter, est désormais disponible sous forme de NFT. Autant d’exemples qui montrent que les token ont un rôle déterminant à jouer dans la culture et l’art, notamment en termes de représentation.
Les NFT dans l’art et leurs dérives
Cette diversité a toutefois un prix et présente plusieurs inconvénients. Ce qui intéresse en premier lieu les consommateurs de NFT, c’est l’argent – pas l’art. Les créateurs de Monetized Graphics (l’ancêtre de ces fameux jetons numériques), l’entrepreneur Anil Dash et l’artiste numérique Kevin McCoy, l’ont vite compris en 2015. Le premier avait d’ailleurs confié dans les colonnes de The Atlantic : « En concevant une technologie dédiée à un usage artistique, McCoy et moi pensions l’empêcher de devenir un outil d’exploitation de la créativité. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Notre rêve de donner plus de pouvoir aux artistes n’a jamais vu le jour et a laissé place à une hype commerciale exploitable. »
Il est vrai que la protection de l’artiste ressemble à une utopie et peut se révéler lourde de conséquences, autant pour eux que pour les plateformes de vente de NFT. C’est le cas d’OpenSea, victime d’une attaque de phishing, durant laquelle un utilisateur malveillant a volé une centaine de NFT, dont l’œuvre Bored Ape Yacht Club (BAYC) de Timothy McKimmy. Ce n’est pas la première fois qu’OpenSea est dans la tourmente : la plateforme a également été au cœur d’une affaire de plagiat. Elle n’a pas mis en place les mesures nécessaires pour prévenir la contrefaçon des NFT et a été accusée de favoriser le vol d’une forme d’art virtuel. Un principe qui contrevient à la propriété intellectuelle et qui témoigne de la législation encore balbutiante autour des jetons numériques.
Sans passer par ces plateformes liées à la blockchain, plusieurs artistes ont vu leur droit à la propriété intellectuelle bafoué. C’est le cas de Liam Sharp, un auteur de comics, qui a menacé de clôturer son compte Deviant Art car ses œuvres étaient régulièrement reprises pour être converties en NFT.
Face à cela, un mouvement anti-NFT se mobilise et tente de dissuader les pro-jetons de s’éloigner de cette pratique. Son cheval de bataille : prouver que le crypto-art est trop volatil, et répond à un système de monétisation pyramidale.
Mais ce n’est pas le seul grief que l’on pointe concernant les dérives des NFT. De nos jours, et bien que ces jetons drainent de nouveaux consommateurs en matière d’art et de culture, force est de constater que c’est encore une technologie inaccessible au grand public, chez qui l’usage des cryptomonnaies est encore limité.
Enfin, du point de vue de la culture, les NFT posent la question de son avenir, mais aussi de la définition de l’art. Avec les possibilités infinies qu’ils offrent, que ce soit en termes de peinture, de vidéo ou de musique, il semblerait que tout soit susceptible de devenir de l’art et de la culture. Or, la fabrication d’un tweet n’est peut-être pas comparable à une image créée par un artiste et cela risque plus globalement d’écorcher l’unicité d’une œuvre.
Sans même parler de l’impact environnemental catastrophique que représentent les NFT, plusieurs dérives existent donc. Bien qu’ils bousculent les codes traditionnels de l’art, les NFT ne sont pas pour autant synonymes de garantie. Une ambivalence que chaque technologie possède, certes, mais qui, dans le cas de ces jetons numériques, mérite d’être correctement explorée, afin de préserver une culture dense, variée, mais aussi respectueuse des artistes et de leur travail.