
En marge du Festival de Cannes 2025, une belle exposition s’installe sur la Croisette jusqu’au 13 juin : « Delon & Elle ». Dévoilant une série de clichés rares et intimes, ce parcours photographique en plein air rend hommage à Alain Delon, monument du cinéma français disparu en 2024, et à ses partenaires féminines. Sa fille, Anouchka Delon, nous guide avec émotion à travers cette rétrospective, entre mémoire personnelle et héritage cinématographique.
Lorsqu’elle a débarqué à Cannes il y a quelques jours, Anouchka Delon en a eu les larmes aux yeux. Le visage magnétique de son père, Alain Delon, décédé le 18 août 2024, s’affiche partout. À l’heure où la Croisette devient, le temps du 78e Festival de Cannes, l’épicentre du monde du cinéma, rendre hommage à la légende du septième art s’est imposé comme une évidence. Par la grâce d’une exposition à ciel ouvert organisée par Anoucka, la Mairie de Cannes et le Humann Prize, des photographies iconiques d’un Delon éternel se déploient à travers la ville. Cette exposition, intitulé « Delon & Elles », met en lumière les femmes- de Romy Schneider, à Mireille Darc en passant par Brigitte Bardot- qui l’auront inspiré et accompagné tout au long de sa longue et prolifique carrière.
A l’occasion de sa rencontre organisée par la Fnac de Cannes, nous avons interrogé l’actrice Anouchka Delon sur la genèse de ce projet et ce que représente pour elle cet hommage tant public qu’intime.
Comment s’est fait le choix des clichés présentés dans cette exposition ?
Cela a été un long travail d’archives, mené en collaboration avec Rosalie Mann, présidente du The Humann Prize. Dès le départ, j’ai voulu dénicher des images inédites, montrer des clichés peu ou jamais vus. Ensuite, il a fallu entamer un travail minutieux pour retrouver les ayants droit- ce qui a pris beaucoup de temps.
La sélection s’est faite de manière assez instinctive. Chaque photo retenue est apparue évidente. Bien sûr, nous n’avons pas pu tout exposer. Il a fallu faire des choix, privilégier les images les plus fortes à nos yeux, celles qui nous touchaient le plus, mais aussi celles qui pouvaient résonner auprès du public.
Nous voulions surprendre les visiteurs avec des photos rares, pas uniquement des images de films, mais aussi des instants volés sur les plateaux, des coulisses, des tournages. Et puis il y a des clichés emblématiques qu’il nous paraissait essentiel de conserver, comme cette image issue de la publicité Dior, une autre extraite du film Les Aventuriers, ou encore cette photo saisissante d’Alain Delon, seul sur le tapis rouge, lors de la remise de sa Palme d’or d’honneur en 2019.
Vous avez partagé votre surprise en story sur Instagram lorsque vous avez découvert les premières photos qui ornent les murs et les rues de Cannes.
Oui, je ne m’y attendais pas, parce que je n’avais pas encore vu l’expo installée. Et lorsque je me suis baladée dans les rues de la ville très tôt et que je suis tombée sur l’une des photos affichées, j’ai lâché spontanément un : « Oh ! ». C’était émouvant.
Il y a-t-il une photo qui vous a particulièrement touchée parmi toutes ces archives ?
Oui, il y en a une extraite d’un film de Michelangelo Antonioni, L’Eclipse, qui n’est pas très connu. Alain Delon y joue aux côtés de Monica Vitti. Et cette photo est exceptionnelle parce que j’adore ce film, et je trouve que c’est un couple de cinéma magnifique.
Et il y a une photo de lui seul aussi dans Le Professeur. Un film extraordinaire, italien, pas très connu, mais c’est l’un de mes films préférés. Il porte un long manteau beige, on sent toute sa solitude et son ombre sur la photo. J’aime beaucoup cette photo.
Quelle époque de la carrière d’Alain Delon préférez-vous ?
Toute la période de la fin des années 60 et début des années 70, quand il fait Le Clan des Siciliens et Les Aventuriers. Ce sont ces films-là qui me plaisent le plus et qui me font rêver.
Avez-vous une anecdote particulière liée à l’une des photos exposées ?
Ce n’est pas directement une anecdote liée aux images exposées, mais c’est une histoire marquante. Parce qu’au fond, c’est une femme qui a fait basculer le destin de Delon. Lors de l’inauguration de l’exposition ce 14 mai, Thierry Frémaux a évoqué René Clément et son film Plein Soleil. À l’origine, lorsqu’il est auditionné pour ce film, Delon devait interpréter le rôle tenu par Maurice Ronet. Mais il s’est présenté au casting, jeune et effronté, et déclaré à René Clément qu’il voulait le rôle principal, celui de Tom Ripley. Clément l’a très mal pris.
C’est alors qu’une voix a résonné depuis la cuisine : c’était Madame Clément qui a lancé « Chéri, le petit a raison ». Et c’est ainsi que tout s’est joué.
Alain Delon avait eu cette phrase : « Ce sont les femmes qui m’ont aimée, qui m’ont fait faire ce métier, qui m’ont permis de réussir ».
Parce que les femmes l’ont porté, que ce soit dans sa vie privée ou au cinéma et dans les rôles qu’ils partageaient ensemble. C’est un tout, ils se complètent. On n’est pas un grand partenaire de cinéma sans un.e autre grand.e partenaire de cinéma.
Le nom de l’exposition est « Delon & elles ». On a beaucoup évoqué les histoires d’amour d’Alain Delon, mais il a aussi fait souffrir les femmes.
Les femmes ne sont pas grand-chose sans les hommes, tout comme les hommes ne sont pas grand-chose sans les femmes — c’est une relation d’égalité et c’est ce que nous avons aussi voulu montrer dans cette expo. Alain Delon a toujours eu beaucoup de respect pour les femmes. Et d’une certaine manière, elles lui ont offert leur lumière, et c’est sans doute aussi grâce à cette lumière qu’il a pu briller.
De tous ces couples de cinéma, il y en a-t-il un qui vous émeut particulièrement ?
Ils me touchent tous, mais comme je vous le disais, j’aime particulièrement le duo avec Monica Vitti dans L’Eclipse. Peut-être aussi parce que c’est l’un des premiers « vrais » films d’auteur de lui que j’ai vus. Avant ça, j’avais vu Zorro ou La Tulipe Noire. Il m’a beaucoup marquée. Et le magnétisme de cette actrice est incroyable.
Expo Delon & Elles à Cannes
Il parlait de vous comme de « la femme de sa vie ». Comment vous qualifieriez votre relation privilégiée avec votre père ?
Lui était l’homme de ma vie. C’était une relation d’amour inconditionnel. Et ça, c’est un très beau cadeau à partager.
Et le voir partout à Cannes, autour de vous, cela doit être bouleversant.
J’arrive à garder de la distance. Quand je parle de lui, l’acteur, je dis Alain Delon et pas « mon père ». C’est deux choses différentes, bien distinctes.
Avez-vous le sentiment de prolonger une part de son héritage artistique en étant présente à Cannes ?
Non, je n’aurais pas la prétention de dire ça. Nous sommes juste des passeurs. Et après, ce sont les gens du métier, le public qui continuent à le faire vivre. De toute façon, il faisait du cinéma pour le public.
Est-ce que vous avez un souvenir marquant lié à Cannes avec votre père ?
Oui, sa Palme d’or d’honneur en 2019. Ce moment où il est tout seul, sur le tapis rouge. Il voulait que j’aille avec lui. Et pour moi, c’était hors de question parce qu’il fallait qu’il brille seul. C’est Alain Delon, quoi. Et il se suffit à lui-même sur ce tapis rouge. C’est le souvenir qui me procure le plus de fierté.
Cette exposition pourrait-elle devenir itinérante ?
J’aimerais beaucoup. Ça serait une idée intéressante de la partager dans le monde entier. Peut-être de faire des expositions très courtes dans d’autres capitales, dans d’autres villes de cinéma. Ça serait super.
Quels sont vos projets personnels ?
J’ai un film Hi How Are You ? qui vient de sortir sur Amazon Prime. Un film franco-américain de la réalisatrice Clemy Clarke, qui était mon amie de lycée. C’est un film assez particulier parce qu’il a été tourné pendant le Covid donc on l’a tourné à distance. On nous a envoyé le matériel sur place pour s’improviser éclairagiste, technicien, accessoiriste, tout. C’était très intéressant à faire. Et sinon, je devrais remonter sur les planches à Paris en 2026. Je suis contente.
Alain Delon est décédé l’été dernier. Comment vivez-vous ce vide ?
En fait, je comprends aujourd’hui cette fameuse phrase qui dit que l’on mesure la présence de quelqu’un à son absence. Et c’est vraiment maintenant que je le sens. Mais je sens également sa présence. Il est encore plus là. Cela m’aide à traverser ce moment avec beaucoup de sérénité. Bien sûr, il y a des moments où c’est difficile. Mais j’ai toujours aimé cette phrase : « Ne pleure pas de l’avoir perdu, mais réjouis-toi de l’avoir connu ». C’est très vrai.