Un divan, une boîte de mouchoirs et un carnet de notes suffisent à l’identifier. Dans les séries, la figure du psy a souvent été stéréotypée. Mais elle a beaucoup évolué, jusqu’à la récente Shrinking, diffusée sur Apple TV+, dans laquelle Harrison Ford campe un thérapeute en roue libre, ignorant délibérément toutes les règles déontologiques. Des représentations qui ne sont pas sans conséquences sur la vision qu’a le public des professionnels de la santé mentale.
Assis sur notre canapé, nous nous retrouvons, souvent, comme chez un thérapeute. Sur notre écran, en face de nous, analyses et conseils avisés sont prononcés par un professionnel de la santé mentale. Pas le nôtre, mais celui des personnages de nos films ou séries.
Des films aux séries, une représentation constante
« Les psys ont toujours été présents au cinéma », confirme Jean-Victor Blanc, psychiatre, créateur du festival Pop & Psy et auteur de l’ouvrage du même nom. Il est vrai que nombre de grands réalisateurs se sont emparés de cette figure, d’Alfred Hitchcock dans La Maison du docteur Edwardes à Martin Scorsese dans Shutter Island, en passant par Jerry Lewis dans Trois sur un sofa, M. Night Shyamalan dans Sixième sens, ou encore Woody Allen dans… beaucoup de ses films.
Il est donc logique que les psys soient également présents dans les séries. « La première représentation marquante et réaliste, c’est sans doute celle de Jennifer Melfi dans Les Soprano », poursuit Jean-Victor Blanc. Psychiatre du mafieux Tony Soprano, elle tente d’aider son client avec dévouement, quitte à sacrifier sa propre santé mentale, malgré le comportement irrespectueux et parfois violent de celui-ci.
Si la représentation des rendez-vous Melfi/Soprano (où sont souvent décryptés les rêves ou l’enfance de ce dernier) est plutôt représentative de la psychanalyse, elle reste calquée sur le modèle américain. Et le cliché le plus flagrant, c’est bien le cabinet de la docteure Melfi que l’on retrouve presque à l’identique dans toutes les séries.
« On va toujours avoir cette table basse avec le canapé moelleux, ce côté très maternant, la tasse de café… C’est très à l’américaine, remarque Jean-Victor Blanc. Ce n’est pas très réaliste par rapport à ce qu’on peut voir en France. Moi, en tant que psychiatre hospitalier, je reçois mes patients dans un bureau qui est exactement le même que celui d’un cardiologue : un bureau, un ordinateur… Le mobilier standard de l’hôpital public ! »
En thérapie, la série qui fait un pas vers une représentation plus réaliste
Il faut dire que les programmes mettant en scène des psys sont rarement français. « Quand cela arrive, ils ont généralement un petit rôle », regrette Jean-Victor Blanc. C’est le cas dans la très réussie Mental, série de France Télévisions dans laquelle l’humoriste Nicole Ferroni incarne la psychologue crédible et très empathique d’une clinique psychiatrique pour adolescents, ou encore dans HP, diffusée sur OCS, et retraçant le parcours d’une interne en psychiatrie.
Exception à cette règle : la désormais culte En thérapie, même s’il faut préciser qu’elle est l’adaptation d’une production israélienne, BeTipul, déjà reprise aux États-Unis sous le titre In Treatment.
Et si En thérapie a eu autant de succès, c’est probablement grâce à la façon dont est représenté son personnage principal, le docteur Philippe Dayan, professionnel empathique et attachant, joué par Frédéric Pierrot. Jean-Victor Blanc abonde : « Il y a eu un vrai travail de fond qui a été fait avec des psys consultants, comme Serge Hefez, pour que l’on y croie et que l’image véhiculée ne soit pas négative. »
Un effort bienvenu selon le psychiatre, qui note une démarcation importante, par rapport à d’autres productions. « On se dirige, avec En thérapie, vers une vision plus vraisemblable et plus positive, là où d’autres séries sont quand même de mauvaise qualité », affirme-t-il. Selon lui, on retrouve, la plupart du temps, deux types de représentations.
« D’un côté, on a le personnage un peu loufoque ou déséquilibré, parfois atteint lui-même d’un trouble psychologique, qui va enfreindre les règles de la déontologie, tomber amoureux de ses patients, s’immiscer dans leur vie… [C’est le cas récemment dans Shrinking, sur Apple TV+, et déjà en 2017 dans Gypsy, diffusée sur Netflix, ndlr] De l’autre, on trouve le psy savant fou, le manipulateur qui va donner beaucoup de médicaments à ses patients, parfois sans qu’ils soient au courant. »
Comme dans deux séries diffusées sur Prime Video. Dans Homecoming, un traitement expérimental est testé sans leur accord sur des militaires atteints de stress post-traumatique, et dans Nine Perfect Strangers, une thérapeute fait prendre à leur insu des champignons hallucinogènes à ses patients.
En thérapie n’a, malgré tout, pas enterré pour de bon les représentations stéréotypées, voire fantasmées. Dans The Patient, diffusée sur Disney+, un psychothérapeute est retenu en otage par son patient. Dans Freud, produite par Netflix, le père de la psychanalyse enquête sur des disparitions aux côtés d’une voyante. « On parle de séries : il faut qu’il se passe des choses, soit que le psy tombe amoureux, soit qu’il y ait de la violence », admet Jean-Victor Blanc.
Du côté des professionnels, une vision bienveillante sur les “séries à psys”
Le point de vue des professionnels sur les séries mettant en scène des personnages censés exercer leur métier reste, malgré tout, plutôt bienveillant. « Il y a un hiatus un peu générationnel, explique Jean-Victor Blanc. Pour les plus de 50 ans, ils considéraient jusqu’à peu que toutes les séries étaient forcément un peu débiles et bas de gamme, avec l’image des sitcoms à l’ancienne. Aujourd’hui, il y a de très bonnes séries. » Là encore, le titre qui revient est En thérapie.
« La série a été plébiscitée : au festival Pop & Psy on a invité des membres de l’équipe de réalisation, ainsi que Serge Hefez, le psychiatre consultant. Il y a même eu quelques blagues entre psys par rapport à la série, raconte le psychiatre. Beaucoup de patients sont venus nous voir en disant “Pourquoi pour moi ça ne va pas aussi vite que pour les patients du docteur Dayan ? En cinq séances, il fait le tour du problème et les personnes sont guéries !” Il y a une sorte de complexe d’infériorité vis-à-vis de ce docteur Dayan ! », s’amuse Jean-Victor Blanc.
Des patients qui parlent du docteur Dayan et peut-être même qui viennent consulter grâce à lui. « On n’a pas les chiffres en France, mais en tant que professionnels, on a l’impression que beaucoup de patients nous en ont parlé », confie Jean-Victor Blanc. Réalité et fiction se mêlent donc dans l’esprit du public, et c’est bien pour cela que le psychiatre a écrit Pop & Psy.
Il souligne que « les séries ne vont pas soigner celles et ceux qui les regardent. Mais leurs représentations vont jouer un rôle dans la manière dont les gens vont percevoir la santé mentale, et ce qu’on peut faire en cas de problème. J’utilise ces séries pour faire un pas de côté, ajoute-t-il, en disant qu’en allant voir un psy, on ne va pas forcément tomber sur le celui d’En thérapie : ce n’est pas grave, mais c’est important de le savoir ! De la même manière, l’histoire de Shrinking ne correspond pas à ce qu’on attendrait d’un psy, et il faut l’avoir en tête quand on regarde la série ou quand on en parle », insiste-t-il.
Les séries, outils de démystification de la profession
Plus que porteuses de stéréotypes, les séries sont avant tout des outils de connaissance, selon le docteur Blanc : « Cela permet de démystifier la discipline et de faire en sorte qu’elle fasse moins peur : c’est un moyen de poser une autre image, de diminuer la stigmatisation, d’améliorer les connaissances, de donner une autre perception. Au final, grâce à elles, les gens peuvent se rendre compte que c’est très fréquent d’aller chez les psys. »
Et c’est bien pour cela que les productions qui parlent psychologie intéressent tant et se multiplient. « Cela concerne beaucoup de monde : les gens consultent de plus en plus, on parle de plus en plus de santé mentale sur la place publique avec des célébrités, des sportifs : il y a une levée du tabou autour du sujet », détaille Jean-Victor Blanc.
Moins de tabous, un intérêt du public et de meilleures représentations plébiscitées par les professionnels : l’évolution semble positive. Le spécialiste émet tout de même une réserve : « Il y a aussi des séries dans lesquelles il n’y a pas du tout de psys, et c’est dommageable. »
« 13 Reasons Why a par exemple fait date, car elle a été un énorme succès, mais aussi parce qu’elle a augmenté les passages à l’acte suicidaire chez les ados, aux États-Unis [la série retrace le parcours d’une lycéenne mettant fin à ses jours, ndlr], regrette le médecin. Dans les premières saisons, il n’y pas de psy, on voit rapidement un conseiller scolaire : les ados sont un peu livrés à eux-mêmes… »
Une non-représentation qui est finalement plus dommageable qu’une mauvaise représentation, selon Jean-Victor Blanc. Le professionnel conclut en déclarant que « la mauvaise série sur les psys, c’est finalement celle dans laquelle les gens vont mal et où il n’y a pas de psy ».