Parce qu’elles sont devenues des sujets d’actualité et surtout d’inquiétude pour le futur, la fertilité et la reproduction sont au cœur de plusieurs romans de science-fiction qui viennent tout juste de paraître.
Il y a comme un paradoxe savoureux à voir une œuvre racontant un monde où la natalité est presque réduite à néant, faire, chaque année, autant de petits dans l’actualité littéraire. Depuis sa parution en 1985, La Servante écarlate de Margaret Atwood ne cesse de féconder les imaginaires des nouvelles générations d’écrivains et d’écrivaines, et a placé la question de la fertilité au centre de la science-fiction. Plongée dans les reproductions du futur avec deux romans qui viennent tout juste de paraître et un poche qu’on ne peut que vous conseiller.
| Fragile/s, de Nicolas Martin
Dans Fragile/s, qui faisait partie des romans sélectionnés pour le Prix du roman Fnac 2024, Nicolas Martin, journaliste et ancien animateur de La Méthode scientifique sur France Culture, imagine une France au bord de l’implosion alors que les naissances s’effondrent, que la majorité des nouveau-nés sont de sexe féminin et que les rares petits garçons sont atteints d’une maladie génétique appelée syndrome de l’X fragile. Face à la menace d’une extinction, mais aussi par pure ambition eugéniste, le pays bascule dans la dictature et développe des programmes génétiques expérimentaux de la dernière chance. Grâce aux relations de son mari, Typhaine est l’une des 1 500 élues et accouche miraculeusement d’un garçon sain. Nolan grandit, développe une intelligence et des aptitudes hors du commun, mais surtout certains troubles inquiétants.
En alternant les registres de narration et les points de vue, en jouant avec la disposition du texte comme s’il était lui aussi acteur du drame en train de se jouer, Nicolas Martin fait progressivement basculer la dystopie au pays du genre, à la lisière de l’horreur et du fantastique. Un romancier est né, reste à savoir s’il est génétiquement modifié.
| 11 %, de Maren Uthaug
Un titre énigmatique. Un peu rêche, assez inhabituel pour annoncer un roman. C’est pourtant avec ce chiffre que tout commence et que le récit de Maren Uthaug prend tout son sens. Comme une déclaration programmatique qui annonce la couleur d’une dystopie dérangeante. 11 %, c’est le pourcentage d’hommes tolérés dans le Danemark nouveau, celui qui a survécu à l’apocalypse et qui, après une longue révolution durant laquelle le pays a été démasculinisé, est devenu une gynocratie, soit un régime où les femmes sont au pouvoir.
Elles ont coupé le mâle à la racine pour empêcher la gangrène viriliste de se propager et la violence de continuer à ronger la société. Empêchés de tout exercice du pouvoir et privés de liberté, la plupart des hommes sont enfermés dans des centres de détention spécialisés, gardés par les Amazones, la frange armée de ce régime féminin, et sont mis à disposition des moindres désirs de celles qui souhaitent jouir, mais surtout des envies de celles qui veulent se reproduire.
Dans un roman choral ébouriffant où s’entrechoquent les voix de femmes – dont celle d’une étrange sorcière et celle d’une femme transgenre née homme, mais qui, dans le plus grand secret, opère sa transition –, l’irruption d’un jeune garçon, orphelin errant, va soudainement faire basculer ce petit monde rempli de certitudes nouvelles. Une œuvre radicale, qui secoue, mais dont le récit est tenu de bout en bout. Une vraie prouesse romanesque.
| Les Heures rouges, de Leni Zumas
Si l’on devait trouver une héritière à la grande Margaret Atwood, Leni Zumas serait toute désignée. Avec Les Heures rouges, publié en 2018, elle imagine une dystopie pas si lointaine dont l’horizon tragique se confond de manière troublante avec la réalité. Dans un futur proche, une Amérique de demain (ou d’aujourd’hui), l’avortement est interdit et l’aide à la procréation est en passe de l’être aussi.
Dans un village de pêcheurs au cœur de l’Oregon, non loin de Salem, lieu emblématique de la chasse aux sorcières, quatre femmes sont prises au piège de leur condition. Une mère de famille dépassée, une adolescente enceinte désireuse d’avorter, une marginale mystique qui soulage les femmes en secret, une professeure, seule, qui aimerait avoir un bébé : toutes se heurtent tragiquement aux nouvelles règlementations en vigueur et s’apprêtent à se battre pour se réapproprier leur vie.
Roman choral poétique, drôle et touchant, Les Heures rouges émeut autant qu’il révulse. Car derrière le petit théâtre de l’humanité se dévoile une charge virulente contre le puritanisme américain et un trumpisme nauséabond qui n’a de cesse de rabaisser la féminité pour mieux pouvoir l’écraser.