Critique

Avec Dexter New Blood, le sang coule à nouveau : jouissif ou poussif ?

16 décembre 2021
Par Thomas Laborde
Du sable à la neige, Dexter est de retour et il renfile le tablier.
Du sable à la neige, Dexter est de retour et il renfile le tablier. ©Showtime

Le tueur en série le plus « moral » de l’histoire revient dans une nouvelle saison. Plusieurs années après l’échec de l’épilogue, fallait-il vraiment y revenir ? La lame oscille entre plaisir coupable et deuil inachevé.

Un homme court dans la neige, en pleine forêt. Il a un fusil sur l’épaule et il ne semble pas vouloir s’en servir. Il n’a pas l’air paniqué, mais déterminé. Enragé, même. Il n’est pas poursuivi et ne chasse personne. The Passenger d’Iggy Pop résonne en off. Il tombe à genoux dans la poudreuse, essoufflé. Ce tout jeune quinqua’ blond vénitien au visage carré, c’est Jim Lindsay. Il vit à Iron Lake, un coin paumé du nord-est des États-Unis. Jim y travaille comme vendeur dans une boutique de chasse et pêche. Il habite seul dans un chalet isolé, mais sort avec la cheffe de la police locale. Chaque semaine, ils vont boire un coup dans le bar ringard du coin, entourés de gentils beaufs.

Tout le monde aime bien Jim, qui a pourtant l’air d’un ennui mortel. Mais personne ne le connaît pas comme nous. Son visage nous est on ne peut plus familier. On a déjà passé huit ans avec lui : Jim Lindsay, c’est Dexter Morgan, l’emblématique expert médico-légal, tueur en série de tueurs en série.

Dexter Morgan a beau être devenu Jim Lindsay, les pulsions sont toujours là.©Showtime

Sept ans après la fin ratée et conspuée de la série, le revoilà dans une neuvième saison, Dexter New Blood, qui prend la forme d’un reboot (un redémarrage d’une série dans une nouvelle version). On vous le donne en mille : le passé ressurgit. On vous le donne en cent mille : les pulsions meurtrières aussi.

Jouissance et gros sabots

Pour rappel, à la fin d’une saison huit (de trop), Dexter envoyait son jeune fils Harrison et sa copine Hannah vers l’Argentine, et Debra, sa sœur-flic bordeline, mourait. Dexter, lui, finissait porté disparu après le passage d’un ouragan. Il en avait juste profité pour s’exiler à l’autre bout du pays. Et c’était nul, aux yeux des fans comme de la critique.

Cette nouvelle saison/reboot prend alors des airs de tentative d’effacer l’échec du passé. Pourquoi pas. Dexter, c’est ce vieux pote qu’on n’a pas vu depuis longtemps et qui fait irruption tout d’un coup, comme un bouton sur le nez d’un adolescent. Et dont on ne saurait deviner ce qui va en sortir. Qu’est-ce qu’il nous veut encore, celui-là ?

Des personnages adolescents ont été introduits pour de nouvelles problématiques.©Showtime

Ce qu’il veut, c’est nous mettre au pied du mur, nous confronter à notre sens moral a priori indéfectible et le secouer comme des maracas dans lesquelles il manque des graines. Car il n’a jamais été aussi jouissif de voir un psychopathe retrouver sa vraie nature et tuer à nouveau. Oui, c’est cool de retrouver Dexter dans toute sa splendeur. Mais chassez le naturel, et il revient avec ses gros sabots. The Passenger d’Iggy Pop est une référence directe aux pulsions de Dexter qu’il nomme son « passager noir » (« Dark Passenger » en VO).

Un autre barjo sadique

Rien n’a trop changé dans le rythme, dans les contours des personnages, dans la mécanique. Il faut garder l’identité et l’esprit de la création originelle dont l’effort dingue du générique esthétique et charnel n’a pas du tout été reproduit. Mais vendre un reboot et promettre du « sang neuf » implique un certain élan. Certes, Dexter est entouré de nouveaux personnages, mais ils ressemblent à tant d’autres : les naïfs, les perspicaces, les sociopathes exubérants provocateurs, les ténébreux, les méchants qui se révèlent petit à petit… Un autre fera une apparition inopinée et porte en lui cette notion de new blood : ce sera l’un des fils rouges. Debra, la sœur décédée, apparaît ici comme la conscience incarnée de Dexter. Elle le culpabilise, lui montre ses failles, ses erreurs, pointe ses contradictions…

Et puis, il y a celui qui sera probablement le grand antagoniste de Dexter dans New Blood : un sadique névrosé dont on découvre le mode opératoire aux paramètres distillés ici et là lors des premiers épisodes. La grande recette de chaque saison de Dexter c’était l’apparition d’un nouveau tueur – sans doute ce qui a poussé tant de gens agacés à suivre la série jusqu’à la fin. Et ça marche : on veut voir son visage, comprendre ses motivations, son background… Cette saison, enfin, fait le pari d’intégrer des problématiques adolescentes et amérindiennes dans son récit.

Debra, morte en saison 8, est aujourd’hui la conscience de Dexter, à qui il parle plus qu’à ses interlocuteurs réels.©Showtime

Évidemment, dans cette nouvelle giclée de sang, de mensonges, de faux-semblants, de manipulations, de Dexter-fait-des-trucs-aberrants-pour-s’en-sortir-et-il-s’en-sort, tout est lié.

Certes, le soleil et la fiesta caliente de Miami ont laissé place à la neige et au froid solitaire d’Iron Lake, mais c’est finalement superficiel. S’accrocher à des techniques narratives vieilles de dix ans pêche dans l’océan actuel de séries. Enfin, ça n’empêchera personne de dévorer Dexter New Blood, sanglant plaisir coupable. C’est là toute la contradiction : ce n’était pas la peine de déterrer ce cadavre, mais qu’il est réjouissant de l’avoir fait. Ça touche toujours un peu, au fond, de revoir un vieux pote. Et de l’accepter comme il est. Même s’il est toujours aussi lourd.

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Article rédigé par
Thomas Laborde
Thomas Laborde
Journaliste
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