Critique

La Deuxième femme de Louise Mey : une psychologie de la violence

16 janvier 2020
Par Anastasia
La Deuxième femme de Louise Mey : une psychologie de la violence

Sandrine ne fait pas partie de ces femmes-là, de celles qui forment un couple puis fondent un foyer. Elle n’est pas non plus une femme qui s’aime. D’aussi loin qu’elle s’en rappelle, elle s’est toujours détestée. C’est vrai, pourquoi l’aimerait-on et voudrait-on se réveiller auprès d’elle, la voir nue, lui dire « je t’aime », elle qui est « trop conne », « trop nulle », « trop grosse ». Un jour, pourtant, le destin va se jouer d’elle, non pour le meilleur mais pour le pire…

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Dans La Deuxième Femme, Louise Mey réussi à faire entrer le lecteur dans les plus intimes pensées de Sandrine. Dès les premières pages, on découvre une femme fragilisée dans ses rapports avec les autres. Plus jeune, elle a grandi sous les mots cassants et les coups violents de son père, sous l’ignorance de sa mère et découvre le sexe violent, celui qui n’a d’autre but que de baiser, comme ils disaient. C’est donc résignée qu’elle avance dans la vie, sans homme et sans ami, juste des collègues de travail avec qui même, elle mange de moins en moins le midi.

Mais un jour, « l’homme qui pleure », celui qui tient la main de son fils et déplore sa femme disparue, va chambouler le monde de Sandrine. Alors qu’elle prononce les premiers mots, ceux qui réconforte, elle remarque les yeux que l’homme pose sur elle : c’est la première fois que quelqu’un la regarde vraiment, elle. C’est aussi la première fois que quelqu’un s’intéresse à sa vie et à ce qu’elle dit. Après cette rencontre, tout va très vite et l’homme qui pleure lui fait de la place : enfin, Sandrine a un chez elle et une famille.

Mais c’était sans savoir que la porte qui se refermait sur elle n’était pas celle du bonheur mais de l’enfer.

Tout va mal mais tout va bien : vouloir rester alors qu’il faut partir

Si Sandrine s’est toujours vu comme la deuxième femme que ce soit dans les déjeuners le week-end avec les beaux-parents, dans le regard de Mathias et dans les yeux des gens, la première femme est loin d’être le vrai problème à sa vie, ce dont elle va très vite se rendre compte.

Louise Mey a su décrire avec talent et adresse, l’emprise d’un homme sur sa compagne. Cela commence par des mots dits en allant, des gestes « insignifiants », mais se termine par des cris, des coups voire, dans le pires des cas, la mort. Ainsi commence le cauchemar de Sandrine, mais aussi celui de tant d’autres femmes.

Même si elle veut croire en son bonheur et garder ce qu’elle a toujours rêvée d’avoir, elle a peur. Peur qu’il revienne « la punir d’avoir osé écouter la voix en colère, d’être restée assise là sans rien faire, de penser sans son autorisation. Alors elle s’enferme dans le plus profond d’elle-même et voile la réalité, scindant en deux hommes celui qui n’en est qu’un : l’homme qui pleure et qui l’aime, et Monsieur Langlois, qui est violent. Et celui-là ne veut pas qu’elle ait de voiture, qu’elle travaille, qu’elle ait un compte en banque à elle, des revenus à elle, qu’elle parle à ses collègues, qu’elle vive en dehors de la maison et de lui. Il vérifie son téléphone, lui fait des crises sans lieu d’être, chronomètre ses trajets, la bat, la viole, la fait dormir par terre. Sandrine devient « une femme qu’on a traitée de chienne et qui a dû dormir sur une descente de lit, habillée de crachats, pour payer une infidélité imaginaire. »

« Il me violait et je devais dire merci. »

Heureusement Mathias, l’enfant, est là. Puis le petit haricot arrive, et une seconde fois, son monde est chamboulé, mais cette fois-ci pour le meilleur. Seulement, ce bébé qui grandit en elle, elle en garde précieusement le secret.

Une grande maîtrise de l’immersion

L’écriture particulière de l’auteure, saccadée et profonde, est très bien maîtrisée, permettant dès les premières pages, de plonger pleinement dans le monde de Sandrine. La manière dont elle arrive à décortiquer le rapport que les femmes peuvent entretenir avec leur corps, l’emprise que l’homme a sur la femme et dans lequel il l’enferme petit à petit… Tout est décrit avec justesse.

Lorsqu’on sort de la lecture, il nous faut du temps, il nous faut digérer et comprendre. Il nous faut faire le deuil de la première et deuxième femme, et retourner à notre vie. Mais nous restons très longtemps bouleversé.

Louise Mey est sans conteste une jeune auteure plus que prometteuse.

Parution le 15 janvier 2020 – 300 pages

La Deuxième Femme, Louise Mey (Le Masque), sur Fnac.com

Article rédigé par
Anastasia
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