Tahnee présente son premier spectacle à La Nouvelle Seine, à Paris, jusqu’à la fin de l’année, avant de partir en tournée en 2024 à travers la France. Baptisé L’Autre, ce seule-en-scène permet à l’humoriste d’aborder avec légèreté ses identités tout en délivrant un message fort. L’Éclaireur l’a rencontrée afin de parler stand-up, engagement et projets.
Pourquoi avez-vous choisi de vous lancer dans le stand-up ? Qu’est-ce qui vous plaît tant dans la scène ?
J’ai fait beaucoup de théâtre. Au début, je faisais de l’improvisation et ce que j’aimais beaucoup, c’était d’être sur scène, d’avoir ce contact direct avec le public. La scène, c’est un endroit où j’ai beaucoup grandi, où j’ai exploré des choses. J’étais très timide quand j’étais petite, mais sur scène j’ai pu me transformer et m’ouvrir. On se permet plus de choses, on expérimente d’autres facettes de notre personnalité.
Dans l’improvisation, je me suis vraiment amusée, mais ce qui me plaisait le plus, c’était quand je faisais rire les gens. J’ai donc eu envie de raconter mes histoires à moi et de faire rire. Depuis toute petite, je regarde des humoristes comme Florence Foresti et Jamel Debbouze. J’ai grandi avec leurs cassettes. Dans ma famille, on regardait beaucoup d’humoristes à la télévision, ça a toujours été là, finalement.
Vous évoquez votre parcours dans l’improvisation. Est-ce plus difficile d’improviser, ou d’écrire et jouer son spectacle sur scène ?
Au bout d’un moment, j’ai été lassée de l’improvisation. J’avais vraiment envie de réfléchir à ce que je voulais dire et avoir un propos. Avec un spectacle d’une heure, tu as le temps de dérouler un propos et d’amener les gens dans ton univers. Ça me plaît beaucoup, j’ai le temps d’installer les choses, et je ne suis pas contrainte par le rythme.
En revanche, vous laissez une certaine place à l’improvisation dans votre spectacle.
Oui, bien sûr ! Je ne fais pas non plus tout le temps de la répartie, mais j’aime bien réagir à ce qu’il se passe et mon bagage impro m’aide à le faire.
Comment s’est déroulé le processus d’écriture de ce premier spectacle ?
Je savais de quoi je voulais parler, mais il y a des choses par lesquelles je me suis laissée surprendre. Je note souvent des idées sur mon téléphone, des choses qui m’énervent, qui me passent par la tête… Je pense au passage sur les jupes, que je ne porte plus depuis huit ans. C’est un sujet dont on me parlait. Les gens étaient choqués que je n’en mette plus, j’ai donc voulu l’inclure dans le spectacle. J’avais aussi évidemment envie de parler de mon coming out. Toutes ces choses marchaient en plateau dans les comedy clubs, je les ai donc retravaillées. Les plateaux, se sont de petits laboratoires pour savoir si un sketch fonctionne, et où le glisser dans un spectacle.
Le spectacle a-t-il beaucoup évolué depuis le premier jet d’écriture ?
J’ai pu y mettre tout ce que je voulais, mais il a beaucoup évolué, car des passages sont, au fur et à mesure, devenus moins drôles que le reste. Par exemple, il y a un sketch sur les sextoys que j’arrive parfaitement à faire en plateau, mais que je ne sais pas insérer dans le spectacle.
« Je trouve que c’est important de présenter un spectacle dans lequel il y a des messages à faire passer. »
Tahnee
Dans l’autre sens, il y a des choses que je voulais dire dans le spectacle pour lesquelles j’ai dû chercher des blagues. Mon exigence était avant tout dans la cohérence. La plupart des humoristes veulent que ça dépote ; moi, je voulais avant tout qu’il y ait un lien entre tous les thèmes. S’il y a des moments où j’ai envie de dire des choses au premier degré ou d’insérer des passages émotion, je veux avoir la possibilité de le faire. Grâce à cet aspect-là, le spectacle a forcément évolué.
Quel est le but de l’humour selon vous ?
Je pense que l’humour sert à plein de choses. Je comprends qu’il y ait des gens qui ont juste envie de rigoler pour se détendre, mais je trouve que c’est important de présenter un spectacle dans lequel il y a des messages à faire passer. Ça passe mieux avec l’humour, d’autant plus que c’est mon premier spectacle, dans lequel je me présente avec toutes mes identités. Il y a des choses que j’ai à dire qui sont politiques et je profite de l’humour pour les faire passer.
Peut-on dire que vous êtes une humoriste engagée ?
Je comprends le contexte actuel et il me convient. Évidemment, je suis très consciente que porter la parole que je porte dans le spectacle et dans cette société, c’est politique et engagé. On me dit souvent que je suis militante parce que je parle de mon coming out, mais tous les humoristes parlent de leurs amours, de leur copine ou de leur copain.
Moi, il se trouve que je suis en couple avec une femme, donc ça devient politique. Dans un monde parfait, ça ne le serait pas, car je suis comme tout le monde. Après, j’accepte cette étiquette et ça fait partie de mes objectifs de porter la parole que je porte.
Que retenez-vous des retours du public ?
Beaucoup de personnes me disent que mon spectacle leur fait du bien, que j’ai une énergie solaire. Ils me disent qu’ils se sentent bien. C’était vraiment ce que je voulais. J’avais peur de tomber dans un spectacle engagé, plombant, très acide, alors que je voulais quelque chose de joyeux, de lumineux, avec de l’espoir. D’autres personnes me disent que ça fait du bien d’entendre parler de ces sujets. J’ai beaucoup de retours de femmes, de personnes queers, de personnes métisses, comme moi, qui me disent que ça fait du bien d’entendre parler de nos vies. Hier encore, une femme me disait qu’en tant que lesbienne, c’est rare de se reconnaître dans les blagues. J’ai aussi beaucoup d’hommes qui me disent : “Je suis blanc et hétéro, mais j’ai adoré, ça fait du bien, c’est frais. On n’entend pas assez parler de ces sujets, c’est super !” On me dit que je fais passer des messages avec douceur. Derrière la punchline, il y a vraiment un message.
Comment vous sentez-vous avant de rentrer sur scène ?
Ça dépend ! À La Nouvelle Seine, je suis comme à la maison, je me sens vraiment comme dans un cocon de bienveillance. Tout le monde est adorable, je ne suis plus du tout stressée. J’ai plutôt hâte de monter sur scène maintenant. J’ai tellement confiance en mon spectacle désormais ! En tournée, je pense que je serai un peu plus stressée. Je ne sais pas comment vont être les spectateurs ; s’ils viennent en sachant ce qu’ils vont voir ou s’ils se laissent guider. J’ai très hâte de parcourir la France et de rencontrer le public.
Qui sont vos humoristes fétiches aujourd’hui ?
Hannah Gatsby m’avait mis une claque avec Nanette, mais je suis très branchée stand-up français. En France, on a plein d’humoristes très intéressants et talentueux. Je pense à Shirley Souagnon qui a été ma mentor, des femmes comme Laura Domenge et Marine Baousson qui ont toujours été pleines de bons conseils.
J’adore aussi le travail de Roman Frayssinet. Je trouve que c’est un génie. J’ai l’impression qu’il a amené son truc à lui, car depuis plusieurs années, le stand-up se formate. On peut vite avoir les mêmes intonations, les mêmes rythmiques, la même attitude alors que l’on est de plus en plus nombreux. Il faut travailler sa singularité aujourd’hui.
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Quelle vision du stand-up avez-vous aujourd’hui grâce à la scène émergente ?
Bien que l’on soit de plus en plus nombreux, j’ai une vision positive du stand-up dans le sens où les gens ont les codes aujourd’hui. J’en parlais récemment avec Kyan Khojandi et Navo qui disaient que notre génération avait beaucoup de chance, parce qu’eux, à l’époque, devaient expliquer ce qu’était le stand-up. Il y a sept ou huit ans, personne ne comprenait. Pourquoi parler dans un micro pour raconter sa vie ? [Rires] Aujourd’hui, les gens ont enfin les codes et on peut jouer partout. Ça commence à se développer en dehors de Paris.
Ceci étant dit, il y a encore des efforts à faire. Je pense que le stand-up a besoin de s’exporter peut-être un peu plus à la télévision, mais aussi et surtout il y a un grand effort à faire en termes de parité. Le stand-up est principalement dominé par les hommes.
Même si dans les comedy clubs c’est de plus en plus mélangé, au final, lorsque l’on regarde les tournées, il y a moins de femmes connues que d’hommes. Doully et Tania Dutel arrivent à sortir du lot, mais il y a encore un effort à faire, d’autant plus que les femmes amènent beaucoup de nouveauté sur la scène humoristique.
La mise en scène du spectacle repose aussi sur des parties musicales. Comment cette idée vous est-elle venue ?
Je ne voulais pas forcément être dans le pur stand-up. Je voulais qu’il y ait de la danse, de la musique, parce que je trouve que ça offre aussi des moments de respiration. Ce choix est arrivé naturellement dans la mise en scène, ça apporte du cachet au spectacle.
Avez-vous déjà des idées pour votre prochain spectacle ?
Ce sont plus des idées de thèmes. Dans la forme, j’aimerais casser encore plus les codes. Maintenant que les gens ont compris ce qu’était le stand-up, pourquoi ne pas se laisser la liberté d’avoir plus de scénographie, de tester des choses plus alambiquées, de mélanger plusieurs inspirations, la danse, la musique, la poésie et le stand-up ?
J’aime le côté hybride du spectacle vivant. Je pense que ça peut vraiment marcher. Pour le moment, ce ne sont que des thèmes, je n’ai pas encore les blagues. Maintenant que j’ai compris comment j’avais fonctionné durant l’écriture de mon premier spectacle, je suis prête à retourner dans les comedy clubs avec de nouvelles idées.
Quels sont les thèmes que vous avez en tête justement ?
Je constate que j’étais une vraie groupie quand j’étais plus jeune. Je rêvais de rencontrer plusieurs stars. J’avais vraiment ce côté “fan”. Ce thème me fait revoir avec un œil différent l’adolescente que j’étais. C’est vrai que le côté idole et adoration, le rapport à la célébrité, m’intéressent beaucoup. Il y a plein de choses à écrire dessus. J’aimerais aussi aborder des choses sur l’amour et sur la famille.
Quel est votre dernier coup de cœur culturel ?
J’ai adoré la dernière saison de Sex Education sur Netflix. L’évolution des personnages secondaires est incroyable ! La série a vraiment gagné en profondeur et elle aborde plein de sujets qui sont aujourd’hui très importants dans notre société. Et puis, Éric est le meilleur personnage de la Terre !