Le film d’Andy Muschietti, qui sort en salle ce mercredi 14 juin, présente l’adaptation de Flashpoint, un comics culte des années 2010 qui a chamboulé l’univers DC. Il a surtout servi d’introduction aux New 52, l’une des périodes les plus compliquées de DC. Petit cours d’histoire du comics.
C’est le grand retour de The Flash. Le long-métrage porté par Ezra Miller et Michael Keaton s’apprête à tourner la page de la période Zack Snyder pour Warner Bros. et à laisser la place au prochain reboot cinématographique chapeauté par James Gunn. Curieusement, cette situation peut rappeler de vieux souvenirs aux fans de comics.
En 2011, la publication de Flashpoint, dont s’inspire The Flash, est elle aussi suivie d’un reboot du medium et précède alors une nouvelle ère en comics : les New 52, une période éditoriale parmi les plus controversées sur laquelle nous allons nous pencher.
Commençons par un bref résumé de Flashpoint ; Flash se retrouve dans un monde qu’il ne connaît pas, sans savoir comment il s’est retrouvé là. Batman n’est pas Bruce Wayne, Superman a toujours été enfermé par le gouvernement, et les nations dirigées par Wonder Woman et Aquaman se mènent une guerre sans fin.
Mais le hic, c’est qu’il a lui-même engendré cette nouvelle réalité après avoir changé certains événements du passé qui ont causé un effet papillon bouleversant ce monde. Malheureusement, Barry Allen ne rétablit pas l’univers tel qu’il l’avait laissé et c’est ici que les New 52 commencent.
Objectif : retrouver le sommet des ventes
Avant cet événement, les ventes de DC Comics sont sur la pente descendante. Les éditeurs Dan DiDio et Jim Lee se trouvent à la tête du bateau depuis un an. Une nouvelle présidente est également en place et, comme DiDio l’explique dans un article du média Polygon, « elle voulait nous mettre au défi et marquer le coup ». Pour les éditeurs, il est hors de question « d’être coéditeurs et de regarder la maison s’écrouler ». Avec Flashpoint à l’horizon, l’occasion est trop belle.
Depuis sa création, DC a souvent eu l’habitude de jouer avec la continuité de ses histoires et de publier des comics qui viennent la chambouler. De manière générale, la continuité est le terme qui désigne l’ensemble des histoires publiées au sein d’un même univers et régit la vie des personnages.
Lors des premières discussions autour de l’univers DC post-Flashpoint, les changements imaginés ne concernent que deux ou trois éléments. Finalement, la décision est bien plus catégorique : les New 52 seront un reboot (quasi) complet de l’univers. D’après DiDio, il faut tout remettre à zéro pour attirer l’attention des lecteurs.
Plein de nouveaux numéros 1
Le projet est une relance à partir du numéro 1 (ou relaunch dans le jargon) de 52 nouveaux titres. À l’époque, c’est historique. Depuis la publication en 1938 de son premier numéro avec la création de Superman, la série Action Comics ne s’est jamais arrêtée, allant ainsi jusqu’au numéro 904. De même pour Detective Comics et ses 881 numéros ou les 713 de Batman.
Voir la mention « #1 » sur ces séries est alors quelque chose de totalement inédit. Plusieurs comics connus comme Wonder Woman, Justice League, Flash et Green Arrow font partie de cette relance, avec des titres de western ou de guerre plus pointus ou sur des super-héros laissés de côté depuis un certain temps.
Oublier le passé
Le projet est également un reboot de la continuité DC. Les auteurs ont l’autorisation de réinventer les personnages sans être restreints par la sainte continuité. Hormis Batman et Green Lantern (les deux best-sellers du moment), c’est l’heure de tout remettre à plat. D’un point de vue créatif, c’est un terrain de jeu excitant pour les scénaristes et dessinateurs, qui n’ont plus à respecter 70 ans d’histoire autour de ces personnages iconiques.
Le bazar ne s’arrête pas là, car DC en profite également pour apporter à son univers principal des personnages tirés de Vertigo et Wildstorm, deux labels de comics avec leurs réalités bien distinctes. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Un succès qui ne dure pas
Les New 52 se lancent en septembre et les fans sont au rendez-vous. DiDio et ses équipes peuvent être soulagés : DC truste les sept premières places du classement des meilleures ventes mensuelles de comics aux USA. Six d’entre eux dépassent les 100 000 exemplaires vendus, une première depuis plus de deux ans.
Encore mieux, la Distinguée Concurrence inverse la tendance et dépasse enfin Marvel Comics en volume de ventes. Les premiers mois sont plutôt fastes pour l’éditeur et ses gros titres continuent de se vendre.
Mais DC déchante vite. L’effet de curiosité retombe et les titres les moins vendeurs sont annulés à peine huit mois plus tard. Au fil des années, seules les locomotives telles que Batman et Justice League tirent encore l’éditeur vers le haut. D’autres titres se révèlent et offrent un peu d’oxygène à une équipe éditoriale sous tension.
Citons ainsi Wonder Woman, Harley Quinn, Animal Man et Batgirl – après un changement d’équipe créative –, Gotham Academy ou simplement la majorité des titres estampillés Batman. Lorsque cette ère se clôt en mai 2016, les ventes de DC Comics s’écroulent. Elles ne représentent plus que 26 % du marché des comics aux États-Unis. À titre de comparaison, ce chiffre grimpait à 34 % le mois précédant le lancement des New 52.
Difficile de faire abstraction du passé
Alors, comment DC s’est-il pris les pieds dans le tapis avec ce projet ambitieux ? Malgré toute la bonne volonté de l’éditeur, tous ces changements n’ont pas réussi à convaincre les lecteurs. Dès l’annonce des New 52, certains nouveaux designs de costume ne sont pas passés pas auprès des fans.
Certains partis-pris narratifs découverts au fil de la lecture ont fait réagir les lecteurs de longue date. Superman n’est plus avec Lois Lane et préfère batifoler avec Wonder Woman, Barbara Gordon retrouve l’usage de ses jambes et sa cape de Batgirl après des années paralysée, des personnages appréciés par les fans sont carrément oubliés (Wally West, la Justice Society of America…) ou relégués au second plan (Teen Titans…).
De plus, les comics ne semblent pas évoluer en cohésion. Superman n’est pas le même personnage d’une série à l’autre et on se demande comment les événements décrits dans chacune d’entre elles peuvent coexister. Dans ce nouvel univers partagé, il manque une certaine… continuité.
“J’aurais aimé qu’il y ait un plan”
C’est en tout cas ce que pense Scott Snyder, scénariste interrogé dans l’article cité plus haut : « Si vous voulez savoir ce que j’en pense, le plus gros problème de cette initiative d’un point de vue structurel est qu’il n’y avait pas vraiment de règles à propos de la façon dont la continuité allait fonctionner. En clair, nous n’avions pas une histoire générale complètement planifiée. »
Il résume ainsi : « Les titres faisaient les choses différemment. […] C’est devenu plusieurs entités qui existaient les unes à côté des autres et cela a créé beaucoup de frustration et de confusion. »
En voulant à tout prix s’affranchir de cette notion de continuité et tout recommencer à zéro, les équipes de Dan DiDio devaient offrir une certaine liberté aux auteurs pour réinventer les personnages dans leur coin et ne pas freiner le processus créatif. Mais, « alors qu’il y avait l’objectif que personne ne se contredise, les gens créaient des histoires qui partaient dans des directions qu’il était difficile de concilier ».
Des relations entre éditeurs et auteurs parfois complexes
La vie en coulisses était aussi très agitée durant cette période. Manque de diversité parmi les auteurs embauchés (seulement deux femmes à son lancement), mauvaise communication entre les pôles responsables de différents personnages, demandes inopinées faites aux auteurs de changer leurs histoires, désaccords publics avec plusieurs créateurs…
La vie dans une telle maison d’édition n’est évidemment pas simple, mais l’ampleur et la fréquence des tensions sont à souligner. À tel point que Polygon précise que « trois participants majeurs de cette ère » ont refusé de témoigner, car ils ne souhaitaient pas se replonger dans ces souvenirs.
D’une volonté ambitieuse de tout relancer pour attirer de nouveaux lecteurs à un échec éditorial émaillé de belles réussites et surprises inespérées, les New 52 ne se sont certainement pas terminés comme DC Comics l’aurait voulu.
Heureusement, l’éditeur est depuis retombé sur ses pattes grâce à des pirouettes narratives dont seuls les comics ont le secret. Mais ces cinq années de publication restent une partie importante de l’histoire moderne de l’industrie.