Entretien

Serge Hefez : “Ceux qui suivent des thérapies ne sont ni complètement fous ni nombrilistes”

08 octobre 2022
Par Agathe Renac
Serge Hefez : “Ceux qui suivent des thérapies ne sont ni complètement fous ni nombrilistes”
©DR

Serge Hefez est psychiatre et psychanalyste. Auteur d’une vingtaine de livres, il s’est aussi invité sur le petit écran cette année en tant que consultant sur la série En thérapie. On a profité de sa présence au festival Pop & Psy pour l’interroger sur la place de la santé mentale dans la pop culture.

Vous participez à la première édition de Pop & Psy, qui se tient du 7 au 9 octobre au Ground Control. Pourquoi souhaitiez-vous être présent aujourd’hui ?

Je connais bien l’organisateur, Jean-Victor Blanc, avec qui j’ai eu l’occasion de collaborer. Son livre, Pop & Psy, est très intéressant. Il a permis de donner une image plus positive de la psychologie et de la psychiatrie au grand public, qui est souvent confus face à ces questions. Je participerai aujourd’hui à une table ronde avec les scénaristes d’En thérapie, une série qui a rencontré un large succès et qui a permis de rendre la psychanalyse plus accessible. J’étais consultant sur la deuxième saison, ça a été une expérience incroyable.

Que retenez-vous de ces séances de travail ?

Le fait de montrer les rouages d’une relation entre un psy et ses patients était passionnant. Après, c’est du cinéma, donc il faut que ça bouge, qu’il y ait de l’action. La plupart du temps, une séance d’une demi-heure avec un psy est statique et il ne se passe pas grand-chose. Si on l’avait montrée telle quelle au public, ça aurait été ennuyeux. Alors il a fallu trouver des astuces pour rendre l’histoire plus mouvementée, tout en gardant l’essence même de la psychothérapie. Il y a eu beaucoup d’échanges avec les scénaristes et on a pu trouver un juste équilibre entre la fiction et la réalité.

En thérapie.©Arte

Comment êtes-vous parvenu à rendre ces traumatismes personnels suffisamment parlant pour que les spectateurs s’attachent et s’identifient aux personnages ?

Ils traversent des situations intimes, mais qui nous sont finalement très familières. Un gamin de 12 ans dont les parents se séparent ; une jeune femme atteinte d’un cancer, traumatisée par sa maladie… Tout le monde a déjà vécu ces expériences personnellement ou à travers son entourage. Elles ne sont pas extraordinaires. Ce sont des accidents et des traumatismes de vie universels. Tout le monde les connaît et les a déjà rencontrés, mais on ne sait pas forcément comment s’en sortir. Le pari de cette série, c’était de montrer comment chacun, à sa façon, peut être aidé par un psy dans l’épreuve qu’il traverse.

Avez-vous démystifié certains sujets ou brisé des préjugés durant l’écriture de la série ?

Les scénaristes avec lesquels j’ai travaillé connaissent très bien ce sujet. J’ai apporté mon aide sur des petits détails qui semblent anodins, mais qui font toute la différence entre une relation thérapeutique imaginée et une relation réelle. Par exemple, le scénario raconte qu’un gamin est triste, car il change de ville et part avec sa mère à Bruxelles. Il est écrit que le thérapeute dit à l’enfant : “Tu es triste parce que tu vas me quitter.” Cette phrase impliquerait une relation affective. J’ai donc suggéré de décrire une vraie relation thérapeutique, en disant : “Tu es triste parce que tu as peur que je sois triste que tu t’en ailles.” C’est une différence subtile, mais elle implique la question du transfert.

En thérapie.©Arte

La première saison avait enregistré un record d’audience : le site Arte a comptabilisé 40 millions de vues. Comment expliquez-vous ce succès ?

Le public est très curieux et ces questions l’intéressent beaucoup. Elles ont été ravivées durant et après la pandémie, qui a provoqué des angoisses sur l’avenir. Cette saison 2 parle de l’impact du Covid-19 sur les patients. Les spectateurs se sont retrouvés dans le vécu des personnages.

Quels sont les clichés les plus véhiculés autour des troubles psychiques ?

Il y en a deux. Soit on les minimise, soit on les rend plus inquiétants qu’ils le sont. On a tendance à associer ces troubles à la folie et à la dangerosité. Dans les films, le fou est un personnage mauvais, qui délire, passe à l’acte et commet les pires abominations possibles. D’un autre côté, on a aussi l’image de la psychologie à la Woody Allen et on s’imagine que les personnes en psychanalyse passent leur vie sur un divan, à raconter leur vie et à se regarder le nombril en étant complètement déconnectées de la réalité.

Quand on parle de psychologie, ces deux représentations nous viennent en tête et on se dit que ce n’est pas pour nous, qu’on n’est pas complètement fou ni nombriliste. Le problème, c’est qu’on passe souvent à côté de vrais besoins. Tout le monde peut ressentir la nécessité d’être aidé par un professionnel, d’avoir envie d’être soutenu ou de prendre un traitement. Ce n’est pas pour autant que nous sommes en dehors du système, anormal, ou malade.

La série En Thérapie a-t-elle permis à certains spectateurs de sauter le pas et d’aller consulter ?

Je n’ai pas de chiffres, mais beaucoup de collègues ont constaté que leurs demandes de consultation avaient augmenté. Je pense que la série est un facteur de cette hausse, mais il y a aussi le Covid et toutes ces montées d’angoisse autour du climat. C’est un phénomène global.

Et comment les psys font-ils pour extérioriser ? Consultent-ils d’autres psys ?

Oui, c’est ce qu’on voit dans la série. Le thérapeute voit un superviseur, qui est un “psy de psy”. On leur raconte les difficultés que nous rencontrons dans nos prises en charge. C’est une pratique courante et conseillée, surtout pour les psychanalystes. C’est un métier qui nous engage personnellement et très fortement, car nous soignons les autres avec ce que nous sommes.

Quel personnage de la pop culture mériterait une bonne thérapie ?

Beaucoup ! Récemment, j’ai vu Blonde, et je pense que Marilyn Monroe serait une bonne candidate. Le film nous dévoile sa fêlure psychique. Paradoxalement, c’est ce qui l’a rendue aussi fascinante. Les gens n’étaient pas fans d’elle parce qu’elle était la plus belle ou la meilleure des actrices. C’est justement parce qu’il apparaissait quelque chose de ces blessures – et le long métrage le montre très bien.

La pop culture est-elle un bon terrain de jeu pour déconstruire les préjugés sur la santé mentale ?

Oui, car ces œuvres sont très présentes dans notre quotidien et on y accède très facilement. Cette thématique figure de plus en plus dans les clips, dans les films, dans les séries ou encore les mangas. Ils nous parlent de bien-être, de troubles psychiques… Et nous permettent de mieux comprendre et appréhender ces sujets.

Les films et les séries nous offrent-ils une représentation juste de ces troubles ?

Ils les représentent mieux qu’avant, oui. Ils sortent de ces deux écueils dont on parlait tout à l’heure, la folie et le nombrilisme, pour nous montrer des personnes qui traversent des dépressions, des deuils, qui sont anxieux vis-à-vis de la pandémie ou du changement climatique… Par exemple, En thérapie aborde très bien ces questions. C’est une série très aboutie, qui nous permet de mieux comprendre la psychothérapie.

En thérapie.©Arte

À l’inverse, quels troubles sont les moins bien représentés, encore aujourd’hui ?

Je dirais la psychose, la schizophrénie, la paranoïa… Il faut savoir qu’aujourd’hui, beaucoup de personnes sont atteintes de troubles psychotiques. Pourtant, ils vivent de manière tout à fait normale. Ils vivent dans nos quartiers, ont un travail et suivent un traitement. Ce n’est pas parce qu’on a une pathologie mentale qu’on est à côté de la plaque ou exclu de la société. Grâce aux médicaments et au suivi professionnel, on peut arriver à des conditions quasiment normales sur le plan de la réinsertion. Et ça, le grand public ne le sait pas.

Split nous montre le trouble dissociatif de l’identité comme une maladie spectaculaire.©Blinding Edge Pictures, Blumhouse Productions

Les films diffusent des représentations plus impressionnantes et monstrueuses. Ils confondent troubles psychotiques et folie. Ils retiennent les quelques faits divers qui ont fait les gros titres, comme ce schizophrène qui a décapité des infirmières. Ça existe, certes, mais c’est extrêmement marginal par rapport à la réalité de cette maladie.

Vous l’avez dit : la pandémie de Covid-19 nous a permis de nous recentrer sur nous-mêmes et de nous intéresser à notre santé mentale. Pensez-vous que ces sujets seront désormais plus centraux dans la pop culture ?

Je pense qu’ils vont avoir une place plus importante, oui. On entend de plus en plus parler d’anxiété et de fatigue. Tout le monde est épuisé, alors qu’on vient tout juste de rentrer de vacances. C’est une fatigue mentale et psychique, qui traduit cette peur et cette difficulté à se projeter dans l’avenir. Il y a une vraie accumulation, entre les épidémies, les catastrophes naturelles, le réchauffement climatique… Ces angoisses touchent tout le monde et je pense qu’elles seront de plus en plus présentes dans les séries à venir.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste