Critique

Avec The Plot Holes, Sean Gordon Murphy (Batman White Knight) est en roue libre

21 octobre 2022
Par Michaël Ducousso
Grâce à un financement participatif, Sean Gordon Murphy a pu se passer d'éditeur pour publier une histoire qui lui tenait à cœur.
Grâce à un financement participatif, Sean Gordon Murphy a pu se passer d'éditeur pour publier une histoire qui lui tenait à cœur. ©Urban Comics Sean Gordon Murphy

En France, Urban Comics publie l’œuvre écrite, dessinée et éditée à 100 % par l’artiste américain à succès.

Quand un éditeur met la main sur un artiste capable d’écrire, dessiner et encrer ses propres histoires, et qu’en plus celles-ci se révèlent brillantes, il fait tout pour le garder dans son écurie. C’est le cas du talentueux Sean Gordon Murphy, qui a publié quelques-unes de ses meilleures œuvres – comme Punk Rock Jesus (sous le label Vertigo) ou le fameux Batman White Knight – sous l’égide de DC Comics.

Mais cet artiste complet est avant tout un esprit libre et, en 2020, il a décidé de devenir son propre éditeur en lançant The Plot Holes via un financement participatif qui a récolté plus de 273 000 euros. Une somme qui n’a rien de surprenant tant « SGM » a la cote. Cette réputation bien méritée a d’ailleurs convaincu Urban Comics de traduire en français son œuvre indé, pour la publier ce 21 octobre.

L’agence tous risques de l’édition

The Plot Holes, c’est l’histoire d’une étrange équipe : les Inco-Errants. Un tigre barbare métamorphe, une vampire assassine, un pilote de méchas ou encore un gamin bien moins innocent qu’il n’y paraît, le tout chapeauté par l’agent Ed, l’équivalent féminin d’Hannibal Smith. Ces personnages ont une petite particularité : ils sont tous issus d’œuvres jamais publiées. « Nos membres sont des personnages fictifs recrutés dans différents univers… », explique Ed à sa nouvelle recrue, Cliff « Inkslayer » Wieselwitz, auteur fictif raté, issu d’un roman lui aussi raté écrit par « un hipster prétentieux et privilégié qui refusait d’avoir un vrai travail ».

Les Inco-Errants ont leur propre façon de régler les petites failles scénaristiques des auteurs en manque d’inspiration.©Urban Comics, Sean Gordon Murphy

La mission de cette formation hétéroclite ? « Nous introduire dans d’autres récits pour en sauver autant que possible en les corrigeant et en les publiant. » Et ce n’est pas toujours évident. Un manga qui rassemble les pires clichés du genre avec « des méchas alimentés par des samouraïs pilotant des voitures de course japonaises » mérite-t-il vraiment sa place en librairie ?

Les Inco-Errants peuvent bien réparer une petite erreur dans un livre sur Paul Newman en remplaçant l’Alfa Romeo que lui a attribuée l’auteur par la Datsun qu’il conduisait vraiment, mais peuvent-ils sauver un livre dans lequel les nazis occupent la France avant 1940 ?

Toutes ces petites missions à la portée métatextuelle permettent à Sean Gordon Murphy de s’amuser à montrer la diversité de ses talents en jonglant entre différents styles graphiques. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que, quel que soit le genre, son trait est toujours aussi percutant. En revanche, côté plume, ça pèche un peu.

Inspiré de Sean Gordon Murphy lui-même, Inkslayer est un auteur raté, mais surtout un geek, ce qui en fait une recrue de choix pour Ed.©Urban Comics, Sean Gordon Murphy

Outre la trame de fond assez classique de l’intrigue, la concision de l’histoire (étendue sur un peu plus d’une centaine de pages) laisse le lecteur sur sa faim. On aurait aimé en apprendre plus sur certains personnages ou sur certains aspects de ce multivers livresque. Ceux qui ne seraient tentés que par l’approche méta de The Plot Holes feraient donc mieux de se tourner vers les romans de Jasper Fforde consacrés à la détective littéraire Thursday Next. Par contre, si vous souhaitez en apprendre plus sur Sean Gordon Murphy, c’est le comic qu’il vous faut.

Métavers personnel

The Plot Holes n’a rien d’une biographie, mais c’est un comic étonnement intime. À travers ses héros et leurs sauts entre les livres, Sean Gordon Murphy dévoile ses influences, son goût pour les véhicules en tout genre qu’il dessine à merveille et fait aussi quelques clins d’œil à ses œuvres passées. Punk Rock Jesus et Hellblazer font ainsi de petites apparitions entre deux ersatz de Robocop ou Moby Dick. Certains aspects de ce comic book réalisé en solitaire font aussi beaucoup penser aux collaborations réussies de SGM comme Joe le Barbare (avec Grant Morrison) ou Chrononauts (avec Mark Miller).

Des comics aux mangas en passant par les comic strips, Sean Gordon Murphy démontre avec cet album qu’il maîtrise tous les styles.©Urban Comics Sean Gordon Murphy

Bref, Sean Gordon Murphy a pris plaisir à faire la bande dessinée qu’il voulait et qui lui ressemble. D’ailleurs, il le reconnaît lui-même : les deux protagonistes de l’histoire sont un auteur de BD « inspiré du meilleur et du pire de [sa] propre carrière » et une éditrice au tempérament calqué sur celui de sa grand-mère, décédée avant la parution du comic et à laquelle il rend un hommage appuyé en postface.

Si un peu de SGM transparaît dans chacune de ses œuvres, The Plot Holes est réellement pensé pour être une fenêtre sur son imaginaire et sur sa conception des métiers du livre, dont les acteurs ont un grand pouvoir – celui de donner la vie, même si elle n’est que fictive –, mais également de grandes responsabilités envers leurs créations, qui pourraient bien leur survivre pour mener une existence indépendante et pleine d’aventures.

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Article rédigé par
Michaël Ducousso
Michaël Ducousso
Journaliste