Ma part de Gaulois est l’adaptation du livre éponyme de Magyd Cherfi. Réalisé par Malik Chibane, le long-métrage raconte, dans la France des années 1970-1980, le parcours de Mourad dont la mère n’a qu’une obsession : qu’il obtienne son baccalauréat. À l’occasion de sa présentation au Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez, L’Éclaireur a rencontré son duo d’acteurs, Abdallah Charki et Adila Bendimerad.
Quelle émotion ressentez-vous à présenter un film au Festival de l’Alpe d’Huez ?
Abdallah Charki : C’est particulier, c’est dû à l’attente. Comme nous sommes dans l’attente, nous sommes excités. Dès que le film sort et qu’on le voit, toute l’énergie redescend. La pression passe. Il y a quelque chose de l’ordre de la reconnaissance. Nous sommes très fiers de faire partie de ce projet-là avec Adila. C’est la première fois que nous voyons le film et que nous le présentons à un public.
Adila Bendimerad : Nous avions tous décidé de le voir en premier au Festival de l’Alpe d’Huez, avec le public, sur grand écran. Quand je suis sortie de la projection, j’ai juste eu envie de dire “Bravo Malik et merci Malik”, car quand on lit le scénario, le film aurait pu être traité comme un film très naturaliste. Cependant, quand on est arrivé sur le tournage, on a découvert un univers de studio ; un univers graphique que Malik a façonné au fur et à mesure de la mise en scène. Les partis pris sont très originaux. Par ce biais-là, j’ai redécouvert le film, parce que je ne m’attendais pas à cela. J’ai été vraiment surprise !
A. C. : Le parti pris était clairement assumé. Je trouve que le résultat est magnifique, Malik a créé un vrai univers. Il a sa patte, on le voit très bien. C’est aussi ce qui nous a mis dans une énergie particulière pendant le tournage.
Comment cette mise en scène vous a-t-elle aidé à trouver vos personnages ?
A. B. : J’ai été très marquée par la mise en scène quand le jeune acteur, qui incarne Mourad petit, arrive dans la cuisine. Dans cette scène, je lui parle, puis il s’en va. Ensuite, nous nous sommes mis à courir derrière la caméra, à changer de costumes et à réapparaître de l’autre côté. Tout cela, c’est un plan de séquence. Il y avait donc un côté théâtral. On devait se mettre en place devant la caméra au bon moment… Il y avait un gros travail de rythme.
Je pense aussi à la scène dans laquelle on travaille l’ombre chinoise avec Lyes Salem. C’est très naturaliste et comme on est dans l’ombre chinoise, on change notre corps. On doit donner un autre effet. C’est super pour les acteurs. On sent le film travailler en nous. On est plus que dans nos personnages, on est dans le film.
C’est aussi l’adaptation d’un livre. Quel a été le travail par rapport à l’œuvre de Magyd Cherfi ?
A. B : J’ai lu le roman après avoir fini le film. Je voulais que mon langage principal soit le cinéma et le regard de mon metteur en scène. Je suis un soldat discipliné ! Malik avait sa vision et il y avait aussi beaucoup de sa maman dans le film, comme de celle de Magyd Cherfi dans son roman. Par ailleurs, quand j’ai entendu parler du projet, je venais de sortir de la maternité, je venais d’accoucher, j’ai donc plongé dans le film. C’était très particulier, car j’étais maman pour la première fois et je devais jouer une maman. À un moment, j’ai puisé en moi et je me suis laissée guider par le metteur en scène.
Je me suis permis cette réinterprétation qui passe par moi, par Malik, mais qui passe aussi par les documentaires sur les femmes et les hommes de familles d’immigrés puisque je ne suis pas issue de l’immigration. Je suis née en Algérie, donc je ne connaissais pas l’histoire des miens venus en France, il y a quelques décennies. Cette histoire m’a bouleversée. Je trouve qu’elle méritait d’être racontée.
A. C. : C’est ça qui est beau, car chaque acteur a sa manière de travailler. Dès que l’on m’a dit que je devais passer le casting, j’ai lu le livre pour essayer d’interpréter Magyd avec ses habitudes. Ce qui est important dans ce rôle, c’est aussi la relation qu’il a avec sa mère. J’ai essayé de savoir, à la lecture, comment la mère avait éduqué le fils, parce qu’à partir de ce moment-là, on voit quelle relation ils peuvent avoir. J’ai aussi regardé beaucoup de documentaires sur cette époque, sur leurs habitudes, leur façon d’être ou le savoir. C’était super intéressant.
A. B : Il y a quelque chose dans l’histoire que je comprends très bien, car c’est inscrit dans notre histoire, mais aussi dans la scolarité des Algériens. Je connais aussi l’acharnement que peuvent avoir les mamans algériennes, l’enjeu que c’est pour elles de dire à leurs enfants qu’il faut aller à la fac. C’est mon histoire en tant qu’Algérienne. Je la connais, je la sens.
Est-ce important d’apporter de la légèreté à des sujets sérieux comme les relations familiales ou l’indépendance algérienne ?
A. B : Je ne trouve pas que ce soit de la légèreté. Je considère que dans le mécanisme d’acteur, dans la comédie, on se doit presque d’être dix fois plus sincère que dans la tragédie. Ce n’est pas léger, c’est profond. Plus on va aller profondément, plus on va être spontané. Et plus on est connecté au moment, plus c’est drôle, parce que la comédie déclenche des situations vraies. Il y a de la révélation là-dedans. C’est très émouvant que des sujets comme ça soient comiques. La comédie permet aussi de laisser place à la pudeur et à l’autodérision. Elle permet aussi de relativiser, tout en étant hyper intense et connecté. J’étais contente de revenir à de la comédie, ça fait du bien. Il y a un truc vraiment cathartique, ça nettoie, ça dégourdit les jambes. Les films que je fais sont souvent des drames dans lesquels je meurs [rires].
Abdallah, que représente la part de comédie pour vous ?
A. C. : Elle est très importante, parce qu’on a besoin de souffler. Ces respirations-là sont parfaites si elles sont apportées dans la comédie. Ce ne sont pas des respirations, mais des expirations. On souffle, on rigole et après on retourne dedans. Si un film réussit à nous emporter dans ces deux émotions-là, je trouve qu’il est gagnant. C’est comme dans la vie : on rigole, on pleure, on s’énerve. Un film est censé retranscrire une vie.
Comment avez-vous travaillé votre dynamique ? Parfois, vous dépassez la simple relation mère-fils pour ressembler presque à des meilleurs amis.
A. B. : C’est avant tout la direction de Malik qui a permis cela. Abdallah m’a également tendu la main pour que l’on se rencontre. Je ne le connaissais pas et j’ai trouvé ça tellement charmant. Il m’a vraiment tendu la main et il a permis de créer cette relation. J’ai eu la sensation aussi d’être l’aînée en tant que comédienne et collègue. Je me devais d’être là pour lui. Malik me disait aussi que mon personnage avait eu son fils très tôt. Il y a toujours eu un côté amical entre eux. Je me suis inspirée aussi de certaines femmes que je vois avec leurs enfants. Et j’ai demandé à Abdallah de me montrer sa mère, car elle a fait partie de mes inspirations.
Quels sont vos derniers coups de cœur culturels ?
A. C. : J’ai adoré la pièce de théâtre Oublie-moi. Elle a gagné beaucoup de Molières. Je l’ai déjà vue deux fois, mais j’irais bien une troisième. Je suis effondré à la fin, à chaque fois. C’est magique, incroyable et bouleversant. J’attends aussi avec impatience de voir le film Pauvres Créatures.
A. B. : De mon côté, il faut que je rattrape Les Filles d’Olfa (2023). Il m’intéresse beaucoup sur le dispositif de mise en scène et je trouve que la réalisatrice a un parcours très particulier et très riche.
Ma part de Gaulois de Malik Chibane avec Abdallah Charki et Adila Bendimerad, 1h31, en salles le 31 janvier 2024.