
L’épiderme encore piqué de chair de poule, nous voilà de retour de la 32e édition du bouillonnant Festival international du film fantastique de Gérardmer. Au programme cette année : quelques périlleuses balades forestières, des corps tiraillés, des esprits tourmentés et quelques fantômes, des figures de style attendues mais aussi quelques audacieuses prises de risques. Voici notre moisson de frissons tout droit ramenée des terres vosgiennes.
In a Violent Nature, de Chris Nash
Commençons par celui qui s’est vu remettre les lauriers du jury de cette édition 2025 : In a Violent Nature du Canadien Chris Nash. Étonnant slasher forestier minimaliste en FPS (first person shooter, un processus de jeu vidéo) tout au long duquel nous nous retrouvons collés au dos d’un mort-vivant vengeur, lancé – au pas – dans une sanglante traque assassine. Une marche lente sur les traces d’une bande de jeunes partis pour partager de joyeuses retrouvailles dans une maison perdue au fond des bois – quelle idée, aussi !
Un parti pris formel audacieux qui, s’il divise, a le mérite d’être pris. Et si le scénario aurait peut-être gagné à se voir épaissi, Chris Nash nous gratifie d’excellentes trouvailles de mises en scène, où chaque mise à mort rivalise d’inventivité, donnant parfois à contempler l’incroyable souplesse du corps humain !
Azrael, d’E.L. Katz
Restons en forêt avec Azrael d’E.L. Katz, survival au féminin planté au cœur d’un monde post-apocalyptique littéralement réduit au silence. C’est en tout cas le mode de vie « choisi » par une communauté de dévots fanatiques pour lesquels la parole est un péché. Le film suit le parcours d’Azrael, fuyant pour sa survie alors que les membres de la secte la poursuivent afin de la sacrifier. C’est semble-t-il la seule façon de calmer les appétits sanglants de mystérieuses créatures qui peuplent la forêt.
Pas mal de questions laissées sans réponses dans ce film qui, là encore, aurait sans doute mérité une plus grande profondeur narrative. Néanmoins, certains silences en disent long et celui de Samara Weaving, dans le rôle-titre, est criant d’effroi. De quoi rendre plus assourdissante encore la seule matière sonore à se mettre sous la dent : cris de terreur ou de douleur, déchirures de la chair et bande originale bien sentie. Un thriller horrifique des plus féroces !
In Vitro, de Will Howarth & Tom McKeith
En Australie, dans un futur pas si lointain, une catastrophe écologique a détruit la production de bétail du pays. Isolés dans leur ferme, au cœur d’une nature australienne que l’on ne voit pas si souvent à l’écran, Jack (Ashley Zukerman) et sa femme Layla (Talia Zucker) ont choisi de s’en remettre à la biotechnologie – le clonage – dans l’espoir de sauver leur élevage et d’éviter la faillite… Mais Jack ne mènerait-il pas des expériences personnelles autrement plus dangereuses ?
Avec beaucoup de subtilité, mais sans trop en dire ici quant aux procédés utilisés, les réalisateurs Will Howarth et Tom McKeith abordent les thèmes délicats de la violence domestique, de l’emprise et de la peur refoulée. Ou quand la SF vient enrober de ses mystères un émouvant drame conjugal.
Oddity, de Damian Mc Carthy
Damian Mc Carthy nous avait déjà bien accroché avec son premier film Caveat, huis clos anxiogène à la construction un brin brouillonne, certes, mais à travers lequel le cinéaste irlandais faisait déjà la démonstration de son sens aigu de la mise sous tension. Il revient avec Oddity, un second film plus abouti. L’histoire de Darcy (Carolyn Bracken), une médium atteinte de cécité – une voyante aveugle, il fallait le faire ! – propriétaire d’un cabinet de curiosités dont elle parvient à « lire » les sombres secrets. Un don grâce auquel elle compte bien faire toute la lumière sur le meurtre de sa sœur jumelle, Dani, assassinée un an plus tôt. Pour l’aider dans sa tâche, un mystérieux mannequin en bois.
On retrouve dans le film ce goût de la mise en scène oppressante et insidieuse. Mais on y trouve aussi et surtout un récit bien mieux tenu et aux enjeux réels tels que le deuil et le féminicide. Avec Oddity, Mc Carthy a franchi un cap, c’est incontestable, et on s’en réjouit. Le film est d’ailleurs reparti de Gérardmer avec le précieux prix du Public.
Companion, de Drew Hancock
Mieux vaut être seul que mal accompagné… Voilà peut-être ce qu’il vous faudra retenir de ce sympathique Companion. Sophie Thatcher (Yellowjackets, Heretic) y incarne Iris, charmante humanoïde au service – sentimental et sexuel – de Jack, incel (ces « célibataires involontaires » qui se définissent comme incapables de se trouver un ou une partenaire) campé par Jack Quaid (The Boys). Dans le cadre des célèbres lois d’Isaac Asimov, Iris est obéissante et ne peut porter atteinte à autrui. À moins que…
Avec Companion, Drew Hancock signe un séduisant thriller horrifique doublé d’une malicieuse satire féministe, le tout teinté de tragicomédie à l’humour noir irrésistible. Et quel joli numéro que celui de Sophie Thatcher !
Exhuma, de Jang Jae-hyun
Il y a assurément du Na Hong-jin chez Jang Jae-hyun et du Strangers dans cet Exhuma. Et le jury ne s’y est pas trompé en lui décernant le prix du Jury – ex æquo avec Rumours, nous en parlons un peu plus loin. Ancré dans la tradition du ténébreux folk horror sud-coréen, Exhuma raconte l’histoire d’une longue et éprouvante tentative de désenvoûtement afin de libérer une famille fortunée, marquée du sceau d’une terrible malédiction. Une malédiction qui la contraindra à revenir en terre coréenne, afin de conjurer leur sort autour de la tombe d’un aïeul pour le moins contrarié. L’idée ? Exhumer son corps afin d’apaiser sa colère. Pour mener à bien cette délicate entreprise, un quatuor : une jeune chamane (Kim Go-eun), son protégé (Lee Do-hyun), un entrepreneur de pompe funèbre (Yoo Hae-jin) et un géomancien adepte du feng-shui (Choi Min-sik, vu notamment dans Oldboy).
Jang Jae-hyun évite l’écueil de la surenchère pour préférer nous entraîner lentement au cœur des croyances coréennes et de ses rituels mystiques. Une plongée obscure au plus près des racines du Mal pour exhumer les blessures de l’histoire.
Else, de Thibault Emin
Audacieux parti pris encore, tout en poésie, que celui du réalisateur français Thibault Emin avec Else. À vous, simplement, d’avoir l’audace en retour de vous laisser happer par l’univers étrange et ensorcelant de cette œuvre singulière, où un simple regard suffit à fusionner les vivants avec les choses… En effet, dehors, un mystérieux virus fait « se mélanger » les corps avec les objets. De quoi pousser le taciturne Anx (Matthieu Sampeur) et la sémillante Cassandre (Édith Proust) à rester confiner dans l’espace exigu d’un appartement.
De fusion, c’est bien ce dont il est question dans ce film hors-norme : fusion de l’animé et de l’inanimé, fusion des corps et des émotions. Au final, une troublante histoire d’amour, d’horreur et de résilience portée par une mise en scène jusqu’au-boutiste de créativité.
Rumours, de Guy Maddin, Evan & Galen Johnson
Cette année, les festivaliers de Gérardmer se seront bien amusés à voir les riches et les puissants mis, à l’écran, sur le banc des accusés. Ainsi, outre le très dispensable La Fièvre de l’argent, nous avons préféré retenir Rumours de Guy Maddin, Evan et Galen Johnson, second lauréat du prix du Jury.
Le film nous plonge dans les dessous du G7, nous invitant à suivre les errances aussi pathétiques que surréalistes de chefs d’État perdus en forêt. À l’affiche, quelques « puissants » du cinéma ont accepté de jouer le jeu : Cate Blanchett y joue ainsi une chancelière allemande stricte et sévère, Denis Ménochet, un président français délicieusement épicurien, Charles Dance, son homologue américain vieillissant et affaibli et Alicia Vikander une présidente de la Commission européenne. Un casting chevronné que l’on se délecte de voir jouer littéralement les imbéciles heureux devant la caméra d’un Maddin à l’écriture joyeusement grinçante.
Presence, de Steven Soderbergh
Hors compétition mais évidemment très attendu : Presence de Steven Soderbergh qui ne se lasse décidément pas d’être là où on ne l’attend pas. Bien sûr, le monsieur a déjà donné dans le cinéma de genre avec le visionnaire Contagion ou encore son thriller psychologique Paranoïa. Le voilà qui s’essaye désormais à l’histoire de fantôme et de maison hantée mais… filmée du point de vue de l’ectoplasme !
Dans une succession de plans-séquence en caméra subjective, Soderbergh nous place dans la peau de l’hôte invisible, aux premières loges du spectacle d’une famille en crise : la mère Rebecca (Lucy Liu), le père Chris (Chris Sullivan), le frère Tyler (Eddy Maday) et la cadette Chloé (Callina Liang). Et alors qu’ils espéraient tous laisser derrière eux les maux qui les rongent en emménageant dans cette luxueuse maison, la mystérieuse présence de devenir le révélateur de dysfonctionnements plus profonds encore…
Les Maudites, de Pedro Martín-Calero
Pour finir cette sélection gérômoise, celui qui, à l’unanimité, a gagné notre admiration : El Llanto de Pedro Martín-Calero. The Wailing en anglais ou encore Les Maudites en français. Le récit entrelacé de trois femmes, Andrea (Ester Expósito), Marie (Mathilde Ollivier) et Camila (Malena Villa), toutes unies par une même malédiction. Une présence que personne ne voit, des sanglots que personne n’entend. Et ce à quelques vingt ans d’écart et près de 10 000 km de distance, entre Madrid, Espagne, et La Plata, Argentine.
Brillamment épaulé à l’écriture par Isabel Peña, plume aiguisée de Rodrigo Sorogoyen (Que Dios nos perdone, El Reino, As Bestas…), Pedro Martín-Calero livre ici un premier film remarquable de terreur primaire pour évoquer les violences faites aux femmes et les traumatismes qu’elles engendrent. La façon dont cette souffrance invisible et incessante se répand et se transmet de génération en génération, de corps en corps. L’incrédulité qu’elle suscite au sein de l’entourage comme chez les victimes elles-mêmes qui ne veulent y croire. Et le profond sentiment de sororité qui réunit toutes ces femmes tyrannisées. Un premier long-métrage aussi dérangeant qu’intelligent, à la terreur superbement féministe.