Les vampires ont toujours eu une place de choix dans l’univers du divertissement, lequel s’est à de nombreuses reprises emparé de ce mythe aussi ténébreux que sexy, au point de le décliner avec frénésie et imagination.
Le vampire est une figure aussi complexe que plurielle. Ce monstre des Carpates a d’abord été au cœur de la littérature : les premières traces se trouvent au XVIIIe siècle, puis il est introduit dans l’imaginaire collectif par le roman fantastique Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu, en 1872. Mais tout ça, c’est avant que Bram Stoker ne débarque, 25 ans plus tard, avec son fameux Dracula.
Ce dernier est considéré comme l’œuvre majeure qui a rendu le buveur de sang célèbre. À travers la complexité de son personnage, sa psychologie, ainsi que les thèmes qu’il aborde, le livre a réellement contribué à faire du comte de Transylvanie, et plus largement du vampire, un mythe moderne que le cinéma et les séries ont par la suite démocratisé.
De F. W. Murnau avec Nosferatu à Francis Ford Coppola avec Dracula, en passant par Entretien avec un Vampire de Neil Jordan ou Buffy Contre les Vampires, le monde du divertissement a su offrir à ces créatures une place de choix dans la pop culture.
Aujourd’hui, la figure du vampire semble s’être invitée dans tous les genres. Film d’horreur et d’épouvante, comédie ou même univers des super-héros, elle a envahi nos écrans, plusieurs projets ayant bousculé les codes initiaux et réinventé son image au fil des décennies.
De Nosferatu aux vampires contemporains
La littérature du XIXe siècle a inspiré les premières adaptations cinématographiques, comme Nosferatu le vampire, sortie en 1922 et tirée du roman de Bram Stoker. Le film suit les codes basiques attribués aux vampires qui sont aujourd’hui devenus des clichés, comme la cape, les dents acérées, l’allure terrifiante d’un personnage qui craint l’eau bénite, les gousses d’ail, la lumière et les pieux en bois. On retrouve d’ailleurs des mécanismes similaires dans les différentes adaptations portées par Christopher Lee dans le rôle de Dracula, entre 1958 et 1976, bien que l’apparence de ces personnages soit différente.
Entre-temps, Roman Polanski déconstruit ces codes pour mieux s’en moquer dans sa comédie horrifique Le Bal des vampires. Le long-métrage réalisé en 1967 représente la première déconstruction du mythe classique du vampire. Or, il faut attendre les années 1990 pour que l’image de cette créature évolue considérablement et s’adapte à la société contemporaine.
En effet, en 1987 sortent Aux Frontières de l’aube et Génération perdue, deux œuvres qui relancent l’intérêt pour les films sur les vampires. Mais c’est Francis Ford Coppola qui offre l’une des adaptations les plus fidèles du roman de Bram Stoker en 1992 avec son Dracula, et relance la vampire-mania. L’œuvre du réalisateur fait preuve d’une singularité étonnante pour son époque, les adaptations sur les vampires étant davantage destinées, vers la fin du XXe siècle, à s’inscrire dans le réel et le présent. C’est le cas notamment d’Entretien avec un vampire (1994) inspiré du roman d’Anne Rice, de la franchise Blade portée par Wesley Snipes, ou de la série culte Buffy contre les vampires.
Le vampire en tant que symbole d’humanité
Outre les longs-métrages, la modernisation et l’internationalisation du mythe passent également par les séries. Les vampires ne sont plus uniquement perçus comme des sujets de cinéma, ils investissent également le petit écran. Le phénomène va générer une véritable pop culture autour des buveurs de sang à partir de 1997, qui va passer notamment par une humanisation du vampire.
On voyait déjà une part d’humanité en 1994 avec Entretien avec un vampire, dans lequel le personnage de Brad Pitt apparaissait sous les traits d’une créature torturée. Cette appréhension est davantage mise en avant avec Blade, dans lequel Eric Brooks est un monstre hybride, mi-vampire, mi-humain. Elle est également manifeste à travers les personnages d’Angel et de Spike qui assistent Buffy dans sa lutte, avant que le premier bénéficie de sa propre série spin-off entre 1999 et 2004.
Cette humanité passe également par l’intégration des vampires dans la vie des humains. True Blood et Vampire Diaries en sont les exemples phares. Dans la première, une boisson de sang synthétique permet aux vampires de prétendre à une vie normale et, dans la seconde, les frères Salvatore vivent parmi les habitants de Mystic Falls, petite ville des États-Unis. Même constat dans le phénomène Twilight où les Cullen, une bande d’adolescents, tentent de se fondre dans le paysage brumeux de Forks.
Les thèmes abordés sont également un symbole d’humanité dans l’univers fantastique des vampires. Par exemple, Buffy représente une métaphore des peurs et des angoisses que les adolescents doivent affronter pour devenir adultes, et que les jeunes adultes doivent surmonter pour mener leur vie. Dans True Blood, les vampires sont assimilés à une minorité qui tente d’obtenir l’égalité des droits face aux humains.
Plus que des enjeux et des péripéties surnaturelles, les adaptations sur les vampires se font donc le reflet de métaphores liées aux angoisses existentielles et aux problématiques contemporaines de la jeunesse. La sexualité ainsi que le désir amoureux sont souvent associés au vampire et à son univers. On ne compte plus les romances faisant tour à tour de ce monstre un objet de fantasme et un héros romantique.
Entre objet de fantasme et héros romantique
Car, ne l’oublions pas, à l’origine, le vampire était un monstre. Pourtant, le cinéma et les séries ont modelé son image pour en faire finalement l’incarnation de la transgression sexuelle. Dès les années 1930, il est présenté comme un être raffiné et ténébreux, s’emparant du corps des femmes. On le voit avec Bela Lugosi dans Dracula de Tod Browning (1931). Plus tard, Christopher Lee offre une interprétation aussi envoûtante que virile au Comte de Transylvanie. La morsure du vampire est une allégorie de la perte de la virginité, dont le but est de critiquer les normes puritaines.
C’est notamment en raison de cette image que le vampire devient, à partir des années 1970, l’égérie de la libération sexuelle. Ses codes sont même repris dans les films érotiques et vont bouleverser la norme hétérosexuelle. Ils vont ensuite être repris par divers mouvements féministes et queers, inspirés de la romance lesbienne de Carmilla. Une décennie plus tard, les considérations du sida ou encore celles de la puberté et de l’éveil sexuel, seront abordées dans des films comme Génération Perdue (1987) ou The Addiction (1995).
Le vampire permet de briser les tabous, mais aussi le modèle familial classique, en témoigne l’adoption de Claudia (Kirsten Dunst) par le duo Brad Pitt et Tom Cruise dans Entretien avec un vampire.
À partir des années 1990, les proies sont de plus en plus sexualisées. On pense à Grace Jones dans Vamp, ou encore à Salma Hayek dans Une Nuit en Enfer. Par ailleurs, le rôle des femmes ne se cantonne pas à celui de simple victime. La vampire existe aussi dans la franchise Underworld inaugurée en 2003, dans le rôle de Catherine dans la série Vampire Diaries ou, plus récemment, dans la série française Vampires, sortie sur Netflix en 2020.
Les années 1990 sont également marquées par un changement de style. La cape est rapidement remplacée par une tenue en cuir, qui évoque autant la culture gothique que l’esthétique sadomasochiste.
Néanmoins, cette charge sexuelle et la fascination érotique que le public a pour le vampire sont à conjuguer avec son évolution romantique. Dans certaines adaptations, les sentiments amoureux prennent le dessus sur la sensualité. Ici, le vampire s’écarte de son aspect monstrueux pour renouer avec ses émotions et susciter de l’empathie. Dans Dracula, on voit le Prince Vlad Dracul s’enticher de Mina Murray.
Entretien Avec Un Vampire aborde aussi ces préoccupations. Et le phénomène littéraire et cinématographique Twilight reste l’exemple parfait. Tout en offrant une vision chaste et puritaine du vampire qui refrène ses pulsions, Edward Cullen finit par devenir un héros romantique à travers son amour pour Bella, mais aussi à travers les difficultés et la mélancolie que lui impose sa condition.
Le vampire de nos jours : de la comédie aux blockbusters
De la littérature au septième art, en passant par les séries, difficile de ne pas être mordu d’un vampire. L’attrait autour de ce personnage ne se dément pas. Mieux encore, sa figure sur grand et petit écran semble se réinventer ces dernières années. Bien que plusieurs adaptations continuent de jouer sur les codes classiques du genre, comme Fright Night avec Colin Farrell ou la minisérie Netflix Dracula, les vampires prennent également le parti de l’humour.
Si Le Bal des vampires a pour la première fois désacralisé le mythe de Dracula dans les années 1960, les années 2010 ont quant à elles vu naître de véritables créations comiques. On peut notamment citer le film belge Vampires, le mockumentaire cinématographique et sériel What We Do in The Shadows ou encore Dark Shadows. Même le cinéma français décline le mythe en comédie horrifique avec Les Dents de la nuit, en 2015, tout comme le cinéma d’animation pour enfants avec Hôtel Transylvanie, en 2012.
De nos jours, le vampire est représenté comme une figure puissante. Cette créature a pu être assimilée à une divinité, notamment dans la minisérie de Mike Flanagan, Sermons de minuit. Or, cette force peut également être synonyme de super-pouvoirs. On le voit notamment avec le retour qu’il s’apprête à faire dans l’univers des super-héros. D’abord sous les traits de Jared Leto qui interprétera Morbius, puis dans le reboot MCU de Blade, dans lequel Mahershala Ali reprendra le rôle autrefois campé par Wesley Snipes. Bien que plusieurs comics aient déjà introduit Dracula dans leurs pages, ceci pourrait une fois de plus permettre de décliner l’image du vampire de façon inédite.
De ses débuts en littérature à l’évolution de son physique sur grand écran, en passant par son appréhension, cette créature des Carpates a su se réinventer. À travers une variété de genres et de formats, elle a également su s’adapter aux diverses réalités sociales et historiques de chaque époque. Sa résistance au temps doit beaucoup à sa réinvention constante mais aussi à son ambivalence toujours intacte. À la fois monstrueux et humain, érotique et romantique, entre la vie et la mort, le vampire est finalement le symbole d’une complexité immortelle qui n’a pas fini de nous fasciner.
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