Dans Le Bonheur est pour demain de Brigitte Sy, Damien Bonnard et Laëtitia Casta vivent un amour contrarié par les murs d’une prison. Nommé aux César à déjà quatre reprises, Damien Bonnard fait les beaux jours du cinéma français et d’Hollywood, chez Wes Anderson ou plus récemment Yórgos Lánthimos dans Pauvres Créatures. Rencontre.
Une histoire d’amour où les amants sont séparés par un mur au bout de 20 minutes, ce n’est pas banal. Est-ce pour cela que le projet vous a séduit ?
L’histoire que Brigitte Sy voulait raconter est quelque chose de présent dans beaucoup de ses films. Ça m’a évidemment touché. Je n’avais encore jamais eu ce genre de rôle. Beaucoup de choses m’ont attiré : l’amour, certes, mais sous toutes ses formes. L’amour de Claude pour Sophie (Laëtitia Casta), mais aussi pour sa mère (Béatrice Dalle), son frère (Karl Achard) et tous les questionnements autour de l’amour qui détruit, dans ce qu’il a de beau et violent à la fois… Le film raconte un amour qui arrive à se vivre là où c’est impossible, où l’on est jamais seuls et où il n’y a pas d’espace pour s’aimer, que ce soit face à des murs réels ou mentaux.
Vous aviez déjà travaillé avec la réalisatrice par le passé. Quel genre de cinéaste est-elle ?
C’est avant tout le fait que Brigitte me propose de travailler avec elle qui m’a donné envie de faire le film. Je connaissais son travail depuis longtemps et j’avais obtenu un petit rôle dans L’Astragale (2015). Beaucoup de gens se couvrent avec des plans qui vont dans tous les sens, tournés dans tous les angles et qui attendent finalement le montage pour construire le film. Brigitte, elle, fait des choix de mise en scène et de points de vue radicaux, qui racontent quelque chose et évitent la grammaire habituelle du cinéma.
Comment vous êtes-vous glissé dans la peau de votre personnage ?
Le film étant avant tout l’histoire de Sophie, je me suis plongé dans des récits de femmes dont le mari est en prison. J’ai aussi passé beaucoup de temps sur la plateforme de l’INA à regarder des documentaires ou des flashs infos des années 1990. En termes de cinéma, Brigitte m’a surtout conseillé de voir Mesrine (1984) d’André Génovès.
J’ai l’habitude de passer par un tas de techniques pour trouver mon personnage. Ça peut être un parfum, par exemple. Ce que je fais souvent, c’est de mettre un mot sur ma porte. Cette fois-ci, j’ai écrit “Attention à la police”. Pendant toute la préparation, je sortais de chez moi comme si j’étais en cavale ! Il fallait être le plus discret possible, même pour faire mes courses. Ne jamais se faire remarquer, être invisible. C’est ce que Claude a dû vivre à plusieurs reprises, il n’en est certainement pas à son premier braquage. Je sortais dans la rue en me disant que n’importe qui pouvait potentiellement être flic et m’identifier, alors qu’en réalité je n’ai aucune raison d’être en cavale…
Que pouvez-vous nous dire à propos de votre partenaire de jeu, Laëtitia Casta ?
C’est une actrice surprenante, elle a ce quelque chose qui fait qu’elle parvient toujours à faire surgir la vie dans une scène. Elle emporte tout le monde dans son énergie, son inventivité, elle est pleinement là. Comme avec Leïla Bekhti sur le film de Joachim Lafosse, Les Intranquilles, il y a eu tout de suite, entre elle et moi, quelque chose de collégial, une complicité qui nous permettait de proposer des choses et d’être là à 100% pour le film.
Dès notre premier rendez-vous après les premières lectures du scénario, on a, par exemple, commencé à parler des costumes. Ce sont des personnages hauts en couleur que l’on a envisagés comme des puzzles à reconstruire.
Y a-t-il une scène qui fut plus difficile à tourner que les autres, ou au contraire une scène que vous avez particulièrement pris plaisir à jouer ?
Pas vraiment. Par contre, il y a des choses qu’on ne nous permettait pas forcément de jouer pour des questions de temps et de moyens de production. Il y a notamment la scène, pour laquelle j’ai beaucoup insisté auprès de Brigitte, où mon personnage s’apprête à prendre la fuite et fait finalement demi-tour à moto pour retrouver Sophie. Nous n’avions pas le temps de la tourner mais, un soir, j’ai dit à Brigitte qu’il fallait absolument qu’on la fasse, qu’on montre que cet homme était sur le point de partir, mais que cette fille est tellement dans sa tête qu’il fait demi-tour.
Un soir, nous avons improvisé et le cascadeur est venu. Nous étions juste à côté d’un décor que l’on voit plus tôt dans le film où j’avais déjà repéré un petit bout de route. Tout le monde était fatigué, mais on s’est dit que l’on pouvait le faire. En soi, je ne suis même pas dans la scène, ce n’est pas moi devant la caméra, mais c’était essentiel pour moi, pour le film. On l’a fait et je suis très heureux qu’on ait réussi à tourner cette scène.
En amont de notre entretien, vous avez souhaité recevoir nos questions pour vous y préparer. Est-ce à l’image de votre implication sur un projet?
J’ai toujours l’impression de ne pas répondre assez bien aux choses. J’entends tellement de gens qui parlent bien que je me mets un peu la pression. J’aime bien creuser un petit peu les questions dans ma tête et prendre le temps de chercher mes mots plutôt que de dire la première chose qui me vient à l’esprit – même si ça peut être juste, par ailleurs. Ça me parait plus riche.
Vous n’êtes donc pas très friand d’improvisation ?
Non, en effet. Ça peut m’arriver d’en faire, mais j’ai besoin d’un cadre. En improvisation, on peut vite répéter des choses et ça devient alors très ennuyeux. On se retrouve parfois à faire ce qu’on dit et à dire ce qu’on fait… Je suis plutôt partisan de travailler beaucoup un texte pour donner l’impression que c’est de l’improvisation, comme c’était le cas sur Les Intranquilles. C’est par le travail et l’implication que j’arrive à être libre en tant qu’acteur.
D’où vous est venu le désir d’être acteur ? Est-ce que ça vous est tombé dessus un peu par hasard ?
Je ne savais pas quoi faire de ma vie ! Je n’ai jamais rêvé de ça, ni dans mon enfance, ni comme jeune adulte. Quand j’étais aux Beaux-Arts, je faisais des choses qui s’en rapprochaient avec mes performances en public, je réalisais de petits films, mais c’était bien plus de l’ordre de l’expérimentation.
Avec le recul, je me rends compte que tous les métiers par lesquels je suis passé étaient des lieux où je me passionnais pour de nouvelles manières d’appréhender la vie, des nouveaux horaires, se lever à 5 heures du matin pour aller pêcher, faire des pizzas le soir ou travailler au CNRS. Je me suis passionné pour ces lieux, leurs mécaniques et leurs langages. Au final, je me suis plutôt bien arrangé puisque le métier d’acteur me permet de faire la même chose – et même certaines choses interdites par la loi ! J’ai trouvé la manière de pouvoir expérimenter et partir à la découverte du monde de manière encore plus large.
Votre filmographie illustre cela, vous semblez accumuler des rôles très différents.
J’espère toujours avoir accès à des choses que je n’ai pas encore pu expérimenter. Par exemple, je viens de terminer un film de Sylvain Desclous dans lequel j’incarne un directeur de travaux à la tête du chantier d’une grande tour de La Défense, Le Système Victoria, adapté du roman éponyme d’Éric Reinhardt. Je viens aussi d’accepter de faire un autre film dans lequel je joue cette fois un ouvrier sur un grand chantier. C’est passionnant d’avoir joué quelqu’un qui gère ce type de chantier et d’incarner un ouvrier seulement quelques mois plus tard.
On vous a récemment aperçu dans Pauvres Créatures de Yórgos Lánthimos. Vous aviez déjà collaboré avec lui et Emma Stone sur le court-métrage Bleat avant la pandémie. Que pensez-vous de leur duo ?
C’était des expériences géniales. Bleat est un film muet en noir et blanc sur l’amour, la mort, qui pose des questions d’ordre philosophique et poétique. Il a été conçu pour être diffusé avec un orchestre en live et j’espère que l’on pourra trouver un endroit pour le montrer un jour en France.
Comme j’ai pu le ressentir avec Laëtitia ou Leïla, Yórgos et Emma partagent une complicité artistique très forte. Ils sont tous les deux dans une mécanique qui me plaît, très chargée en poésie et en art – dans le sens d’un art qui rassemble tous les autres. C’est peut-être bête à dire, mais je pense qu’ils partagent cette énergie qui vient du fait qu’on doit toujours se dire qu’on ne fait un film qu’une seule fois dans sa vie et qu’il faut aller ensemble vers ce même but. Ça demande à la fois du travail, de la complicité et une implication totale.
Quels sont vos derniers coups de cœur culturels ?
J’ai récemment revu une exposition de l’artiste belge Francis Alÿs. Je me souviens d’une de ses performances à Mexico, il était parti du lieu où il résidait avec un pot de peinture dans lequel il avait fait un petit trou. Il s’était baladé toute la journée pour pouvoir partir au bout de l’inconnu et en revenir, comme un fil d’Ariane. Cette fois-ci, il présentait une série de vidéos dans lesquelles il filme des jeux d’enfants. Il y a des jeux où l’on se rend compte que, déjà enfants, on a appris à être dans des rapports de pouvoir, comme les chaises musicales. On y apprend qu’il n’y aura jamais de la place pour tout le monde. C’est très violent !
Le dernier film qui m’a vraiment bouleversé, c’est Anatomie d’une chute de Justine Triet. Par le scénario, l’interprétation des rôles principaux, ainsi que le choix de faire intervenir des comédiens et comédiennes extraordinaires qui viennent du théâtre. Il y a aussi eu la découverte de Kim Higelin dans Le Consentement, car j’ai eu l’honneur qu’elle me choisisse comme parrain pour les Révélations des César 2024. Son jeu est dingue pour un premier film, ce ne sont pas des choses évidentes à jouer et elle le fait de manière ultraforte.
Pour finir, en théâtre, c’est une pièce de Harold Pinter, Trahisons, que je vais avoir le plaisir de jouer l’année prochaine avec Swann Arlaud et Marie Kauffmann dans une mise en scène de Tatiana Vialle. C’est une pièce magique. Ce seront mes premiers pas au théâtre. Peut-être que je mourrai sur scène !
Le Bonheur est pour demain, de Brigitte Sy, avec Laëtitia Casta, Damien Bonnard et Béatrice Dalle, 1h40, en salle depuis le 31 janvier 2024.