Décryptage

Les magazines de prépublication de mangas vont-ils enfin se faire une place en France ?

11 mai 2025
Par Vincent Bresson
“Manga Issho” est un magazine de manga européen.
“Manga Issho” est un magazine de manga européen. ©Manga Issho

Symboles du succès des mangas, les magazines de prépublication n’ont, jusqu’ici, pas trouvé leur place dans le paysage tricolore. Un paradoxe alors que la bande dessinée japonaise est l’un des biens culturels les plus consommés de France.

Le manga est un univers impitoyable. Au Japon, leur destin est entre les mains de magazines de prépublication très populaires. Ces revues permettent aux lecteurs de se plonger chaque semaine dans les nouveaux chapitres de leurs sagas favorites ou de découvrir leurs prochains coups de cœur. Invités à classer par ordre de préférence les œuvres qu’ils viennent de lire, les aficionados de ces revues ont, sur elles, droit de vie ou de mort. Les éditeurs sont sans pitié : si le désamour d’un titre se prolonge, son auteur sera gentiment invité à lui trouver une fin. Même les mangakas de renom ne font pas exception à cette règle.

Des millions d’exemplaires

Le succès du manga se bâtit depuis des décennies sur cette sélection cruelle, aussi efficace que méconnue du grand public français. Un système qui met constamment les auteurs sous pression. Il leur faut livrer le meilleur contenu possible avec régularité, quitte à fragiliser leur santé.

Mais, pour les éditeurs, ce fonctionnement permet de s’assurer de l’intérêt persistant d’un titre et d’apporter des revenus importants liés à la vente des numéros en kiosque. Le mythique Weekly Shōnen Jump de la maison d’édition Shueisha s’écoule encore aujourd’hui à plus d’un million d’exemplaires chaque semaine.

Sans lui, pas de Naruto, Bleach et autres Dragon Ball. Bien huilé, ce système commence néanmoins à montrer certaines failles. La diffusion de ces revues ne cesse de diminuer, année après année, face à la concurrence du numérique. Malgré tout, les chiffres de vente démentiels de ces magazines aiguisent logiquement – et depuis longtemps – plus d’un appétit dans l’Hexagone.

En 2004, les éditions Kana avaient tenté d’exporter ce système avec Manga Hits. Le premier numéro de ce Jump tricolore frappait fort avec des planches inédites de Yu-Gi-Oh!, Naruto et Shaman King, trois œuvres à succès. Pourtant, quelques mois plus tard, l’expérience tournait court.

De la difficulté de copier le Japon

« Mangas Hits n’a pas duré dans le temps, car il ne proposait que des séries japonaises, détaille Timothée Guédon, éditeur à Kana. Le système d’approbation pour publier un nouveau chapitre était très long. L’aventure s’est donc terminée après trois numéros. » Cette ambition était d’autant plus difficile à tenir qu’à l’époque, le marché du manga n’était pas ce qu’il est aujourd’hui en France.

Le fonctionnement des magazines de prépublication était donc d’autant plus confidentiel. Lancée en 2023, la revue Konkuru n’a, elle non plus, pas réussi à se prolonger dans le temps. Les passionnés derrière ce projet avaient pourtant pris le contre-pied de Mangas Hits en misant sur un contenu bien de chez nous.

One Piece a été publié pour la première fois le 22 juillet 1997 dans le numéro 34 du Weekly Shōnen Jump.©Toei Animation

« On se rêvait en incubateur d’auteurs francophones, témoigne Robin Emptaz, l’un de ses fondateurs. Mais on n’avait pas beaucoup de moyens et, en plus, on ne se facilitait pas la tâche en mettant en avant de nouveaux créateurs pas encore installés, donc peu attractifs. »

À l’heure du bilan, ce consultant est tout de même fier d’avoir familiarisé une partie du public avec l’idée d’un Jump tricolore et d’avoir vendu autour de 1 500 exemplaires par numéro. D’autant que cet échec n’a pas dissuadé une nouvelle génération de magazines de prépublication de tenter sa chance.

Des projets prometteurs

Qu’à cela ne tienne. Le vidéaste manga Le Chef Otaku a réussi le tour de force de récolter 76 000 euros sur la plateforme Ulule pour financer son Spatule Jump. Le premier numéro de cette nouvelle revue sort dans les semaines à venir. L’objectif affiché est le même que celui de Konkuru : miser sur une production locale et faire émerger de nouveaux talents.

« Si le Spatule Jump devient un succès, il permettra d’ouvrir une nouvelle voie, assurait le créateur de contenu dans l’une de ses vidéos. D’une part pour les artistes, qui pourront trouver un autre moyen d’émerger en dehors des circuits classiques, qui sont réputés pour être assez fermés. Mais d’autre part, cela permettra aux lecteurs de découvrir une autre facette du manga francophone. »

La force de frappe de ce nouveau projet est par contre bien plus importante que celle de son aîné. Le Chef Otaku peut en effet compter sur sa communauté – plus d’un million d’abonnés sur YouTube – pour faire connaitre son titre.

Une initiative européenne

Un projet encore plus ambitieux vient tout juste d’être lancé par un consortium de quatre éditeurs européens, dont Kana est le représentant francophone. Sous le nom de Manga Issho, ce magazine manga européen s’émancipe un peu du modèle japonais, même s’il en copie une grande partie du fonctionnement.

Naruto a été prépublié dans le Weekly Shōnen Jump entre septembre 1999 et novembre 2014.©Kana

« Nous avons, nous aussi, mis en place un système pour avoir un retour des lecteurs, mais on ne va pas arrêter une série parce qu’elle ne rassemble pas assez de votes », nuance Timothée Guédon. Autre différence : la parution ne sera pas hebdomadaire. Impossible pour des auteurs européens de tenir le rythme effréné des artistes japonais. Le papa de One Piece sort par exemple régulièrement deux chapitres d’une quinzaine de pages par mois.

Bonne nouvelle : les équipes de Manga Issho assurent que le succès est au rendez-vous. Une réimpression serait même envisagée en France et en Italie. Et si la France tenait là son premier magazine de prépublication durable ?

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