Entretien

Olivia Ruiz : “Le rapport amoureux est toujours très inspirant, notamment quand il est lié au corps”

29 février 2024
Par Benoît Gaboriaud
Olivia Ruiz sort ce 1er mars “La Réplique”.
Olivia Ruiz sort ce 1er mars “La Réplique”. ©Charlotte Abramow

Après huit ans d’absence, Olivia Ruiz donne La Réplique aux combattants et combattantes, dans un sixième album électrique, électronique, chaloupé et engagé. Rencontre.

Olivia Ruiz nous aura fait patienter huit ans avant de donner une suite à son précédent album À nos corps-aimants (2016). Pour autant, l’artiste jouissant d’une liberté créatrice rare n’a pas chômé. Affranchie de toutes chaînes la rattachant à un genre, elle a entre-temps investi les théâtres avec les spectacles Volver (2016) et Bouches cousues (2019). Puis, en parallèle, elle s’est lancée dans l’écriture de deux romans à succès, La Commode aux tiroirs de couleurs (LgF, 2020) et Écoute la pluie tomber (JC Lattés, 2022). Féminicide, écologie, post-partum, immigration… La Réplique, sa dernière création musicale, se présente comme le miroir de notre époque. Olivia Ruiz revient pour L’Éclaireur sur la genèse de ce nouvel album. 

Depuis votre dernier disque, À nos corps-aimants, vous avez écrit deux romans, deux spectacles et joué la comédie… Qu’est-ce qui vous a poussée à revenir à l’écriture d’un album ?

Mon spectacle musical Bouches cousues – un voyage dans les chants révolutionnaires espagnols et les bandes originales de films qui font le pont entre l’Espagne et la France – rendait hommage aux migrants et aux résilients. Au moment de la tournée, la guerre en Ukraine a éclaté. Le spectacle s’est mis à résonner différemment.

À chaque représentation, nous étions, mes musiciens et moi, totalement dépassés par l’émotion. Au bout d’un certain temps, nous avons eu envie de revenir à des chansons électriques basées sur une énergie communicative. Nous nous sommes lancés, puis je me suis enfermée en studio avec Nino Vella et Vincha, et voilà le résultat ! Pour ma part, je m’épanouissais tellement dans d’autres domaines que je n’ai pas vu le temps passer.

Clip de La Réplique d’Olivia Ruiz.

La Réplique, le morceau qui donne son nom à l’album, est une ode aux combattantes, à celles qui ne se laissent pas enfermer dans des cases. Quelles sont les femmes artistes qui vous inspirent ?

Il y en a beaucoup, mais je peux citer Frida Kahlo, Annie Ernaux, Patti Smith, Karol G, Louise Bourgeois ou encore Björk.

Votre chanson La Fièvre est justement inspirée de Se perdre, un texte d’Annie Ernaux extrait de son journal intime. De quoi parle-t-elle ?

Le livre d’Annie Ernaux raconte l’histoire d’une femme de la quarantaine ayant une aventure avec un homme plus jeune, un diplomate russe insaisissable. À ses côtés, elle se sent vivante comme jamais. Elle souffre quand il lui échappe, mais elle ne veut pas en faire l’homme de sa vie pour autant. C’est davantage son corps que son cœur qui l’appelle. Ce livre m’a éclairé sur les rapports humains et a fait écho à une partie de moi. Le rapport amoureux est toujours très inspirant, notamment quand il est lié au corps.

Olivia Ruiz.©Delphine Pincet

Électrique et électro, cet album sollicite le corps, pour le faire bouger et danser. Cette démarche faisait-elle partie de votre envie de départ ?

Oui. Dans mon brief initial, j’ai mentionné que je voulais réveiller le bas-ventre avec des sub-bass et le thorax avec des tweets. Les sons électroniques stimulent le corps, comme les sons tribaux dans la transe. L’idée était de créer un mouvement au fil de l’album, avec des variations et des contrastes très prononcés.

La danse est-elle essentielle pour vous ?

Tout ce qui permet au corps d’exulter et de s’alléger me semble essentiel !

Olivia Ruiz.©Delphine Pincet

La chanson Tu danses y fait allusion, mais elle traite davantage du féminicide.

J’ai indirectement rencontré Nadia, l’héroïne de cette chanson, grâce à Sarah Barukh, une romancière qui a échappé à un féminicide en s’enfuyant avec son bébé. Après s’être reconstruite, elle a souhaité rendre hommage aux victimes, car finalement, dans un article de presse qui traite du sujet, on en apprend souvent plus sur l’assassin que sur la victime. Sarah a rassemblé des documents sur les 125 féminicides recensés cette année-là. Ainsi, elle a contacté les proches et elle leur a demandé de raconter qui étaient les victimes.

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Ensuite, elle a demandé à 125 autrices d’écrire un texte sur elles, ce que j’ai fait. Après avoir écouté un enregistrement de trois heures, j’ai écrit sur Nadia. La danse était son exutoire. Mais, après avoir livré mon texte pour le recueil 125 et des milliers : 125 personnalités racontent…, j’avais l’impression de ne pas avoir accompli ma mission. J’avais un projet de chanson autour de la danse que je voulais dédier à mon fils ou à ma mère, mais Nadia leur a volé l’idée. Cette chanson était pour elle.

Sur cet album, l’espagnol prend davantage de place. Était-ce réfléchi ?

Non ! L’espagnol est arrivé naturellement. Pour la première fois, cet album ne contient aucune chanson en anglais. J’ai désormais perdu mes deux derniers aïeuls d’origine espagnole. J’ai voulu porter haut les couleurs de cette famille dans son ensemble. Lors de leur exil, ils ont cru qu’ils devaient sacrifier leur origine pour être de bons Français. En utilisant l’espagnol, je leur rends hommage et je n’oublie pas d’où je viens.

L’immigration reste-t-elle votre thème de prédilection ?

Oui ! Anne Hidalgo disait : “Je ne me lasserai jamais d’affirmer que je suis une femme et une enfant d’immigrés espagnols”, moi non plus !

Olivia Ruiz.©Charlotte Abramow

Votre œuvre traite de sujets universels ou intimes, et elle est, en partie, ancrée dans votre entourage proche. Votre famille nourrit-elle votre travail ?

Oui, mais sans forcément en être le sujet. Dans le refrain de la chanson Le Sel, je remercie mon fils de me donner de la force quand rien ne va plus, mais cette chanson s’adresse à tous les parents isolés et aux couples qui se retrouvent face à de grandes responsabilités, et qui ont l’impression de se noyer. Avant tout, la chanson traite du vertige de la maternité, du trouble post-partum, et se veut rassurante. Je leur dis qu’ils ne sont pas seuls, que ça m’est arrivé comme à beaucoup de gens. Il faut se raccrocher à ce regard qui nous permet de voir le monde par un prisme différent. 

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Vous écrivez des chansons, des livres, des spectacles… Avez-vous d’autres envies ?

Avant d’être chanteuse, j’ai eu une formation de comédienne et j’adorerais davantage jouer la comédie. Dans mes projets, je suis la patronne. En tant que comédienne, je sers le projet de quelqu’un d’autre. J’adore déceler un sentiment de satisfaction dans le regard d’un réalisateur quand la prise est bonne. 

Aimeriez-vous écrire ou réaliser une comédie musicale pour le cinéma ?

J’adorerais porter à l’écran mon spectacle Volver. En ce moment, je travaille sur l’adaptation en série de mon premier roman La Commode aux tiroirs de couleurs. Je chapeaute l’écriture. Vous en saurez plus très vite !

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