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La folle histoire d’Oum Kalthoum, la diva du monde arabe

21 avril 2023
Par Edouard Lebigre
”Oum Kalthoum, naissance d'une diva” retrace la vie de celle que l'on surnommait ”L'Astre céleste”.
”Oum Kalthoum, naissance d'une diva” retrace la vie de celle que l'on surnommait ”L'Astre céleste”. ©JC Lattès

Alors qu’un roman graphique sorti récemment retrace la vie de la diva égyptienne, retour sur une figure emblématique du monde arabe, icône politique et féministe.

En mars dernier sortait Oum Kalthoum, naissance d’une diva (2023, Lattes) de Nadia Hathroubi Safsaf et Chadia Loueslati, roman graphique retraçant la vie de la chanteuse égyptienne. Surnommée « la Dame » par De Gaulle, et dotée d’une « voix incomparable » selon Maria Callas, la chanteuse a eu une destinée folle, de ses origines modestes, au rang d’icône mondiale. Retour sur la vie de « L’Astre d’Orient », entre sacré et populaire, entre politique et féminisme.

Une voix façonnée par le Coran

Raconter la vie d’Oum Kalthoum, c’est raconter un mythe, une carrière qui tient du miracle. Née en 1898 dans une famille pauvre sur le Delta du Nil, elle grandit dans un pays où les jeunes filles n’ont pas accès à l’éducation. Fille d’un munshid (chanteur religieux), Fatima Ibrahim as-Sayyid al-Beltagi, de son vrai nom, est rapidement bercée par les récitations et la lecture du Coran.

Alors qu’elle n’est qu’une enfant, elle entre dans la troupe de son père et chante des hymnes à la gloire du prophète Mahomet. Accompagnée de son frère et habillée en garçon, elle se produit dans les villages alentour et se forge une technique vocale unique, en récitant le Coran devant un oratoire déjà bluffé par la voix de la jeune Égyptienne.

Images d’un concert d’Oum Kalthoum, accompagnée de ses musiciens.

Née à une époque où la musique commence tout juste à être enregistrée dans le monde arabe, elle découvre les grands chanteurs du Caire, capitale de la musique orientale, où elle s’installe avec sa famille. Le talent d’Oum Kalthoum est alors reconnu et ses proches comprennent qu’ils doivent miser sur elle, plutôt que sur son frère.

Elle s’entoure notamment du parolier Ahmed Rami, qui racontait en 1979 sur l’antenne de TF1 : « J’ai entendu une voix d’une douceur, d’une maîtrise, d’une puissance incomparable ». Par ailleurs, les morceaux d’Oum Kalthoum sont très longs. Ils occupent souvent une, voire deux faces d’un disque, symbole du mythe que la chanteuse incarnera plus tard.

La découverte d’une diva

« Lorsque je lui ai demandé vers quelle heure elle allait finir le concert, elle m’a juste répondu qu’elle comptait chanter deux ou trois chansons. J’ai découvert sur place que la durée de chaque morceau était comprise entre une heure et une heure et demie », confiait Bruno Coquatrix à TF1 en 1979.

En effet, le directeur de l’Olympia découvre Oum Kalthoum en 1967, à l’occasion d’une grande série de concerts, d’une durée de presque six heures. L’auteur-compositeur français est immédiatement conquis, tout comme le public parisien, séduit par les talents de la diva égyptienne et des représentations prenant un caractère sacré.

« J’ai découvert sur place que la durée de chaque morceau était comprise entre une heure et une heure et demie »

Bruno Coquatrix
Ancien directeur de l’Olympia de Paris

Bête de scène, l’artiste interprète de longs morceaux, où les mêmes phrases sont psalmodiées, répétées en boucle, mais jamais avec la même tonalité. Pendant l’interprétation de ces chants, le public répond à la chanteuse en répétant ses vers, entrant alors dans un état de communion qui rappelle le soufisme, où la musique est utilisée pour s’élever. Pour décrire la puissance de l’interprétation d’Oum Kalthoum, le terme arabe, « tarab », est tout trouvé : il désigne l’extase artistique qui permet d’exhaler l’âme dans le tourbillon de la musique.

L’icône du nassérisme

Les origines modestes d’Oum Kalthoum incarnent rapidement les idéaux des mouvements républicains arabes. En 1936, celle qui est surnommée « l’Astre d’Orient » chante pour le couronnement du roi Farouk, despote égyptien corrompu, contraint d’abdiquer en 1952, après la révolution menée par Nasser.

Admirateur sans borne d’Oum Kalthoum, le second président de la République égyptienne fait de la chanteuse une icône patriotique. La chanson Wallah Zaman Ya Silahi, interprétée par la diva lors de la crise du Canal de Suez en 1956, devient en 1960 l’hymne national de l’Égypte, avant d’être remplacée en 1979.

Extrait du concert d’Oum Kalthoum à l’Olympia en 1967.

Oum Kalthoum devient à partir des années 1950, l’icône du nassérisme, pensée socialiste et panarabe incarnée par le président Nasser. La chanteuse aide alors l’Égypte naissante en appuyant le nationalisme avec ses chansons.

Après la guerre des Six Jours qui voit l’Égypte vaincue par l’État d’Israël, Oum Kalthoum décide de venir en aide aux finances désastreuses du pays. Elle inaugure alors une grande tournée qui passe notamment à l’Olympia en 1967. La diva se produit en tant que militante, exigeant l’un des plus gros cachets de la salle, intégralement reversé à « l’effort de guerre ».

Le morceau patriotique interprété par Oum Kalthoum sera pendant presque 20 ans l’hymne de l’Égypte.

Si on considère que le Président Nasser s’est servi de la chanteuse pour promouvoir son régime – prémisse d’un soft-power égyptien – en retour, on constate qu’Oum Kalthoum a utilisé ce pouvoir pour la promotion des droits des femmes et de la musique arabe dans le monde.

Oum Kalthoum, une figure féministe

Lorsque Oum Kalthoum s’installe au Caire avec sa famille, son style est radicalement opposé à celui de ses concurrentes. La plupart des chanteuses de l’époque apparaissent dénudées, interprétant des chansons presque grivoises en dansant du ventre. La jeune chanteuse, elle, se démarque par son austérité, avec ses longs morceaux inspirés par les récitations coraniques. La puissance de sa voix est telle qu’elle fait presque oublier ses contemporaines.

Dalida, née au Caire en 1933, a grandi avec la musique d’Oum Kalthoum.

Très discrète sur sa vie privée alors que les tabloïds commencent à apparaître, Oum Kalthoum montre à ses contemporains qu’on peut être une femme publique sans être une courtisane et ouvrira la voie à de nombreuses chanteuses du monde arabe, rapidement gagné par le phénomène. Sans doute que la plus célèbre de ses héritières reste aujourd’hui Dalida, autre diva et icône égyptienne.

Féministe, Oum Kalthoum fait de la place des femmes dans la société égyptienne l’une de ses plus grandes préoccupations. En utilisant son statut de star, renforcé par une carrière d’actrice lancée dans les années 1940, elle pousse les jeunes égyptiennes à étudier, à participer à la vie active et à l’essor d’un pays en plein développement. Rendue iconique par sa tenue emblématique (lunettes noires, foulard, chignon, perles…), Oum Kalthoum avait l’image d’une femme dure, carapace obligatoire lorsqu’on est une féministe musulmane à cette époque. 

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En 1975, Oum Kalthoum meurt au Caire, à l’âge de 76 ans. Lorsque son village natal apprend l’hospitalisation de la diva, les habitants psalmodient des versets du Coran toute la journée. Les images de ses obsèques font le tour du monde. Son cercueil est suivi par une marée humaine, symbole de la ferveur pour celle qui aura révolutionné la musique du monde arabe.

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