
Festival de Cannes oblige, on vous a concocté une petite sélection des meilleurs livres ciné de l’actualité.
| Le Festival de Cannes ou le temps perdu, de Santiago H. Amigorena
Il n’y a qu’à lire le dernier roman de Karine Tuil, La guerre par d’autres moyens, pour se rendre compte à quel point le Festival de Cannes, avec ses paillettes qui font briller les apparences, avec son drôle de ballet d’émotion, de beauté et d’ambition, a tout du parfait terreau romanesque. Fidèle habitué de cette grand-messe du 7e art, l’écrivain, scénariste et réalisateur Santiago H. Amigorena, poursuit l’entreprise autofictionnelle qui traverse son œuvre de part en part en se replongeant dans 40 ans de présence au Festival.
Le sous-titre de son livre, Le temps perdu, a le mérite d’être clair. On embarque pour un voyage dans le temps aux accents délicieusement proustiens. Sauf que, pour Santiago Amigorena, les souvenirs n’ont pas l’odeur de la madeleine, mais bien celle de la laine usée du smoking de location. Celui-là même qu’il portait lors de ses débuts à Cannes, en 1985, aux côtés de quatre garçons pleins d’avenir, dont un certain Cédric Klapisch, avec qui il a écrit le scénario du Péril jeune, le film culte de toute une génération.
Une première comme un royaume de la débrouille où tout est mis en œuvre pour paraître et en être. L’aube surtout, des illusions perdues de la Croisette. Car d’hôtels miteux en palaces, au fil des projections, des dîners de stars et des soirées fastes, il pénètre dans un labyrinthe cruel avec comme fil d’Ariane les femmes de sa vie, un bal des actrices où se côtoient Philippine Leroy-Beaulieu, Julie Gayet, la mère de ses deux enfants ou encore Juliette Binoche. Avant la rencontre et le grand amour avec la scénariste Marion Quantin. Une mosaïque d’instantanés, deux semaines par an comme un miroir grossissant des vicissitudes de l’existence. Et, derrière les aspirations d’un amoureux du cinéma et les rêves de gloire humains, trop humains, la fuite en avant d’un écrivain qui fait tout sauf écrire. Heureusement, le temps perdu peut être retrouvé grâce à la littérature.
| La bella confusione, de Francesco Piccolo
Il fut un temps, bien avant notre ère, le cinéma italien régnait sur terre. Francesco Piccolo, romancier transalpin couronné du prix Strega en 2014 pour Il desiderio di essere come tutti, pas encore traduit en France, scénariste acclamé pour la minisérie italo-américaine L’Amie prodigieuse et surtout pour ses nombreuses collaborations avec Nanni Moretti (Le Caïman, Mia Madre), fait revivre cet âge d’or avec un roman vrai ultradocumenté et diablement envoûtant. La bella confusione raconte le combat des chefs qui a secoué le 7e art au cœur des années 1960. Une rivalité entre deux réalisateurs entrés dans la légende : Federico Fellini et Luchino Visconti.
Cette lutte intestine au cœur du cinéma italien nous est livrée à travers le regard d’un autre monument, une actrice dont les yeux et les rôles ont envouté toute une génération : Claudia Cardinale. Entre 1962 et 1963, la jeune femme est très convoitée et mène de front deux tournages : 8 1/2 de Federico Fellini et Le guépard de Luchino Visconti. Des films devenus cultes dont les tournages houleux furent le symbole de l’affrontement artistique entre deux génies.
En puisant dans la correspondance de l’époque, en exhumant notes, journaux intimes et interviews, en relatant certains témoignages et en relayant les rumeurs et légendes, Francesco Piccolo peint la fresque d’une époque bénie faite de monstres sacrés aussi sublimes que tourmentés. Un grand livre sur du grand cinéma, qui ferait un très bon film.
| Ecstasy and Me, de Hedy Lamarr
Comme la vie d’Hedy Lamarr, sa biographie part dans tous les sens et il faut s’accrocher. Mais que c’est fascinant de découvrir une figure du cinéma aussi injustement oubliée ! Sa vie est un roman d’aventures menées tambour battant par une femme fatale au caractère bien trempé qui n’a jamais eu peur de dire aux hommes leurs quatre vérités. Dans Ecstasy and Me, elle démonte avec un plaisir non dissimulé sa statue de déesse hollywoodienne pour se raconter sans fard et sans regret.
La jeune autrichienne insoumise de l’entre-deux-guerres ; l’autoproclamée première actrice X de l’histoire avec son rôle dans Extase (1933) et ce gros plan d’orgasme simulé ; l’épouse prisonnière d’un riche industriel, échappée de sa prison dorée en droguant une gouvernante ; la plus belle femme du cinéma, seule actrice capable de négocier ses contrats en personne avec le terrible Louis B. Mayer ; l’obsédée sexuelle aux multiples frasques ; et même l’inventrice du wifi : on parcourt les mille vies d’une icône qui a toujours refusé d’être cantonnée au statut de starlette et de simple objet du désir.
| Un genre à soi, d’Axel Cadieux, Judith Beauvallet et Quentin Mével
Encore une petite merveille proposée par la précieuse maison d’édition Playlist Society, spécialisée dans la publication d’essais critiques sur la pop culture. Après Greg Araki, le génie queer de Fabien Demongeot, Buffy ou la révolte à coups de pieu de Marion Olité ou encore l’ouvrage collectif Mad Max, au-delà de la réalité, Un genre à soi vient garnir la fabuleuse bibliothèque cinéma portée par Benjamin Fogel.
Dans ce livre d’entretiens menés par Axel Cadieux, rédacteur en chef de SoFilm, Judith Beauvallet, journaliste chez Écran large et Quentin Mével, réalisateur, auteur et délégué de l’Acrif, les grandes figures du genre à la française se racontent et tentent d’expliquer le succès mondial d’un cinéma à part dont le climax fut la Palme d’or remise à Titane en 2021. Les frères Boukherma, réalisateurs de Teddy, Coralie Fargeat qui nous a enchanté l’année dernière avec The Substance ou encore Sébastien Vanicek, réalisateur du terrifiant Vermines sont les têtes d’affiche de cet essai au casting cinq étoiles qui nous convie au royaume de l’étrange.
| Suspense, du roman à l’écran, de Boileau-Narcejac
Avec cette anthologie savoureuse, la collection « Quarto » de Gallimard célèbre le talent d’un duo de romanciers injustement méconnu qui contribua pourtant à poser les bases du roman policier moderne. Pendant près de 40 ans, le duo formé par Pierre Boileau (1906-1989) et Thomas Narcejac (1908-1998) a fait tourner les têtes des lecteurs en s’affranchissant des codes du whodunit à la Agathe Christie ou Arthur Conan Doyle. Leur secret : offrir à leurs personnages une nouvelle profondeur psychologique et façonner des atmosphères inquiétantes, parfois aux frontières du réel.
Des Louves (1955) aux Victimes (1964), en passant par Les Magiciennes (1957), on parcourt en romans la carrière incroyable de ces deux maîtres du suspense. Mais on redécouvre surtout les deux œuvres qui leur ont permis d’accéder à la gloire, grâce au succès en librairie généré par leur adaptation au cinéma. Celle qui n’était plus, porté à l’écran par Henri-Georges Clouzot en 1955, avec Simone Signoret, dans Les diaboliques, et D’entre les morts, adapté par le maître Alfred Hitchcock dans Sueurs froides. Un beau voyage entre littérature et cinéma.