Le logement connecté et le recours à l’intelligence artificielle peuvent constituer un soutien précieux pour aider les seniors à vieillir à leur domicile, confortablement et en sécurité. Voici quelques pistes de réflexion sur ce que ces technologies peuvent apporter aux personnes âgées, aux aidants et aux professionnels.
En 2030, plus de 20 millions de personnes auront plus de 60 ans, dont 3 millions seront en situation de perte d’autonomie. C’est ce qui fait dire à l’Ignes (l’alliance des industriels qui proposent des solutions électriques et numériques pour donner vie et animer le bâtiment au service de ses occupants) qu’au même titre que la rénovation énergétique, l’adaptation du logement au vieillissement de la population est un enjeu majeur du parc immobilier français.
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Simplifier, soulager, sécuriser
Avec l’âge, de simples gestes comme ouvrir et fermer des volets roulants, un portail ou une porte de garage peuvent devenir pénibles et demander un effort supplémentaire. En ce sens, le logement connecté peut contribuer à améliorer la qualité de vie au quotidien : motorisation et connexion des ouvrants, chemin lumineux avec détection de mouvements, connexion du chauffage, de la climatisation… D’autant que ces fonctions peuvent être facilement automatisées ou contrôlées à la voix.
Le logement connecté offre aussi des solutions intéressantes pour sécuriser l’habitation. Et on ne parle pas seulement de sécurisation des accès à l’aide d’alarmes ou de détecteurs d’intrusion, mais également d’appareils comme des détecteurs de fumée ou de fuites. Quant aux serrures connectées (comme la Luki Smart Lock Pro testée par le Labo Fnac), elles revêtent un autre intérêt non négligeable : celui de faciliter l’accès au personnel de santé et d’aide à domicile.
Enfin, comme le souligne l’Ignes (à l’occasion d’un webinaire sur le thème du logement connecté au service du bien-vieillir), du côté des services, la connectivité présente des opportunités en matière de maintenance prédictive, pour prévenir et anticiper d’éventuelles pannes et dysfonctionnements (dans les logements collectifs, les résidences senior, mais aussi chez les particuliers). C’est un moyen de garantir un « environnement de vie sûr et fonctionnel », d’autant plus important pour les personnes âgées.
Prévenir les chutes et savoir les repérer
Si des gestes en apparence anodins comme fermer les volets, se déplacer pour ouvrir la porte lorsque quelqu’un sonne ou se lever la nuit pour aller aux toilettes peuvent constituer un effort physique plus important avec l’âge, ils peuvent aussi devenir accidentogènes. Or, en matière de sécurité des seniors, l’une des préoccupations majeures consiste à éviter les chutes ; c’est même devenu un véritable enjeu de santé publique. Le gouvernement a d’ailleurs mis en place un « plan antichute des personnes âgées ».
Hélas, même en limitant les situations à risque, il n’est pas toujours possible d’éviter les chutes. Il est alors important de savoir les repérer pour réagir le plus rapidement possible. Car selon des études médicales, lorsque la personne reste au sol plus d’une heure, elle a deux fois plus de chances de mourir dans les six mois suivant son accident. Le logement connecté, avec le soutien de l’intelligence artificielle, peut participer à la détection d’événements anormaux : chute, personne qui reste immobile, absence d’activité dans l’habitation…
La plupart des acteurs œuvrant dans le domaine de l’adaptation du logement (salles de bains sécurisées, habitat connecté, téléassistance…) soulignent l’importance d’adopter de tels équipements à titre préventif plutôt qu’à la suite d’un événement grave.
La technologie pour capter les données
Des dispositifs bien connus, comme des médaillons ou des bracelets, souvent reliés à un centre de téléassistance, permettent de déclencher une alerte manuellement ou automatiquement en cas de problème (par exemple si le rythme cardiaque est anormal ou en cas de chute, à savoir un déplacement rapide suivi d’immobilité).
De nouvelles alternatives, plus complètes et plus discrètes, dans la mesure où elles ne nécessitent de porter aucun appareil, prennent le relai. Elles utilisent divers capteurs – de mouvements, d’ouverture, d’humidité, de température, de luminosité… – évidemment capables de détecter une chute, mais qui captent aussi des données de santé, ainsi que des informations en apparence anodines qui peuvent pourtant en dire long.
L’IA pour les analyser
Prises de manière indépendante, certaines de ces données peuvent avoir du sens. Mais c’est surtout lorsqu’elles sont considérées dans leur ensemble et finement analysées qu’elles sont intéressantes. C’est là que l’IA intervient, pour trier les informations pertinentes et émettre des alertes en cas d’anomalies. Les algorithmes signalent des situations d’urgence (malaise, chute…) ou à titre préventif, des situations anormales, qui peuvent par exemple être le signe d’une dégradation de l’état de santé ou d’effets indésirables d’un traitement médical…
« L’intelligence artificielle permet de détecter des choses et des glissements qu’on ne voit pas à l’œil nu et d’émettre des recommandations. »
Alain MonteuxPrésident de Tunstall Vitaris France et Benelux
« Pour la détection préventive et la détection de chutes, on met en place des capteurs assez simples : des capteurs d’ouverture de porte, d’ouverture de tiroirs, de détection de mouvements… qui permettent de suivre l’activité ainsi que les changements, les évolutions dans l’activité. Ils sont reliés à un terminal de téléassistance qui envoie les informations. Une intelligence artificiellec les analyse et émet un rapport d’activité hebdomadaire avec d’éventuelles recommandations d’actions », explique Alain Monteux, président de Tunstall Vitaris France et Benelux (spécialiste de la téléassistance), vice-président de l’Afrata (Association française de téléassistance) et administrateur de la FESP (Fédération des services à la personne).
« On peut ajouter des capteurs optiques qui permettent d’analyser plus de choses et de faire des analyses plus poussées. Grâce à l’image, il est notamment possible de faire de la détection automatique de chute sans rien avoir à porter », précise-t-il. L’IA est chargée de déceler des changements d’habitudes de différentes natures : décalages des horaires de lever ou de coucher, des heures de repas, sauts de certains repas, réveils plus fréquents la nuit, allure du pas modifiée, activités quotidiennes décalées ou abandonnées…
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Dans certains cas, il s’agit d’ailleurs de changements infimes, imperceptibles pour les aidants comme pour les opérateurs de téléassistance. « L’intelligence artificielle permet de détecter des choses et des glissements qu’on ne voit pas à l’œil nu et d’émettre des recommandations », complète Alain Monteux. Dans le cas de Tunstall, les alertes sont envoyées à une équipe de soins qui se coordonne pour réagir en conséquence (préconisations d’adaptation du logement, d’ajustement de traitement médical…).
En ce sens, l’IA peut aussi être utilisée en soutien des plateformes de téléassistance, pour « aider à mieux détecter des situations de stress ou des situations qui ne sont pas dites nommément, par l’utilisation de certains mots, par le ton de la voix, par ce type de facteurs… », une piste sur laquelle Tunstall travaille actuellement.
Le juste milieu entre technologie et présence humaine
Dans le cadre du maintien à domicile, la technologie et l’IA n’ont pas vocation à se substituer à la présence humaine, mais à apporter un soutien pratique et logistique. Ces innovations ne remplacent pas les visites d’aides à domicile, de personnels soignants ou des proches aidants, autant de présences nécessaires pour maintenir un lien social et effectuer certains gestes du quotidien (aide à la toilette, préparation de repas…).
Au même titre que Tunstall, la startup Solinnov, spécialisée dans les technologies au service du maintien à domicile, utilise l’IA pour faire remonter des alertes et les trier. L’humain est sollicité en cas de réel besoin ou problème. C’est pourquoi avec sa « maison bienveillante », Solinnov n’évoque plus le concept de logement connecté, mais lui préfère celui de « logement augmenté ».
« Au travers d’un dispositif qui soit technologique, technique, mais aussi humain (…) en alliant l’humain à la technologie, on peut agir sur des domaines de préservation de l’autonomie et de préservation de la santé », estime Matthieu Herault, ingénieur R&D chez Solinnov (webinaire sur le logement connecté au service du bien-vieillir).
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Pour la startup, il s’agit d’un savant mélange entre présence humaine et technologies. « Ces briques [domotique, téléassistance, assistance vocale, ndlr] apportent un certain confort, mais, prises une à une, elles ne couvrent pas tous les besoins des habitants, des aidants (…) Ce que nous mettons en avant, c’est un nouveau standard de logement, qui s’adapte à son habitant avec transparence, qui ne bouscule pas les habitudes. »
Éthique et sécurisation des données
Toutes ces solutions posent forcément la question de la sécurisation des données. « Ce qui est important, c’est de bien sécuriser les données et à qui on donne accès à ces données », souligne Alain Monteux, qui insiste sur un point : le service de téléassistance est juste là pour remonter les alertes et gérer les urgences. « Certains aidants achètent des caméras, les mettent en place et regardent régulièrement ce qui se passe, sans forcément dire grand-chose à leurs parents. Les données ne sont pas sécurisées et il n’y a aucune notion d’éthique et de respect de la personne. »
Pour Tunstall, justement, il n’est pas question d’installer de solution contre le désir du bénéficiaire, même si ses proches insistent. Même engagement chez Solinnov concernant le respect de la vie privée des seniors et la préservation de leur intimité. Toutes les données restent au sein du logement, sans que les proches y aient accès. Seuls une anomalie et un risque avéré entraînent leur consultation.
Que ce soit Tunstall, Solinnov ou d’autres acteurs spécialisés, tous insistent sur la nécessité d’être transparent, pédagogue et de bien expliquer quelles données seront captées, à quelles fins. C’est indispensable sur le plan éthique pour faire accepter la présence des technologies au sein de l’habitation.
L’habitant doit être acteur
Qu’il s’agisse de téléassistance ou plus largement de logement connecté, il est important d’accompagner les seniors dans le processus d’appropriation. Anne-Sophie Le Ninivin, responsable de missions Logéal Immobilière, en parle très bien. Ce bailleur social a restructuré une résidence pour personnes âgées restée vacante, pour la transformer en 29 logements, tous connectés, dont dix destinés à des personnes en situation de handicap et dix adaptés aux seniors.
Lorsque la résidence a vu le jour début 2023, la connectivité était une prestation qui a priori n’intéressait aucun des locataires. Certains étaient réticents, d’autres pensaient qu’ils n’en auraient pas besoin. Bien entendu, on leur a laissé le choix d’utiliser les services connectés ou pas. « Au bout de quelques mois d’utilisation, la plupart des locataires âgés ou en perte d’autonomie déclarent que s’ils devaient quitter leur logement, ce serait pour un logement disposant des mêmes services connectés. Certains ont indiqué avoir gagné en indépendance, se sentir plus libres et en sécurité », indique Anne-Sophie Le Ninivin.
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Cette expérience montre que « le logement connecté correspond parfaitement aux enjeux du maintien à domicile. Le connecté n’est pas une fin en soi, mais c’est une des solutions qui permet d’accompagner le bien-vieillir », constate-t-elle. Il y a néanmoins une condition : il faut que l’utilisateur « adhère à la démarche. Il faut que l’habitant soit acteur ».
Autre point crucial pour que ces technologies soient acceptées par les seniors : elles ne doivent pas être stigmatisantes, ce qui a également son importance en cas de relocation ou de revente du bien. « Conçues selon un design prévu pour tous, ces solutions sont utiles à tous les âges de la vie ; tout comme un chemin lumineux est pertinent pour des enfants qui se lèvent la nuit, un système de pilotage du chauffage par pièce permet à tous de baisser la facture énergétique : parce que c’est le logement qui s’adapte et se met au service de ses occupants. Quoi qu’il arrive, ces aménagements offrent plus de confort et de sécurité et valorisent par ailleurs le patrimoine des propriétaires en lui conférant une réelle plus-value », souligne l’Ignes. C’est en ce sens que le logement connecté est un logement capable de s’adapter à ses habitants ainsi qu’à leur rythme de vie.