Le thriller domestique n’est pas un polar où les tueurs sont tous des valets de chambre mais bien un sous-genre du roman à suspense plutôt psychologique et féminin où les drames ne se règlent pas au commissariat du coin. De sa définition à son histoire, de ses codes à ses principales références, décryptage d’un phénomène littéraire mondial où la mort n’est pas toujours le pire dans l’histoire qu’on nous raconte.
Thriller domestique, qu’est-ce que c’est ?
Appelé aussi « Chick Noir » ou « Mommy Thriller » chez les anglo-saxons, le thriller domestique place les femmes au cœur d’intrigues concentrées sur les relations humaines où la dimension psychologique prend largement le dessus sur l’aspect policier. Son principe est de s’appuyer sur les angoisses et les conflits du quotidien (familiaux, sociaux, sentimentaux, conjugaux, amicaux…) et sur des personnages qui nous ressemblent. Ici pas de profiler torturé, de détective border line, de tueur en série flippant ni de victime éviscérée mais des hommes et surtout des femmes ordinaires confrontés à des événements tragiques ou traumatisants dans un contexte parfaitement réaliste. C’est cette immersion crédible dans les recoins les plus sombres du quotidien, ouverte à l’identification et d’où le drame peut jaillir à tout moment, qui fait actuellement du thriller domestique un important pourvoyeur de best-sellers. Un genre qui a le vent en poupe et compte parmi ses stars du moment des autrices comme Shari Lapena, Freida McFadden, Paula Hawkins ou encore Lisa Jewell.
Thriller domestique : un genre vieux comme une tragédie
Avec ses histoires de traîtrise, tromperie, jalousie meurtrière et ses crimes de sang intrafamiliaux, la tragédie grecque antique était à l’avant-garde du thriller domestique moderne. Dix-sept siècles plus tard, des contes de fées comme La Belle et la bête, avec ses thèmes sous-jacents du mariage forcé, de la séquestration et du chantage affectif, ou Barbe bleue, et son personnage de tueur en série éliminant toutes ses épouses dans une pièce interdite, prolonge la filiation. En 1944, c’est à un film de George Cukor, Gaslight, adapté d’une pièce de théâtre anglaise que l’on doit le terme de « Gaslighting » (manipulation mentale masculine visant à mettre en doute la parole d’une femme), devenu un des ressorts dramatiques préférentiels du suspense domestique. Pour un retour aux sources plus contemporain, on se laisse envoûter par l’ambiance gothique et l’intrigue en trompe-l’œil de Rebecca de Daphné du Maurier, on jubile face à la mise à l’épreuve grinçante du couple d’Eaux profondes de Patricia Highsmith et on frissonne quand l’héroïne de La Maison du guet de Mary Higgins Clark voit son passé la rattraper.
Thriller domestique : les femmes ont les codes
Plus à l’aise avec nos tourments ordinaires que leurs homologues masculins, les autrices sont majoritairement à la manœuvre dans le monde du thriller domestique. Dans l’intimité d’un salon ou d’une chambre à coucher, derrière les volets d’un pavillon de banlieue américaine ou la porte d’un appartement londonien, le faux-semblant est une règle d’or, la trahison un hobby, l’argent un enjeu, la folie une option, les secrets de famille un accélérateur de particules dramatiques et le féminisme un vrai sujet en embuscade. Apôtre d’un cahier des charges qu’elle a largement contribué à établir, Paula Hawkins apporte une dimension sociale quasiment inédite au genre avec La Fille du train, un drame banlieusard saisissant élevé aujourd’hui au rang de classique du genre. Deux ans plus tôt, Gillian Flynn torpillait la vision masculine du couple idéal américain avec Les Apparences (Gone Girl en VO et au cinéma), un casse-tête psycho-conjugal nerveux et frénétique qui fera date. Autre thriller exemplaire cochant toutes les cases du suspense domestique, Le Couple d’à côté de Shari Lapena qui éclaire la face cachée d’un couple bien sous tous rapports après la disparition de leur bébé.
Thriller domestique : une affaire anglo-féminine
Essentiellement anglo-saxon, le thriller domestique voit régulièrement émerger de nouvelles autrices britannique et américaines. Disposant d’un matériau infini pour construire son intrigue, chacune d’entre elles développe un style qui lui est propre. Dans le troublant Bonne nuit mon ange, Aimee Molloy mêle Stephen King à son histoire d’emprise et de séquestration. Avec La Veuve, l’anglaise Fiona Barton esquisse quant à elle le portrait en clair obscur d’une héroïne pas vraiment héroïque. Plus sombres et tout aussi britanniques, Une autre histoire de Sarah J. Naughton investit le champ judiciaire et social alors que L’Échange de Rebecca Fleet dissèque avec minutie un adultère. Dans un style plus romanesque, le duo d’autrice Greer Hendricks signe un modèle de suspense conjugal et sentimental avec l’incontournable Une Femme entre nous. Drame poignant sur les affres de l’adolescence, Emma dans la nuit de l’ancienne avocate Wendy Walker dynamite la famille bourgeoise américaine. Pour finir sur une note scandinave, on peut faire confiance à la suédoise Camilla Läckberg pour régler violemment son compte au patriarcat par une trilogie choc qui commence fort avec La Cage dorée.
Une femme de ménage phénoménale
Après un flopée de romans médicaux et de thrillers psychologiques restés inédits en France, l’américaine Freida McFadden sort de l’anonymat en 2022 avec le premier tome d’une série de pur suspense domestique centré sur une jeune femme dans la galère entrant au service d’une famille new-yorkaise aisée. Après un début idyllique, le ciel va commencer à sérieusement s’assombrir au fil des détails inquiétants qu’elle va découvrir sur ses employeurs… Véritable phénomène de librairie de ces deux dernières années, la trilogie La Femme de ménage de l’américaine Freida McFadden incarne à elle seule tout ce qui définit le thriller domestique moderne. Comme La Fille du train en son temps, la dimension sociale joue ici pleinement son rôle, notamment à travers l’histoire et la personnalité de son héroïne. Mais, la véritable clé du succès de ce best-seller planétaire réside dans la maîtrise diabolique de ses enjeux narratifs et psychologiques. L’intrigue y est si bien menée que le roman figure aujourd’hui parmi les meilleurs représentants d’un genre où la concurrence est désormais rude.
Des francophones dans la course
Versant dans le domestique tendance roman noir, les autrices francophones proposent de leur côté une alternative plus que solide à la domination anglo-saxonne. Multi-récompensée, la belge Barbara Abel développe depuis plus de vingt ans une œuvre au noir entre polars crépusculaires et thrillers domestiques où la famille est bien souvent le neuvième cercle de l’enfer. Incarnation d’une prometteuse nouvelle génération française, la journaliste Maud Ventura pose avec Mon mari un regard à la fois original, caustique et clinique sur la déliquescence d’un couple et la dérive paranoïaque d’une femme amoureuse pour la vie. Féministe engagée, Louise Mey a choisi la voie du polar et du roman noir pour exprimer ses idées et pointer les sujets qui la révoltent. Avec La deuxième femme publié en 2020, elle réalise un thriller domestique oppressant d’où émerge une réflexion implacable sur les violences faites aux femmes. Célèbre pour frayer avec grand succès au rayon feel good des librairies, Melissa Da Costa change de registre en passant en 2022 du côté obscur de la plume avec La Doublure, une histoire de triangle amoureux toxique dans le monde de l’art et d’emprise entre adultes pas toujours consentants.
Et les hommes dans tout ça…
Plus explicites dans la violence, moins réalistes dans la psychologie, les auteurs de thrillers parviennent parfois à se hisser à la hauteur de leurs homologues féminines sur le terrain du suspense domestique. Parmi les réussites masculines, on peut citer La Fille d’avant, un huis clos anxiogène dans une maison dévoreuse de femme signé par l’anglais J.P. Delaney. Citoyen britannique lui aussi, S.K. Tremayne prend quant à lui un malin plaisir à injecter du venin dans la vie de jeunes couples. En France, Valentin Musso s’est frotté avec succès au « domestic noir » avec Une vraie famille, l’histoire d’un jeune homme sans attaches devenant une menace existentielle pour le couple de retraités qui l’a engagé comme homme à tout faire. Du côté de l’Amérique du nord, le canadien Linwood Barclay fait figure de référence absolue du polar psychologique et domestique alors qu’aux USA, Harlan Coben s’est fait un nom en 2001 avec un modèle du genre, l’incontournable Ne le dis à personne.