Critique

Écoute la pluie tomber, d’Olivia Ruiz : les souvenirs du village

13 mai 2022
Par Milo Penicaut
Écoute la pluie tomber, d’Olivia Ruiz : les souvenirs du village
©Joël Saget/AFP

Après une entrée remarquée dans le monde de la littérature avec La Commode aux tiroirs de couleur (JC Lattès, 2020), vendu à plus de 100 000 exemplaires, Olivia Ruiz revient avec un deuxième roman tout aussi réussi.

Marseillette, Occitanie, 1977. Tragédie : la nièce adorée de Carmen, Cali, meurt en couches. Entre les murs du café familial qu’elle a si longtemps cherché à fuir, Carmen s’immerge alors dans ses souvenirs. Elle se rappelle, tantôt avec rage, tantôt avec tendresse, de celles et ceux dont elle a croisé la route et qui ont irrémédiablement altéré la sienne, pour le pire comme pour le meilleur : Cali, Antonio, La Yaya, Escouto, Violette et puis Rita…

La Terrasse, café-monde

De son écriture vive et lumineuse, Olivia Ruiz dépeint la vie de village. Il y a les trois sœurs Ruiz-Monpean, exilées républicaines de la dictature espagnole franquiste, et qui tiennent d’une main de fer le café du village, La Terrasse, depuis leur arrivée en France. Il y a Saint-Amaux et Manu, les habitués attachants du « café-monde », et puis Escouto, le fils de la voisine, qui a bien grandi, mais qui ne dit toujours pas plus de trois mots. L’autrice raconte avec justesse ce qui fait, ce qui tient une communauté : les liens du sang, certes, mais aussi la famille choisie, celles et ceux que l’on recueille, que l’on accueille dans son petit monde à soi.

« Escota quand Plóu est né un soir de novembre où la pluie s’abattait sur la clinique au point que Violette avait peur que le toit s’effondre sur elle. Quand l’orage commença à secouer le ciel, elle s’inquiétait tant que son petit s’en effraie qu’elle improvisa une berceuse pour couvrir les grondements de la tempête qui résonnaient jusque dans sa chambre. “Escota, escota quand plóu. Escota, escota quand plóu, escota, escota.” (Écoute, écoute la pluie tomber. Écoute, écoute la pluie tomber, écoute, écoute.) »

Olivia Ruiz
Écoute la pluie tomber

Et puis il y a des femmes, surtout : une lignée de femmes fortes, libres, déterminées. Olivia Ruiz nous embarque dans la vie mouvementée de Carmen, sa sensualité assumée malgré le regard de la société, sa résilience face aux épreuves de la vie et à la violence des hommes. Il y a quelque chose de Modesta, l’héroïne du chef-d’œuvre de l’anarchiste italienne Goliarda Sapienza, L’Art de la joie (1998), dans le personnage de Carmen. Avec Écoute la pluie tomber, Ruiz offre une histoire à la fois tragique et joyeuse, qui célèbre l’essentiel : ce qui nous relie aux autres et à nous-mêmes – l’amour, l’amitié, l’écriture et les livres. On y déplore seulement un passage cliché sur les gitans, miroir d’une société encore remplie de stéréotypes discriminants envers une communauté gitane fortement marginalisée.

Olivia Ruiz, (ra)conteuse d’histoires

Devenir romancière ? Olivia Ruiz, chanteuse, compositrice et actrice à succès, y est arrivée un peu par hasard. Olivia de Dieuleveult, son amie et agente, l’a d’abord incitée à écrire une version longue d’une nouvelle retrouvée au fond d’un tiroir. Ruiz s’exécute, et Dieuleveult envoie, sans son accord, le manuscrit – inachevé – à des maisons d’édition. Et les réponses positives pleuvent. La Commode aux tiroirs de couleur (JC Lattès, 2020), fresque romanesque sur l’exil et l’Espagne franquiste, rencontre un franc succès.

« Il y a longtemps que j’ai envie de prendre la liberté d’écrire », confiait Olivia Ruiz au micro du journaliste musical David Varrod. Ce qu’elle aime dans la littérature, c’est qu’elle lui permet d’échapper à la frustration des paroliers : devoir en dire beaucoup en peu de mots. La littérature permet aux petites graines plantées çà et là dans ses chansons et autres créations de pousser – « c’était très confortable, d’avoir l’espace que je voulais, et vertigineux à la fois. » Écoute la pluie tomber confirme ce que La Commode aux tiroirs de couleur avait déjà rendu évident : Olivia Ruiz est une formidable conteuse qui a toute sa place dans le monde littéraire – n’en déplaise aux médias qui ont du mal à accepter les qualités littéraires d’artistes connues pour autre chose.

Écoute la pluie tomber, d’Olivia Ruiz. En librairie depuis le 11 mai 2022.

Écoute la pluie tomber, de Olivia Ruiz, JC Lattès, 19,90€. En librairie depuis le 11 mai 2022.

Article rédigé par
Milo Penicaut
Milo Penicaut
Journaliste