Décryptage

Comment Les Gardiens de la galaxie sont-ils devenus des héros cultes ?

07 décembre 2022
Par Lisa Muratore
Le troisième volet des “Gardiens de la Galaxie” est attendu en mai 2023 dans les salles obscures.
Le troisième volet des “Gardiens de la Galaxie” est attendu en mai 2023 dans les salles obscures. ©Marvel

Les Gardiens de la Galaxie n’ont jamais cessé de se réinventer sous la plume de leurs auteurs, jusqu’à devenir l’équipe que l’on connaît aujourd’hui. Ces réécritures ont permis à cette bande d’antihéros galactique de redorer leur image et d’acquérir au fil des années une popularité rêvée.

Comme avec la série Hawkeye l’année dernière, les studios Marvel ont donné le coup d’envoi de la saison des fêtes avec l’épisode spécial de Noël des Gardiens de la galaxie le 25 novembre sur Disney+. Le moyen-métrage réalisé par James Gunn (créateur de la franchise cinématographique apparue en 2014) permet aux fans du MCU de patienter jusqu’à la sortie du troisième volet en mai 2023 – qui conclura les aventures sur grand écran des Gardiens de la galaxie.

Ces dernières années, cette saga audiovisuelle a permis d’asseoir un peu plus la popularité d’une équipe de super-héros qui a connu plusieurs versions dans les comics qui ont servi de base à la franchise cinématographique. Après des débuts balbutiants des années 1970 aux années 1990, sous la plume de plusieurs auteurs, leur réinvention dans les années 2000 a su conquérir le cœur des lecteurs. Cette réécriture a donné naissance à l’équipe que l’on connaît aujourd’hui au cinéma, mais elle a surtout permis à ces super-héros de passer de l’ombre à la lumière. Explications.

Des débuts balbutiants

Les Gardiens de la galaxie que l’on connaît aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux nés sous la plume de Roy Thomas, Arnold Drake et Gene Colan. En 1969, ces trois artistes imaginent une équipe de héros du futur, constituée de quatre membres : Major Astro, Martinex, Charlie-27 et Yondu Udonta. Ces personnages font leur entrée dans Marvel Super Heroes, une série de comics anthologiques dans laquelle ils vivent des aventures éphémères.

Voyageant de revues en revues pendant des années, ils ont du mal à trouver leur public. Si bien que Marvel décide de les réunir face à des super-héros plus notoires, tels que Captain America et La Chose, à partir de 1975. Steve Gerber (prolifique auteur de chez Marvel à qui l’on doit entre autres le personnage d’Howard The Duck et les Defenders) prend alors les rênes de la série. Cependant, la plupart des lecteurs de l’époque la pensent trop naïve, alors que des volumes tels que Marvel two-in-one #4 et #5 font encore office d’introduction pour Les Gardiens de la galaxie.

Les personnages des Gardiens de la galaxie ont connu plusieurs évolutions au fil des comics.©Marvel Comics

Il faudra attendre le crossover avec les Defenders dans Giant Size Defenders #5 & Defenders 26 à 29 pour que Les Gardiens de la galaxie soient au centre de scénarios uniques. En plus de la lutte contre les Badoons, race extraterrestre ennemie des Gardiens, l’écrivain dresse un parallèle entre leur univers futuriste et nos évolutions sociétales.

On découvre par exemple une ville extraterrestre peuplée d’humanoïdes décadents qui forcent leurs prisonniers à participer à un jeu télévisé de mises à mort – un prisme satirique et violent qui permet cependant à Steve Gerber de cibler le monde médiatique. En se concentrant sur l’organisation des Badoons, entre mâles et femelles, l’auteur questionne la parité et l’émancipation des femmes. La guerre est également abordée, le génocide des Badoons aux mains des humains établissant un lien intéressant sur la responsabilité des vainqueurs.

Néanmoins, tous ces parallèles futuristes ne suffisent pas à introduire de façon pérenne Les Gardiens de la galaxie dans le paysage des comics. Les œuvres de Steve Gerber, à l’instar de celles du trio précédent, sont trop éparses et font davantage office de BD d’anticipation plutôt que de véritables récits centrés sur les super-héros. Ils se concentrent sur les codes de la science-fiction : un monde dystopique, la bataille d’une race humanoïde face à un peuple extraterrestre, et des métaphores sociales revisitées sous le prisme de la technologie, sans aborder réellement le destin des personnages, leur évolution ou leurs questionnements.

Les Gardiens de la galaxie dans les premiers comics.©Marvel Comics

Après une relative pause dans les années 1980, les Gardiens de la galaxie bénéficient pour la toute première fois de leur propre série de comics dans les années 1990, sous l’égide de Jim Valentino, connu pour avoir fondé la maison d’édition Image Comics. Mais, là encore, elle ne parvient pas à convaincre les lecteurs. Elle finit par s’épuiser, la faute à un trop grand nombre de personnages supplémentaires introduits dans l’équipe (Hollywood, l’Inhumain Talon, ou encore la Skrull Replica), mais aussi à des péripéties convenues, rythmées par des batailles spatiales sans saveur.

Entre les années 1970 et les années 1990, nos héros passent à travers des réinventions constantes, mais finalement peu convaincantes. De leurs débuts balbutiants à une série éponyme loin d’être innovante, ils n’ont pas su trouver leur identité propre dans les comics. Pour cela, il faudra encore attendre une dizaine d’années et le grand remaniement de 2008.

La grande résurrection des Gardiens

Dans les années 2000, le succès du crossover d’Annihilition Conquest force Marvel à étendre de nouveau son univers cosmique jusqu’ici délaissé, en raison d’un désintérêt des lecteurs. En introduisant dans le premier volume de cette série la destruction de l’univers, à l’issue de la guerre menée par Annihilus, Marvel voit une opportunité de réintroduire les Gardiens de la galaxie en les repensant intégralement.

La maison d’édition fait appel au scénariste Dan Abnett et au dessinateur Andy Lanning, connus aujourd’hui pour leur travail sur les bandes dessinées Nova. En 2008, le duo introduit l’équipe que l’on connaît aujourd’hui, menée par Star-Lord, dans le sixième tome de la série Annihilation. À ses côtés, on retrouve Gamora, Rocket Racoon, Drax, Groot, ainsi que Mantis et Nebula. Ils seront rejoints plus tard, dans d’autres comics, par Adam Warlock, le chien Cosmo, ainsi que Phyla-Vell.

Les Gardiens de la Galaxie dans les comics Annihilation.©Marvel Comics

L’ère de DnA – acronyme qui signifie ADN en français, créé avec les prénoms des auteurs – va participer à leur rayonnement. Grâce à une liberté d’écriture et à travers des batailles épiques face à Thanos (un antagoniste phare de l’univers Marvel), les Gardiens de la galaxie sont réhabilités.

Cette résurrection attire l’attention de la scénariste Nicole Perlman. Cette dernière est missionnée par Marvel Studio pour mettre la main sur une équipe de super-héros inédite, pour inaugurer une nouvelle franchise cinématographique. À cette époque, Les Gardiens de la galaxie apparaît comme le choix idéal. Cette équipe de bras cassés, composée de véritables mascottes aussi loufoques que passionnantes, permet de tordre les concepts classiques des super-héros.

Ils sont uniques pour différentes raisons. La première : leur physique atypique. On retrouve en effet au sein d’une même histoire un arbre humanoïde, un raton laveur prêt à tuer tout ce qui bouge, ou encore un chien cosmonaute. Deuxièmement, les bandes dessinées de Dan Abnett et Andy Lanning ne reposent pas sur les poncifs de la lutte entre le Bien et le Mal, mais sur des personnages d’antihéros qui possèdent un côté grotesque assumé.

Des personnages duels

Ce prisme va permettre à l’équipe 2.0 des Gardiens de séduire les lecteurs de comics, là où la première emportait des caractéristiques plus fantasques, du fait de l’attention portée à l’atmosphère SF plutôt qu’aux personnages. Avec la réinvention de 2008, leur portrait est mieux dressé, à commencer par celui de Star-Lord.

Cet obscur personnage gagne en popularité avec Annihilation Conquest #6 et assoit son charisme, en raison de sa position de leader innée, mais aussi vis-à-vis de ses origines mi-humaines, mi-cosmiques.

Star-Lord est le leader des Gardiens de la Galaxie dans la série de comics de 2008. ©Marvel Comics

Star-Lord va devenir le meneur des Gardiens, une équipe formée par la force des choses, après que la race extraterrestre des Phalanx a décidé d’attaquer les Krees. Ensemble, ils vont représenter des personnages plus décomplexés au sein des pages Marvel.

S’ils personnifient l’image classique du super-héros, en défendant l’espace contre les menaces intergalactiques, ils n’hésitent pas non plus à user de moyens peu orthodoxes et violents (utilisation fréquente d’armes à feu par Rocket Raccoon, une aura tueuse pour Drax…) pour défendre les peuples envahis.

Rocket est l’un des personnages les plus appréciés des Gardiens de la Galaxie. ©Marvel Comics

Mais, derrière ces batailles épiques se cachent des personnages attachants et profonds, à la recherche d’une communauté qui leur ressemble. Des personnages torturés et blessés qui vont trouver au sein de cette équipe un nouveau départ. Par exemple, Gamora, que l’on surnomme la femme la plus dangereuse de l’univers, va découvrir que sa destinée n’est pas seulement celle d’une meurtrière en s’engageant dans la défense de la galaxie.

De son côté, Drax va apprendre à surmonter la disparition de sa famille. Le passé traumatisant de Rocket Racoon va également occuper une place particulière dans les comics, du fait des séries solos qui lui seront consacrées entre 2014 et 2016 et à travers lesquelles les lecteurs vont découvrir un héros aussi amusant qu’attachant.

La dualité de ces protagonistes est une caractéristique essentielle, qui a favorisé la popularité des Gardiens. Rappelons que si aujourd’hui les antihéros sont de plus en plus représentés dans les comics et au cinéma, ce n’était pas le cas en 2008, au moment de leur réinvention. Ce pari sur l’avenir a donc favorisé leur unicité et leur a permis de se fondre, par la suite, dans un univers imaginaire qui n’explore pas uniquement les facettes manichéennes de ses personnages.

Ceci, associé à l’humour distillé dans les comics, aux nombreux rebondissements auxquels les Gardiens ont dû faire face, mais aussi à la volonté des studios Marvel de dépeindre sur grand écran des super-héros décomplexés, a participé au renouveau et à l’engouement toujours plus grandissant autour Gardiens dans la pop culture.

Des comics bourrés de références

De surcroît, les bandes dessinées n’ont pas lésiné sur les références à notre culture contemporaine. Au-delà de leurs aventures rocambolesques, les comics des Gardiens de la Galaxie permettent de convoquer plusieurs références, notamment à la science-fiction. Par exemple, le voyage dans le temps, ressort scénaristique souvent utilisé en SF, était au cœur des premières séries sur les Gardiens. Plus tard, en 2008, les décors, les péripéties dans l’espace, ou encore leurs origines extraterrestres leur confèrent une patte plus cosmique.

Les références à la science-fiction sont également personnifiées par le personnage d’Adam Warlock. Ce dernier catalyse un questionnement lié à la théologie, aux problématiques religieuses, ou encore à l’opposition du Bien et du Mal, des notions que l’on retrouve aussi dans la saga Star Wars (1977) dont les comics s’inspirent pour interroger le manichéisme des personnages.

Difficile, aussi, d’ignorer les références aux œuvres SF comme 2001 L’Odyssée de l’espace (1968), notamment dans la palette de couleurs flashy et psychédélique utilisée dans plusieurs numéros. De plus, les personnages, leur nature extraterrestre et leurs costumes rappellent des séries animées comme Capitaine Flam (1978).

Les films de James Gunn multiplient les références à la pop culture des années 1980 (de Footloose (1984) avec Kevin Bacon à la compilation des plus grands tubes que Star-Lord conserve précieusement dans son Walkman), et Les Gardiens de la galaxie ont toujours été liés de près ou de loin aux divertissements de leur époque.

Par exemple, il est fait mention d’Elvis Presley dans l’origin story de Drax, dès les premières pages des comics. Le personnage de Rocket est quant à lui inspiré d’une chanson des Beatles, Rocky Racoon (1968), tandis qu’en 2008, Star-Lord est perçu comme un héros malgré lui, similaire à John McClane, action-hero de Die Hard (1988) incarné par Bruce Willis au cinéma.

Finalement, grâce à ces nombreux comics, James Gunn a pu piocher des idées dans un univers cosmique étendu, dans des aventures riches en action, en humour, en profondeur, dans des personnages inédits, ainsi que dans des références à la pop culture. Si tous ces éléments sont propres à l’univers des BD super-héroïques aujourd’hui, c’est aussi le reflet d’un long travail de réécriture. Leurs débuts balbutiants jusqu’à leur renouvellement en 2008 représentent une trajectoire unique, qui leur a permis de devenir des héros de premier plan dans les bandes dessinées et au cinéma.

Grâce à des réinventions constantes, les Gardiens n’ont finalement jamais sombré dans l’oubli et leurs auteurs ont su peu à peu reconquérir le cœur des lecteurs grâce à leur imaginaire inépuisable. Aujourd’hui, ce passage de l’ombre à la lumière semble davantage pérenne avec la parution entre 2008 et 2021 d’une trentaine de comics consacrés aux Gardiens, mais aussi grâce à la sortie en salles du troisième volet réalisé par James Gunn, dont la bande-annonce vient juste d’être dévoilée.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste