Critique

Iron Claw : briser les corps, les cœurs et les esprits

24 janvier 2024
Par Robin Negre
La famille Von Erich dans “Iron Claw”.
La famille Von Erich dans “Iron Claw”. ©A24

Le nouveau film de Sean Durkin avec Zac Efron et Jeremy Allen White dépeint la vie d’une fratrie de catcheurs, entre l’exaltation de la réussite et la tragédie familiale.

Von Erich. Si ce nom passe plus ou moins inaperçu en France, il possède, aux États-Unis, une symbolique tout autre. Véritable dynastie de catcheurs dans les années 1980 et 1990, les Von Erich représentent plusieurs aspects du pays de l’Oncle Sam, entre le rêve, la déchéance, la recherche de la haute performance et le spectacle.

Dans Iron Claw, le réalisateur et scénariste Sean Durkin – Martha Marcy May Marlene (2011) et The Nest (2020) – s’empare de ces catcheurs exceptionnels et raconte à sa manière leur histoire tragique.

Zac Efron dans le rôle de Kevin Von Erich.©A24

Dans un mélange de sport, de fraternité, de douleur et d’échecs, Iron Claw dresse les hauts et les bas de quatre frères compétitifs sous le joug d’un père tyrannique, ancien lutteur revanchard qui considère que toute réussite doit s’arracher à l’autre au prix fort.

À travers la construction narrative du film et le développement de ses personnages, Sean Durkin touche plusieurs thématiques passionnantes et garde le même regard du début à la fin, offrant au long-métrage la stature d’un objet purement cinématographique qui ne se perd jamais en cours de route. C’est la force essentielle d’Iron Claw : faire du grand cinéma pour sublimer l’intime.

La vérité par le mensonge de la discipline

Le film coche toutes les cases de la réussite : scénario, mise en scène, photographie, direction artistique et casting. Or, tout l’intérêt passe par la façon de faire de Sean Durkin et le mélange de ces éléments pour en titrer le meilleur.

L’histoire commence par un noir et blanc somptueux introduisant le père, Fritz Von Erich, alors catcheur talentueux bien décidé à offrir une vie épanouissante à ses enfants. L’introduction pose tout de suite un regard paradoxal sur le personnage. Capable d’une extrême violence et d’une grande froideur, il est aussi profondément aimant et nourrit l’idée selon laquelle la famille doit évoluer vers un but noble : devenir champions du monde de catch.

Jeremy Allen White et Harris Dickinson sont Kerry Von Erich et David Von Erich.©A24

Une fois l’introduction passée, Iron Claw suit les quatre enfants Von Erich – adultes pour certains, adolescents pour d’autres –, contraints de suivre le chemin tracé par le père, puis rattrapés par le cours immuable de la vie. Ce biopic se présente comme une grande fresque familiale, avec ses moments de bonheur, de tristesse et l’alchimie incroyable entre les frères sur et en dehors du ring. Car c’est bien sur cette estrade que se joue le second aspect essentiel du film : le catch.

Le catch, la lutte spectacle, est un sport passionnant, qui joue sur la duperie et la mise en scène, tout en demandant une véritable justesse dans la technique. Iron Claw adopte forcément un regard très méta sur la discipline : mise en scène d’un sport également mis en scène, mais pourtant particulièrement impactant dans les coups, les chutes et les blessures. À chaque confrontation, le réalisateur parvient à rendre la rencontre différente de la précédente. Avec une réalisation focalisée sur des éléments distincts selon les matchs, il parvient à donner au sport une couleur aussi grandiloquente qu’effrayante, laisse tourner la caméra pour faire monter la tension et la fatigue, tout en jouant avec le point de bascule : où est-ce que le spectacle s’arrête pour devenir vrai ?

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Les corps se musclent ainsi à l’extrême pour ne devenir ensuite qu’objets de création artistique et de spectacle. Iron Claw, sans jamais tomber dans une violence graphique ou visuelle, parvient tout de même à faire ressentir cet aspect lorgnant vers le body horror, grâce à l’utilisation du son et de la suggestion.

Une simple chute sur le dos et un souffle coupé parviennent à illustrer l’intensité du catch, malgré les règles et l’aspect factice que tout le monde connaît.

Les acteurs réalisent eux-mêmes leurs scènes de catch.©A24

Qui dit corps musclés dit également acteurs impliqués jusqu’au bout dans ces performances physiques. Zac Efron en tête, mais également Jeremy Allen White et Harris Dickinson sont métamorphosés pour incarner avec brio les frères Von Erich. Zac Efron, connu pour ses participations à des comédies ou des films d’action, trouve un rôle à la hauteur de son talent en incarnant l’aîné de la famille, « le chouchou du père », et livre une prestation incroyable de fragilité, derrière une masse musculaire impressionnante.

Jeremy Allen White, récemment lauréat d’un Golden Globes pour The Bear – Sur place ou à emporter, ajoute magnétisme et charisme à la distribution. Enfin, Harris Dickinson – Sans Filtre (2022) –, offre son flegme et son charme à l’un des frères.

Holt McCallany incarne Fritz Von Erich.©A24

Dans le rôle de Fritz Von Erich, Holt McCallany est implacable, magistral et vient entériner tous les enjeux du film : comment plaire au père ? Comment vivre selon ses exigences démesurées alors même que de son côté, une froideur mécanique dicte son comportement et les relations qu’il entretient avec ses enfants ?

La malédiction Von Erich

Iron Claw a un dernier atout à présenter : aux éléments relatifs au film sportif ou familial s’ajoute le poids de l’histoire vraie et du tragique destin de la famille Von Erich. D’une façon absolue et récurrente, le malheur s’abat sur la famille, questionnant le rapport au temps qui passe, aux relations avec les autres, et même le but de la vie. Doux-amer, Iron Claw arrive à émouvoir, à toucher sensiblement et à offrir au film une portée plus grande.

C’est dans ces aspects que Zac Efron est stupéfiant. Kevin Von Erich, persuadé que la famille est maudite, se pousse dans ses propres retranchements et cherche une vérité qui n’existe malheureusement pas. L’acteur en devient d’autant plus émouvant et même, selon les scènes, effrayant.

Iron Claw. ©A24

Iron Claw est un fil dense et riche. Derrière la représentation d’une époque et d’un pays – il est toujours aussi fascinant de constater les paradoxes et les dérives des États-Unis –, la lumière est mise sur des personnages attachants, confrontés à la douleur physique, mentale et émotionnelle tout au long de leur vie.

La bande-annonce de Iron Claw.

Iron Claw embarque le spectateur dans la représentation minutieuse d’un sport singulier, mais c’est définitivement grâce à cette famille dysfonctionnelle attachante que le film restera longtemps dans nos têtes.

Iron Claw, de Sean Durkin, avec Zac Efron, Jeremy Allen White, Harris Dickinson, Lily James et Holt McCallany, 2h13, au cinéma le 24 janvier 2024.

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