Entretien

Aïssa Maïga : « Faire entendre d’autres voix reste très difficile »

21 mai 2025
Par Catherine Rochon
Aïssa Maïga : "Faire entendre d’autres voix reste très difficile"
©Jour2fete

Actrice, réalisatrice et figure du combat pour une plus grande diversité dans le cinéma français, Aïssa Maïga est au casting du troisième film de la réalisatrice Erige Sehiri, « Promis le ciel », présenté au Festival de Cannes 2025. Échange avec une artiste engagée, qui refuse les rôles assignés, à l’écran comme dans la vie.

Son discours percutant sur le manque de diversité dans le cinéma français avait bousculé la très polissée cérémonie des César en 2020. Et mis toute la profession face à ses responsabilités. L’engagement toujours chevillé au corps- elle est notamment à l’origine du livre collectif Noire n’est pas mon métier– , l’actrice-réalisatrice Aïssa Maïga garde la parole libre et le regard incisif. Loin de se contenter des espaces étriqués que l’industrie hexagonale lui concède, elle voit plus grand et plus loin.

Dans le long-métrage Promis le ciel de la talentueuse réalisatrice franco-tunisienne Erige Sehiri (Sous les figues), présenté au Festival de Cannes 2025 dans la sélection Un Certain Regard, la voici dans un rôle intense : celui d’une pasteure évangéliste ivoirienne. Alors qu’Aïssa Maïga est présente à la Fnac de Cannes ce 21 mai pour un échange autour de la place des femmes dans le cinéma, elle nous partage ses espoirs comme ses colères.

Dans le film Promis le ciel, vous incarnez une pasteure ivoirienne. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce rôle complexe ? 

Ce qui m’a plu, c’est d’abord l’univers de la cinéaste Erige Sehiri. Elle s’est immergée dans son sujet pendant deux ans avant d’écrire ce scénario. Elle avait vraiment une connaissance très fine de la situation des migrants ivoiriens, en l’occurrence en Tunisie. Et puis ce personnage de femme allie à la fois une grande force et une profonde vulnérabilité. C’est un rôle tout à fait inédit pour moi.

Avez-vous mené des recherches pour vous préparer ?

Je n’ai pas eu le temps ! D’habitude, Erige travaille avec des acteurs non professionnels et il était question que le rôle soit incarné par une vraie pasteure. Mais elle m’a contactée, m’a proposé de venir à Tunis et a décidé de m’engager sur ce projet en juillet 2024. Le tournage commençait deux semaine après. J’ai donc eu un temps de préparation très ramassé et j’ai dû travailler d’arrache-pied pour ingurgiter les prêches et les textes.

Ce film aborde des thématiques d’exclusion et de foi. Des sujets qui résonnent fortement avec l’actualité. 

Oui et ce film torpille beaucoup de clichés, notamment liés aux migrants africains et pas seulement subsahariens. Rappelons que 80% des migrations se font à l’intérieur du continent africain. Les personnes se déplacent d’un pays à l’autre à 80%, et seulement 20% partent ailleurs sur la planète.

Bande-annonce du film Promis le ciel

Etait-il important de collaborer avec une réalisatrice ?

C’est important, oui. Promis le ciel est un film porté par des personnages principaux féminins, réalisé par une femme, qui en plus a été journaliste, documentariste. Mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est bien sûr le propos et le regard.

Avez-vous constaté une évolution dans la représentation des femmes à l’écran ces dernières années ?

Oui, notamment grâce au travail engagé par le collectif 50/50. Il existe aussi un levier financier : les productions peuvent bénéficier d’un bonus de 15 % accordé par le CNC, à condition de remplir certains critères liés à la parité, que ce soit sur les plateaux de tournage, derrière la caméra ou dans les postes décisionnels. C’est un progrès concret et mesurable. Bien sûr, il reste du chemin à parcourir, mais les opportunités offertes aux femmes pour réaliser des films avec des budgets plus conséquents sont aujourd’hui bien plus nombreuses qu’auparavant.

Et avez-vous le sentiment que les rôles proposés aux femmes ont gagné en complexité, en diversité ?

Mon agent me dit qu’il est compliqué de trouver des rôles pour des femmes d’âge mûr. Je cumule les mandats (rires). Mais je m’y prépare, à la manière des mannequins ou des sportives de haut niveau qui savent que leur carrière va être courte. Sauf que moi, j’ai bien l’intention de la prolonger de manière significative.

Les Etats-Unis sont tellement plus en avance que nous sur ces questions : les actrices de plus de 50 ans et même de plus de 60 ans sont parmi les plus demandées à Hollywood aujourd’hui. Mais j’ai quand même l’impression qu’on tend vers quelque chose de plus inclusif.

Comment faire bouger les choses ?

On est obligé d’être créatif, de trouver des manières de rebondir, d’élargir nos horizons. Par exemple, je travaille de plus en plus à l’étranger, dans d’autres langues. Je me lance dans la production. J’ai envie de créer des plateformes pour d’autres narrations, pour tourner sur le continent africain par exemple.

Promis le ciel

Aïssa Maïga dans le film Promis le ciel

Comment vous percevez la place des femmes racisées dans les discussions sur l’égalité et la parité dans le cinéma ? Sont-elles suffisamment incluses dans ces combats ?

C’est un angle mort. Je pense que le féminisme doit faire l’objet d’une autocritique permanente. Car même ces dernières années, il a souvent été porté par une vision majoritairement blanche. Faire entendre d’autres voix reste très difficile. L’intersectionnalité semble pourtant une évidence pour une nouvelle génération de jeunes féministes, qui cherchent à ne pas reproduire les mécaniques d’exclusion ou de domination. Mais pour ma part, avoir pris la parole sur ces sujets m’a probablement coûté des rôles. Aujourd’hui, je ressens une forme de lassitude.

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Votre discours marquant lors des César 2020 a bousculé la cérémonie. Vous êtes ainsi devenue – peut-être malgré vous – une figure emblématique de cette volonté de changement.

Mais je ne peux pas passer ma vie à ne faire que ça. J‘en parle interview après interview et cela ne sert à rien. Et pendant ce temps-là, les personnes en charge, politiquement ou dans les institutions, restent tranquilles… Je ne suis pas à la tête des société de cinéma, je n’ai pas le pouvoir de changer les choses, je ne suis pas décisionnaire. Je n’arrêterai pas d’en parler pour autant. Mais au moment où je l’aurais choisi.

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