Médecin spécialiste et animateur de plusieurs émissions médicales sur France Télévisions, Michel Cymes prend le pouls de la société au quotidien. On a profité de la sortie de son nouveau livre, Santé, à vous de jouer !, pour lui demander des conseils concrets et simples pour améliorer notre quotidien.
Dès les premières pages de votre livre, vous parlez de “la magie de l’épigénétique”. Pouvez-vous nous expliquer ce concept qui vous a inspiré pour l’écriture de votre ouvrage ?
On parle souvent de révolution médicale, à tort et à travers. Mais, depuis quelques années, des recherches en génétique ont vraiment révolutionné notre connaissance des relations entre le corps et son environnement. Chaque cellule contient environ 22 000 gènes, et il a longtemps été admis que la majorité d’entre eux déterminaient ce que nous sommes.
Ce n’est pas faux, mais on s’est rendu compte que sur 100 % de gènes, 30 % déterminent ce que nous sommes (notre taille, la couleur de nos yeux, de nos cheveux…) et 70% dépendent de nos habitudes alimentaires, de notre activité physique, de notre environnement, de ce que nous respirons… Bref, de tout ce qui entre en contact avec notre organisme, y compris les conduites à risque, comme le tabac.
Je schématise à l’extrême, mais on a réalisé que nos gènes se mettaient sur “ON” ou “OFF” en fonction de nos habitudes. Prenons l’exemple de l’activité physique. Quand vous faites ces fameuses 30 minutes de sport par jour, vous faites du bien à votre organisme et vous augmentez votre espérance de vie en bonne santé, car ça agit sur un très grand nombre de fonctions et d’organes.
Autrement dit, les gènes qui vont entraîner ces effets bénéfiques vont se mettre sur “ON” et vous allez en profiter. À l’inverse, si vous ne pratiquez pas cette activité physique, si vous êtes sédentaire, si vous restez assis trop longtemps dans la journée ou si vous êtes inactifs, ces gènes vont rester sur “OFF”et ils ne vous protègeront pas. Donc toutes vos mauvaises habitudes ou vos excès de la journée ne seront pas contrés par les effets bénéfiques de l’activité physique. Ce constat est valable dans tous les domaines.
Je vais vous donner un exemple très concret de l’épigénétique – vulgarisé au maximum, encore une fois. Admettons que vous avez un gène de prédisposition au cancer du poumon qui peut se réveiller si vous fumez. Si vous ne fumez pas, vous avez beaucoup moins de risque de déclencher ce type de cancer. Si vous fumez, vous allumez ce gène de prédisposition et vous risquez d’en avoir un. C’est schématisé à l’extrême : il n’y a pas réellement un gène de prédisposition à une maladie, mais ce livre essaie d’expliquer tous les petits changements d’habitude qui peuvent être bénéfiques pour notre santé, quel que soit le domaine.
Diriez-vous que la population française est globalement en bonne santé ? Quelles sont les principales problématiques ?
On a la chance de vivre dans un pays où la médecine est encore l’une des meilleures du monde, mais nous sommes dans une situation paradoxale. Nous avons du personnel qualifié, une médecine excellente, un accès à la Sécurité sociale et, pourtant, il y a de véritables déserts médicaux dans certaines régions et des départements n’ont toujours pas de services de soins palliatifs. Quand on fait un état des lieux de la situation actuelle, on a l’impression d’être dans un pays en voie de développement plutôt que dans l’un des États les plus riches de la planète. Ça, c’est le premier problème.
Le deuxième, c’est que nous vivons dans une société terriblement sous influence des fake news en matière de santé et de complotisme. Je suis affolé par la place des fausses informations diffusées par des influenceurs, des créateurs de contenu qui se prennent pour des médecins ou des scientifiques, mais aussi par certains de mes confrères qui racontent n’importe quoi. Je pense notamment à l’épisode du Covid, quand le professeur Raoult a fait croire à la Terre entière que l’hydroxychloroquine permettrait de guérir.
C’est dramatique, parce qu’ils polluent le cerveau de personnes qui peuvent être tout à fait rationnelles, mais qui rencontrent des difficultés pour voir leur médecin ou avoir accès à de véritables informations médicales, donc ils finissent par croire à ces fake news. On est confronté à un vrai problème de contamination cérébrale. Au-delà du Covid, on voit aussi plein de patients arrêter les soins médicaux pour se jeter dans les bras de charlatans, par exemple.
Plusieurs alimentations “tendances” se sont succédé, comme le régime Dukan et le jeûne intermittent. Quel regard portez-vous sur ces dernières ? Finalement, une alimentation équilibrée n’est-elle pas suffisante ?
C’est clairement suffisant. Mais c’est plus facile de se dire qu’on va se priver de quelque chose dans le cadre d’un régime, plutôt que d’essayer d’équilibrer son alimentation. Le jeûne intermittent est facile à comprendre : on saute un repas. En revanche, le rééquilibrage alimentaire avec un apport de tant de protéines, de lipides et de glucides, demande un moment de réflexion plus important. Ça implique aussi le fait de penser à toutes ces données quand on fait un repas ou des courses.
En réalité, les régimes ne devraient même pas exister aujourd’hui. Le Dukan que vous avez cité a d’ailleurs été interdit d’exercice par le Conseil de l’Ordre des médecins. Le vrai problème, c’est que nous vivons dans une société dans laquelle tout doit aller vite. Si une personne en surpoids commence à équilibrer son alimentation, ça demandera plus de temps qu’un jeûne intermittent. Mais ce sera maintenu sur la durée. À l’inverse, un régime va impliquer un effet yo-yo, et la personne reprendra plus de kilos qu’avant. Aujourd’hui, on veut que tout aille vite, mais il est primordial de laisser le temps à notre organisme de s’adapter.
Quelles mauvaises habitudes avons-nous intégrées à notre quotidien ?
J’étais ambassadeur santé de Paris en 2024 et j’ai pu constater que les chiffres sont affolants. L’activité physique est le médicament universel. Je pourrais passer une heure à vous expliquer pourquoi le sport est bénéfique pour votre organisme. Tous les organes, y compris le cerveau et le moral, en profitent. Pourtant, on est un pays qui ne rembourse pas le sport santé, dans lequel les médecins ne demandent pas à leurs patients s’ils bougent et comment ils le font, et dans lequel peu de monde est convaincu des effets de l’activité physique en matière de santé. Par exemple, on a mis en place les 30 minutes d’activité physique quotidienne dans les écoles primaires, durant les sept années qui ont précédé les Jeux olympiques de 2024. Au final, seulement 40 % l’ont appliqué.
À table, au bureau, au lit… Chaque chapitre est constitué de nombreux conseils pour améliorer son quotidien. Quels sont ceux qui ont intégré votre routine et dont vous ne pouvez plus vous passer ?
Je suis né dans une famille qui a toujours fait beaucoup de sport. Mon père a 93 ans, il en fait deux heures tous les jours, il est en pleine forme, il a toute sa tête, il conduit tout seul, il vit tout seul, et il ne demande rien à personne. J’ai donc intégré cette pratique dans ma routine quotidienne de manière naturelle. Quand je ne fais pas de sport pendant une semaine, je ne me sens pas bien.
J’ai 67 ans et, à mon âge, on fait aussi plus attention à ses articulations et à son alimentation. Par exemple, je suis un gros viandard, mais aujourd’hui je mange moins de viande et plus de poisson et de légumes. De plus, je fais en sorte de ne jamais être en dette de sommeil et je privilégie cette récupération. J’ai la chance d’être un petit dormeur, mais j’ai besoin de mes cinq, six heures de sommeil pour être en forme et avoir un cerveau efficace durant la journée.
Votre livre délivre des dizaines de conseils. Quels sont ceux qu’on peut facilement intégrer à nos journées ?
Sélectionnez les conseils qui peuvent vous faire du bien, sans vous faire du mal. La notion de plaisir est nécessaire. Au bureau, si vous pouvez vous lever, marcher en téléphonant, ou faire la marche afghane si ça vous fait marrer, faites-le. En revanche, si vous n’aimez pas les amandes ou que vous avez du mal à en manger une poignée tous les matins, passez à autre chose.
À défaut de le faire dans la vie, il faut picorer des idées dans le livre en fonction de ses propres habitudes. C’est justement pour cette raison qu’on l’a chapitré en fonction des lieux qui rythment votre journée. Prenez ce qui vous plaît, ce qui ne vous demande pas d’efforts considérables. L’objectif de cet ouvrage est de vous faire changer des petites habitudes, sans pour autant bouleverser votre vie. Si vous vous forcez, vous ne tiendrez pas ces résolutions.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à de nombreux diktats autour du bien-être. Les livres de développement personnel se multiplient, les réseaux sociaux nous rappellent que l’on doit bien dormir, bien manger, faire du sport… Au risque de nous culpabiliser si nous n’y parvenons pas. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
Les injonctions sont toujours contre-productives. Quand je voyais des patients en consultation et que leurs cordes vocales m’inquiétaient parce qu’elles étaient très inflammées en raison du tabac, je ne les engueulais pas. Je ne leur disais pas : “Si vous continuez à fumer, ce n’est pas la peine de venir me voir.” Vous pouvez être sûr qu’il ne viendra plus me voir et qu’il continuera à fumer. À l’inverse, l’accompagnement est essentiel.
Je ne dirai jamais à mes patients de passer de 300 pas par jour à un marathon, mais plutôt : “Je vous comprends, vous avez du mal à vous mettre à bouger, vous avez du mal à équilibrer votre alimentation, je vais vous accompagner et on va essayer de vous aider en changeant des petites habitudes de vie.” Je leur conseille de marcher 30 minutes par jour pour aller mieux et, s’ils prennent du plaisir, si leur estime d’eux-mêmes est meilleure parce qu’ils ont vu qu’ils étaient capables de le faire et qu’ils ont envie de faire le marathon l’an prochain, qu’ils foncent ! La vérité, c’est que les injonctions ne fonctionnent pas. En médecine, le maître-mot, c’est l’empathie.