Critique

Seven to Eternity : l’œuvre déjà culte a droit à son intégrale (et c’est exceptionnel)

04 novembre 2022
Par Michaël Ducousso
Tantôt sombre, tantôt enchanteur, Zhal offre un magnifique voyage graphique aux lecteurs.
Tantôt sombre, tantôt enchanteur, Zhal offre un magnifique voyage graphique aux lecteurs. ©Urban Comics

La fresque de science-fantasy signée Rick Remender et Jerome Opeña est publiée pour la première fois dans un grand format qui lui rend hommage. L’occasion de plonger dans un univers sombre et envoûtant.

Petite précision liminaire : cette critique ne s’adresse pas à celles et ceux qui ont déjà lu Fear Agent, précédente collaboration de Rick Remender et Jerome Opeña. À l’heure où nous écrivons, ils sont déjà en train de franchir le seuil de leur librairie préférée pour acheter l’intégrale de Seven to Eternity, car ils connaissent l’étendue des talents du duo créatif. Et pourtant, ce nouvel ouvrage publié ce 4 novembre, n’a pas fini de les émerveiller. En effet, la deuxième série imaginée par les deux hommes est encore une fois une véritable pépite de la bande dessinée américaine et le format anthologique lui rend pleinement hommage. Surtout, il aidera les nouveaux lecteurs à plonger directement dans le monde de Zhal.

Une planète lointaine, un empereur tyrannique et des chevaliers aux pouvoirs magiques

Zhal, c’est tout simplement le décor de cette magnifique fresque de science-fantasy qu’est Seven to Eternity. Un monde peuplé de créatures étranges – certaines avec des oreilles pointues, d’autres avec des pouvoirs mystérieux – et où l’on se déplace dans des carrosses tractés par des calamars volant aussi naturellement qu’un Parisien prendrait le métro.

Malgré ses aspects les plus incroyables, témoignant de l’imagination sans borne de ses créateurs, Zhal partage une caractéristique commune à bien des univers, imaginaires ou non : il est dirigé par un empereur tyrannique.

Le monde de Zhal recèle autant de monstres que de merveilles.©Urban Comics

Garils Sulm, aussi surnommé Maître des murmures ou roi Fange, a la particularité de pouvoir offrir à ses sujets ce qu’ils désirent le plus (sans même oser se l’avouer) à condition qu’ils acceptent de lui laisser l’accès libre à leurs esprits, leurs sens et à la moindre de leur pensée.

Une sorte de Panopticon généreux, mais loin d’être bienveillant. Forcément, pour renverser un tel monstre, il fallait un héros vertueux et chevaleresque, doté de pouvoirs magiques, mais surtout d’une volonté infaillible : l’incorruptible Zebediah Osidis.

L’univers imaginé par Rick Remender propose une galerie de personnages hauts en couleur.©Urban Comics

Eh bien, c’est dommage, on va devoir se contenter de son fils, Adam. Son père, lui, meurt dès le début de la saga, après avoir vécu une vie de dénuement, sans aucune compromission. Félicitations à lui. La question est de savoir si son héritier va se montrer aussi radical, même si ceux qui ont lu la Bible peuvent se faire une idée sur la capacité d’un Adam à résister à la tentation.

Surtout s’il est atteint d’une maladie mortelle et qu’il a une famille nombreuse à nourrir. Tout semble joué d’avance, mais si Rick Remender et Jerome Opeña ont pris la peine de produire 17 numéros, c’est que la réponse était moins simple et manichéenne qu’on pourrait le croire.

Héros à la moralité douteuse

Comme avec leur space opera Fear Agent, les deux hommes se sont amusés à jouer avec un héros torturé par ses choix moraux. Et ils le font avec suffisamment de talent pour que le lecteur en vienne lui aussi à se poser des questions. Si au départ le vieux Zebediah paraît un peu dur, mais noble de cœur, on en vient vite à douter du bien-fondé de ses convictions. Tout comme le héros, qui se retrouve à côtoyer pendant un bon bout de temps son adversaire, on se demande si toute cette méchanceté ne cache pas en réalité un petit cœur blessé. Même ceux qui le servent, ces « collabos » de fantasy, le font peut-être pour le bien de leurs proches…

« L’ennemi pourrait-il détenir une part de vérité ? , se demande ainsi Adam. C’est facile de haïr l’idée de quelqu’un… Mais passez assez de temps avec votre ennemi, et vous y trouverez quelque chose à aimer. » Tout au long des quelque 400 pages d’aventures, le héros et ceux qui liront ses exploits et ses déboires se questionneront sur la relativité du mal, sur la définition d’un bien absolu.

Comme tous les tyrans, le Maître des murmures laisse peu de choix à ses adversaires : se soumettre ou mourir.©Urban Comics

Si Seven to Eternity raconte la quête d’Adam Osidis et ses compagnons, elle offre surtout un incroyable voyage intérieur aux lecteurs qui vont devoir discerner le bien du mal dans un monde fait de lumières célestes et d’ombres menaçantes, mais où rien n’est vraiment ce qu’il paraît. Le discours entre des parents corrompus et leurs enfants innocents résume bien toute la complexité de l’univers dépeint par Remender et Opeña : « Pourquoi c’est si compliqué pour les gens de savoir s’ils sont méchants ? », demande naïvement le petit.

Et les parents, corrompus mais honnêtes, de répondre : « Nous sommes tous les méchants à un certain moment de nos vies, Peter. On fait tous des choses qu’il faudrait éviter… Quelles que soient nos fautes, on tente toujours de justifier de façon rationnelle ce qu’on a fait. »

Pensée philosophique et claque visuelle

Difficile de ne pas voir dans tout cela une réflexion sur la montée des fascismes et la façon qu’ont les populations d’accepter, voire de permettre ou justifier, les excès des tyrans. Car ce qui vaut pour le monde de Zhal vaut également pour le nôtre et l’on retrouve dans les méthodes du roi Fange un condensé des pratiques despotiques de l’histoire humaine. Et pas besoin de remonter jusqu’à Hitler pour retrouver des exemples très frappants.

Garils Sulm qui « fait en sorte que plus personne ne distingue le vrai du faux, pour qu’ils réagissent toujours en fonction de leur ressenti », n’est pas si différent d’un Donald Trump. Le fait que la série ait été publiée durant le mandat de ce dernier, entre 2017 et 2021, a d’ailleurs dû influencer le caractère du tyran imaginaire et de ses enfants dérangés.

Adam Osidis va devoir prendre les armes pour sauver sa famille, ses amis, et peut-être même son pire ennemi. ©Urban Comics

Que les plus rétifs à la politique et la philosophie se rassurent, Seven to Eternity n’est pas la Critique de la raison pratique de Kant. Même s’il faut bien avouer que l’univers de Remender, pas toujours très explicite, demande parfois autant d’attention au lecteur que les écrits du penseur allemand. Mais cela reste une bande dessinée de fantasy, avec des êtres merveilleux et des combats épiques qui plairont aux amateurs du genre.

Cependant, Remender a bien compris que ces aspects distrayants ne devaient pas empêcher la réflexion. Au contraire, ils servent d’écrin à une pensée morale rendue plus digeste grâce à un émerveillement rétinien. Et pour ce faire, il peut compter sur Jerome Opeña pour l’épauler. Le dessinateur philippin fait véritablement des merveilles, à tel point que cette intégrale prend des airs d’artbook, mis en couleur par le talentueux Matt Hollingsworth.

Les dessins de Jerome Opeña et les couleurs de Matt Hollingsworth émerveillent les lecteurs à chaque page.©Urban Comics

C’est un régal pour les yeux qui offre de véritables moments contemplatifs, avec des doubles planches dignes d’un Moebius ou d’un Caza entre deux questionnements éthiques. Si les quatre tomes de la série publiés par Urban Comics jusqu’en avril 2022 ont eu l’avantage de satisfaire les amateurs de comics les plus impatients, cette nouvelle édition intégrale permet donc d’apprécier pleinement l’intrigue et l’esthétique de Seven to Eternity. Une série toute récente qui compte déjà comme un classique de la fantasy en comics.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste