Chaque année, des milliers de documents soumis au dépôt légal entrent dans le domaine public et sont mis à disposition de tout un chacun par des organismes tels que la Bibliothèque nationale de France et l’INA. L’occasion de se replonger une bonne centaine d’années en arrière pour découvrir avec amusement la manière dont nos aïeux imaginaient notre siècle !
Un futur radieux…
La science-fiction et l’anticipation n’ont pas manqué, dès les années 1920, d’alerter sur les dangers liés aux nouvelles technologies. En effet, dès 1920, le Tchèque Karel Čapek envisage l’anéantissement du monde par les robots dans sa pièce R.U.R tandis qu’en 1927, l’allemand Fritz Lang promet lui aussi un futur plutôt sinistre dans son Metropolis.
Cependant, de l’autre côté du Rhin, dans une France alors plutôt prospère et sortie gagnante de la Grande Guerre, il semble qu’on ait envisagé à cette époque un avenir plus positif.
Ainsi, le dramaturge français Henry de Gorsse monte en 1920 la pièce En l’an 2020, dans laquelle un employé de bureau se porte volontaire pour un voyage temporel de 100 ans. Il se réveille au XXIe siècle, dans un monde marqué par une certaine violence (la peine de mort y est toujours appliquée et les policiers utilisent des « bâtons électriques » très brutaux), mais aussi par un certain progrès social. L’aspirateur et l’escalier roulant y ont facilité la vie quotidienne, les déplacements sont désormais quasiment instantanés, et, surtout, les femmes sont devenues les égales des hommes.
C’est une vision partagée par nombre d’auteurs de l’époque, comme en témoignent les récits futuristes d’Albert Robida, romancier et illustrateur désormais un peu oublié, mais ayant consacré une bonne partie de sa carrière à spéculer sur le futur.
Dans Le Vingtième Siècle – Roman d’une Parisienne d’après-demain (1877), Robida imagine des déplacements instantanés, grâce à un métro mondial et des voies navigables couvrant toute la planète. Mais aussi de l’électroménager omniprésent, libérant du temps de loisir, et des femmes aux plus hautes positions sociales et politiques (on y croise des avocates et des députées). Ironiquement, Robida pointe, déjà, les limites du progrès, en parlant d’une vie dorénavant épuisante, sans repos, tournée vers une hyperproductivité vaine.
Son ultime roman, Un chalet dans les airs (1925) imagine une famille décidant de fuir un Paris futuriste saturé par les travaux de réfection et de mise aux normes… À bord d’une maison volante, engagée dans un tour du monde de dix ans plutôt réjouissant et optimiste, malgré quelques inquiétudes sur l’industrialisation de la société. On y découvre d’ailleurs deux des autres peurs des contemporains marqués par la Grande Guerre : les dangers des progrès militaires et la déshumanisation de l’individu.
… mais aussi impitoyable, entre guerre et malbouffe
C’est une obsession chez beaucoup d’auteurs du début du XXᵉ siècle : dans le futur, on mangera tout sous forme de pilules déshydratées, et ça ne sera sans doute pas très bon. Les artistes d’alors, plutôt convaincus par la notion de progrès scientifique, en percevaient déjà très bien les limites. Des angoisses liées à l’essor de la société industrielle et au changement de mode de vie trop rapide qui font imaginer à Charles Nicolle, dans une nouvelle de 1934, la disparition pure et simple de l’humanité.
Mais, davantage que des problèmes de pilules au goût de steak de synthèse, les auteurs du premier quart du XXᵉ siècle semblent travaillés par l’angoisse des nouvelles techniques militaires. Ainsi que par une manière de faire la guerre de plus en plus destructrice et impitoyable. Robida lui-même détaillait ses craintes dans des ouvrages tels que La Guerre au XXe siècle (1887) imaginant un conflit mondial vers 1945, ou encore la terrifiante Guerre infernale (1907), spéculant sur un possible conflit apocalyptique autour de l’an 2000.
D’une manière générale, le ton est alors souvent le même pour imaginer l’avenir : un développement massif et démocratique des infrastructures et des technologies, des progrès sociaux indéniables, mais une certaine perte de sens et une montée de périls nouveaux. Une vision partagée par exemple par un chroniqueur du Petit Parisien en 1923 devant une vitrine futuriste d’un magasin imaginant Tombouctou au XXe siècle en mégalopole tentaculaire : à la fois spectaculaire et dangereusement vertigineux. La vérité n’était, au fond, pas si éloignée.