Décryptage

One Piece : la série Netflix est-elle à la hauteur du manga et de l’anime ?

01 septembre 2023
Par Valérie Précigout (Romendil)
La série “One Piece” est l'un des événements de cette rentrée.
La série “One Piece” est l'un des événements de cette rentrée. ©Netflix

L’idée de voir cette série en live action vous fait peur ? Il faut dire que tant d’autres se sont déjà cassé les dents sur cet exercice que l’on n’était pas pressé de voir la star absolue du manga et de l’animation en passer par là. Mais cette adaptation Netflix pourrait finalement inverser la tendance.

Souvent jugés inadaptables en prise de vues réelles, les mangas (et par extension les séries animées qui en sont inspirées) sont le cauchemar des réalisateurs. Est-il sérieusement encore utile de citer le film Dragonball Evolution (2009) ou le plus récent Knights of the Zodiac (2023) pour s’en convaincre ?

En matière de séries, même constat : l’adaptation de Cowboy Bebop proposée en 2021 sur Netflix n’avait pas convaincu grand monde alors qu’elle s’appuyait sur un matériau de base extrêmement riche. En deux mots, aussi adulé soit-il, un manga n’a aucune garantie de fonctionner en live action, surtout lorsqu’il se détourne autant du réel qu’un Dragon Ball, qu’un Saint Seiya ou qu’un One Piece.

D’ailleurs, l’œuvre d’Eiichirō Oda coche vraiment toutes les cases de la série « a priori inadaptable en prise de vues réelles » : un non-sens omniprésent, des personnages au design complètement dingue, des scènes de combat démentielles dues à des pouvoirs qui n’ont de cesse de repousser les limites de l’imagination… Autant le dire clairement : sur le papier, l’idée de voir One Piece en série live action ne fait pas franchement rêver.

Pourquoi risquer de ternir l’aura d’un phénomène mondial qui se doit d’être découvert avant tout par le biais du manga original ou de la série animée ? Et pour quelle raison cette adaptation fait-elle autant parler d’elle ?

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Peut-être parce qu’elle réussit justement à éviter les pièges habituels des autres live action pour se concentrer sur ce qu’elle peut vraiment parvenir à restituer dans ce format-là : à savoir nous raconter une histoire à travers des individus qui ne sont finalement peut-être pas si différents de nous.

Les nouveaux visages de l’équipage du Chapeau de Paille

À l’issue du visionnage des huit épisodes qui composent la première saison de One Piece sur Netflix, on se dit qu’après tout, l’idée n’était peut-être pas si folle. Bien sûr, il y a beaucoup de choses qui fonctionnent nettement moins bien que dans l’anime et la plus-value n’est pas flagrante, mais le pari en valait tout de même largement la peine.

D’abord parce que voir les membres de l’équipage du Chapeau de Paille arborer des visages bien réels est déjà un aboutissement pour cette série qui a explosé tous les records à travers le monde en manga et en animation. Présenté de longue date, le casting se fond vraiment dans les personnages avec une aisance sur laquelle on n’aurait pas forcément misé.

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Aux antipodes des stéréotypes habituels, les acteurs qui incarnent les personnages principaux se révèlent tout à fait crédibles dans leurs rôles respectifs. La « tête à claques » élastique d’Iñaki Godoy ne ressemble certes pas trait pour trait à celle de Luffy, mais elle exprime totalement sa naïveté, sa détermination et sa confiance indéfectible en ses coéquipiers.

Bien plus à l’aise dans le rôle de Zoro que dans celui de Seiya, l’acteur Mackenyu fait réellement ressortir le caractère impassible de celui qui ne plaisante pas lorsqu’il s’agit de manier le sabre. Le duo qu’il forme avec Nami (et plus brièvement avec Sanji) est à l’image de ce que les fans adoraient déjà dans le manga ou l’anime.

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Les piques fusent de toutes parts et les regards condescendants de la jeune femme sont à mourir de rire. Car, avant d’accepter pleinement son poste de navigatrice au sein de l’équipage, la voleuse est constamment atterrée par les réactions de ses coéquipiers et par le comportement ubuesque de celui qui se prétend leur capitaine. L’actrice Emily Rudd est assez incroyable dans le rôle de cette chapardeuse qui donne vraiment le sentiment d’être tombée dans un asile de fou.

Chaque acteur fait ainsi ressortir certains traits particuliers de la personnalité des « Mugiwara » qui définissent leur identité respective. Le jeu de Jacob Romero Gibson (Usopp) et celui de Taz Skylar (Sanji) ne dénaturent pas non plus les figures atypiques imaginées par le mangaka. L’alchimie est palpable et évolutive entre les membres de l’équipage, et l’on a déjà envie d’une saison 2 pour assister aux rencontres attendues avec Chopper, Nico Robin et tous les autres.

Une revisite des arcs fondateurs de la saga

Parce que ces huit épisodes ne couvrent malheureusement qu’une infime partie de ce que représente l’histoire de One Piece, l’intrigue reprend uniquement la trame des dix premiers volumes du manga. L’adaptation se permet bien sûr quelques ajouts à certains moments, mais elle s’attache globalement à suivre de très près le scénario d’origine.

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L’éternelle question de savoir à quel point une série live action doit s’affranchir du matériau de base revient donc une fois de plus sur le tapis, mais le choix a été fait ici de ne pas heurter les puristes. Ainsi, à quelques rares exceptions près, notamment dans le choix de son découpage, la série Netflix suit scrupuleusement le cheminement des premiers arcs du manga pour relater les circonstances qui ont permis la fondation de l’équipage du Chapeau de Paille.

Afin de condenser un maximum de choses au sein de chaque épisode et de garantir un rythme constant, la série n’hésite pourtant pas à faire intervenir certains protagonistes avant l’heure, piochant des éléments censés intervenir plus tard pour combiner le tout et ménager quelques effets de surprise. Les références sont innombrables pour qui connaît bien l’univers du manga original et il n’est pas rare de retrouver des plans qui renvoient directement à ceux de l’anime.

Il n’est d’ailleurs peut-être pas inutile de rappeler que le choix des langues permet de profiter aussi de la version japonaise qui reprend les voix des principaux comédiens de doublage entendus dans la série animée. Pour ceux qui ont du mal à se faire aux nouvelles têtes de Luffy et ses compagnons, cette option peut considérablement renforcer l’immersion dans la série.

Souci du détail et prise de risques

C’est dans les détails qu’on reconnaît la passion des créateurs de la série, Matt Owens et Steven Maeda, pour leur sujet. S’appuyant sur de nombreux flashbacks, le live action prend par exemple le temps de nous rappeler les origines de la petite cicatrice sous l’œil de Luffy à travers une scène qui avait été écartée de l’anime et que la plupart des spectateurs ne connaissent donc pas forcément ou ont peut-être oublié.

Plus intéressant encore, lorsque Zoro nous est présenté dans le premier épisode, on le voit couper en deux un certain Mr. 7, agent de Baroque Works dont la tête ne nous est pas familière. Normal, puisqu’il s’agit du premier Mr. 7 dont le manga nous disait seulement qu’il avait tenté en vain de recruter Zoro dans l’organisation avant d’être remplacé par un autre agent.

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On peut regretter que la série n’aille pas creuser d’autres pistes de manière aussi pointue, mais elle a aussi le mérite de construire un fil conducteur inédit à travers le personnage de Garp. Ce vice-amiral de la Marine (qui possède un lien de parenté majeur avec Luffy) apparaît ainsi de manière constante tout au long des épisodes pour que l’on ne perde pas de vue l’ironie du sort qui a donné à Luffy le rêve de devenir le roi des pirates.

Le personnage de Garp apparaît normalement bien plus tardivement dans l’histoire, mais sa présence apporte vraiment quelque chose d’unique à cette adaptation, tout en nous permettant de suivre de près le parcours de Kobby et Hermep au sein de la Marine.

Respecter l’identité visuelle de la franchise

Parmi ses innombrables excentricités, le manga One Piece est évidemment réputé pour sa galerie de protagonistes, d’antagonistes et de personnages secondaires au design vraiment improbable. La créativité de l’auteur Eiichirō Oda est, à ce titre, inégalable, le mangaka n’ayant jamais eu peur de pousser le délire trop loin pour s’assurer que ses personnages resteraient dans les mémoires.

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Un élément qui pose évidemment problème dans le cas d’une adaptation en prise de vues réelles où ce genre de plaisanteries visuelles peut rapidement tourner au ridicule. En assumant le choix de se rapprocher au plus près du character design original, la série a au moins le mérite de rendre tous ses personnages immédiatement reconnaissables. Elle garde ainsi un pied bien ancré dans l’esprit déjanté du manga avec tout ce que cela comporte en matière d’excentricité.

Les pouvoirs surréalistes octroyés par les fruits du démon (élasticité de Luffy, fragmentation de Baggy) passent plutôt bien à l’écran et l’on ne s’étonne même plus de voir se profiler la tête de mouton de Merry au cours de l’arc narratif d’Usopp. De la même manière, la gestuelle du majordome de Kaya est scrupuleusement respectée, lui qui a pris l’habitude d’ajuster ses lunettes avec la paume de sa main pour une raison bien précise.

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Dommage que le résultat paraisse beaucoup moins naturel dans le cas des derniers épisodes avec les hommes poissons d’Arlong, mais on ne pourra en tout cas pas reprocher à la série son manque de fidélité au design original des personnages. Les scènes d’action se révèlent en revanche globalement moins renversantes qu’espéré, sans doute parce que les ambitions de ce show se trouvent ailleurs.

En mettant surtout l’accent sur la manière dont les individualités évoluent au contact les unes des autres, cette adaptation de One Piece en live action nous fait adhérer à une vision des Mugiwara tournée vers l’émotion. Les membres de l’équipage de Monkey D. Luffy y sont suffisamment travaillés pour être crédibles sans dénaturer l’idée que l’on avait pu se faire d’eux au travers du manga ou de la version animée.

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Chacun conserve ses propres objectifs, mais on a vraiment le sentiment de les voir évoluer au fil des épisodes vers un esprit d’équipe qui n’était clairement pas dans leurs gènes au départ. Rares sont les moments où l’on ressent une baisse de rythme (les deux épisodes de l’équipage du Chat Noir auraient peut-être gagné à être condensés en un) et tout est fait pour que n’importe qui puisse apprécier l’histoire sans forcément avoir lu le manga ou être à jour sur l’anime. Cela pourrait même donner envie à certains de s’y plonger à leur tour.

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