Professeur de géographie, politologue, chercheur universitaire, Michel Bussi est aussi l’un des romanciers les plus lus en France. Dans son nouveau roman, Le temps est assassin, il délaisse sa terre de prédilection, la Normandie, pour la Corse. À l’occasion de cette parution, nous avons rencontré l’auteur qui nous parle de paysages et de nature, de son travail d’écriture, de son succès incroyable… En bonus de cette rencontre placée sous le signe du polar : des conseils aux aspirants écrivains.
1. Quel a été le point de départ, l’inspiration première pour écrire Le temps est assassin ?
Il y a eu deux choses. D’abord, l’élément de mystère : j’ai imaginé cette idée d’une adolescente qui perd ses parents dans un accident de voiture devant ses yeux, et qui, des années plus tard, voit réapparaître le fantôme de sa mère et se pose la question si elle est vivante ou pas. Tout lui prouve qu’elle est vivante alors qu’elle l’a vue mourir devant ses yeux. C’est d’abord ce mystère-là qui m’a intéressé. Une fois que je suis partie de là, c’était vraiment « le temps est assassin », c’est-à-dire comment on passe de l’âge d’adolescent à celui de 42 ans, l’âge de mon héroïne, qui a elle-même une fille de quinze ans. Comment la vie bascule des rêves adolescents à la vie d’adulte… Ce passage d’une époque à une autre m’a vraiment passionné.
2. Le roman mêle deux narrations, l’une en 1989, l’une en 2016. La partie qui se déroule en 1989 est la retranscription du journal intime de Clothilde. Comment vous êtes-vous faufilé dans la tête d’une adolescente de quinze ans ?
C’était assez facile finalement, puisque les années 1980, c’est aussi mon adolescence. J’ai essayé de me replonger dans ma propre adolescence. Toutes les références à la culture populaire des années 1980, que ce soit la Lambada, Le Grand Bleu, Beetlejuice… étaient aussi mes références, donc ça n’a pas été si difficile que ça. Je ne me suis pas forcément mis dans la tête d’une adolescente. J’ai plutôt joué sur le côté d’une adolescente qui se sent un peu différente des autres, qui se dit qu’elle ne finira pas comme ces adultes qu’elle voit, une adolescente qui se la raconte un petit peu… Je me suis inspiré de mes pensées quand j’avais son âge.
3. Le temps est assassin détonne un peu dans votre bibliographie, en ce qu’il se déroule en Corse, et non en Normandie : pourquoi ce changement géographique ?
Cela fait très longtemps que j’avais envie d’écrire sur la Corse, qui est une île que je connais bien, dont je suis originaire par mon père et mon grand-père. L’histoire en elle-même pouvait difficilement se dérouler en Normandie, parce que j’avais besoin de soleil, d’eau turquoise et de l’identité corse. L’âme corse est l’un des moteurs de mon roman. Pour toutes ces raisons, la Corse s’est imposée de façon très naturelle.
4. Vous abordez de biais la thématique de la préservation du paysage corse. Est-ce qu’il y a une dimension militante dans votre livre ?
Non, il n’y a pas forcément de dimension militante dans le sens où j’ai plusieurs personnages : certains sont clairement de farouches défenseurs d’une nature préservée en Corse, et d’autres sont plutôt dans le registre de la promotion touristique à tout-va. Chacun a le temps de s’exprimer. Dans Le temps est assassin, il y a cette idée qu’en trente ans, j’ai vu la Corse se transformer, même si elle est encore une île très préservée. Les campings ne sont pas tout à fait les mêmes. On n’est plus tout à fait dans cette Corse sauvage, en tout cas dans sa partie littorale.
On a tous envie d’aller dans une nature sauvage, préservée, tout en aimant aussi pouvoir y accéder, et qu’il y ait de plus en plus de monde qui puisse y accéder. Au final si on préserve, seuls ceux qui ont les moyens de se payer des vacances dans des lieux très privilégiés pourront se l’offrir. Oui, il y a une question, que se posent les Corses : jusqu’à quel point faut-il développer économiquement cette île, notamment via le tourisme ? Faut-il préserver ce trésor quitte à ce que beaucoup de gens ne découvrent jamais la Corse ?
5. Le motif de l’euprocte revient à plusieurs reprises dans votre texte : en quoi est-ce que cette espèce endémique peut-elle symboliser votre roman ?
Le camping des Euproctes est un lieu central de mon roman. Il emprunte son nom à un petit lézard endémique de la Corse, qui est le signe de la biodiversité, parce que c’est un lézard qui a besoin de calme. Plus il y a de bruit, de monde, plus il disparaît. C’est un nom un peu savant pour montrer qu’en Corse, il y a à la fois cette dimension plage, eau turquoise, images de carte postale, et cette Corse authentique.
Derrière le terme d’euprocte, il y a cette île où il faut savoir se perdre dans la nature, savoir écouter, savoir faire silence. Les gens qui vont en Corse recherchent souvent à la fois ce côté paradisiaque et à la fois ce côté très authentique. « Euprocte », c’est ce qu’on espère trouver quand on va dans un village, quand on s’éloigne un peu dans le maquis. Cette Corse-là, c’est celle qui m’intéressait de mettre en lumière à travers les yeux de touristes.
Clothilde, mon héroïne, elle me ressemble dans son rapport à la Corse : elle a un père qui était corse. Son grand-père, sa grand-mère sont corses. Mais elle ne met les pieds sur l’île que rarement, et seulement l’été. Elle se sent corse, tout en ne l’étant pas, et elle est possiblement considérée comme une étrangère par les gens qui y habite toute l’année.
6. Votre roman interroge la nature du couple, les désillusions de l’amour. Il y a une tension entre l’« amour passionnel », dangereux, qui engendre le malheur, et l’« amour rationnel », qui semble être la solution pour les personnages du roman. Est-ce que c’est ce qui se cache derrière votre titre, Le temps est assassin, l’idée que la passion ne dure pas et qu’elle détruit, même ?
« Le temps est assassin », cela renvoie surtout à la chanson de Renaud. Le sous-titre serait « …et emporte avec lui le rire des enfants ». C’est plus une référence au temps qui passe, à l’enfance et l’adolescence qui s’envolent, avec un certain nombre d’idéaux, de rêves. Il y a la petite Clothilde qui rêve à l’amour absolu, à un prince charmant. Comme tout le monde, elle va avoir quelques désillusions. Elle verra que la vie n’est pas aussi simple.
Ce n’est pas la première fois que je parle d’amour. Nymphéas noirs est essentiellement un roman d’amour. Dans Le temps est assassin, il y a un certain nombre de réflexions sur la vie de couple, sur la relation parents-enfants. Ce n’est pas seulement la passion amoureuse, c’est plusieurs façons de voir la passion amoureuse.
J’ai aimé dans ce roman développer les trajectoires de mes personnages. On voit mes personnages en 1989, puis en 2016. Dans ces trajectoires, on voit les gens qui ont tout perdu, ou tout gagné. J’aime ce contraste entre ce que les gens étaient et ce qu’ils sont devenus. Les gagnants à quinze ans ne sont pas forcément les gagnants à quarante ans, ou à soixante-dix ans. Heureusement, la vie parfois réserve des surprises, bonnes ou mauvaises.
Le temps est assassin : le pitch
Corse, 1989. Clothilde est la seule survivante d’un horrible accident de voiture. Elle se retrouve orpheline à quinze ans. 2016. Elle est de retour sur les lieux de la tragédie. Cette petite ado gothique renfermée, fan du personnage de Lydia Deetz dans Beetlejuice, est devenue une avocate épanouie, mariée et mère d’une fille de quinze ans. En revenant en Corse, Clothilde convoque les fantômes du passé et reçoit bientôt une lettre de sa mère, supposément morte dans l’accident.
Dans Le temps est assassin, Michel Bussi met à jour la nostalgie du temps qui passe et interroge la notion de résilience. Il centre son roman autour de personnages féminins forts qui donnent corps à un thriller insulaire aussi tragique que mélancolique.
Pour aller plus loin : notre chronique du roman Le temps est assassin
7. D’écrivain régional à écrivain policier, vous êtes devenu l’un des plus gros vendeurs de livres en France : comment vivez-vous cette ascension ? Cette consécration dix ans après la publication de votre premier roman ?
C’est extraordinaire. J’ai eu de la chance, chaque nouveau roman s’est mieux vendu que le précédent. Je n’ai pas eu un « tube » qui a marché une fois. Chaque nouveau roman a permis de conquérir de nouveaux lecteurs, les nouveaux lecteurs allant lire mes anciens romans. C’est un peu un conte de fées. J’ai tendance à ne presque pas y croire moi-même. Se dire que l’on est parmi les plus gros vendeurs de livre en France, alors que je passe mon temps à lire des livres de collègues écrivains que je trouve aussi bons que les miens, voire meilleurs, et qui ne se vendent pas autant ! Il y a là un petit côté miraculeux.
Je ne connais personne dans le milieu de l’édition. Je suis vraiment arrivé là par le bouche à oreille des lecteurs. C’est vraiment une satisfaction. J’espère que ça peut donner de l’espoir à tout le monde. J’ai été prof en Province, je suis passé par une petite maison d’édition régionale, puis il y a eu un effet boule de neige et mes livres se sont de plus en plus diffusés. Il n’y a pas besoin d’être introduit, d’avoir des contacts dans le milieu de l’édition pour pouvoir connaître un succès comme ça. Ça peut tomber sur n’importe qui et c’est tombé sur moi !
J’essaie à chaque fois de faire des romans qui soient très différents, je crois. Je suis donc à chaque fois très anxieux de voir comment on reçoit mon roman, et à la fois heureux d’avoir des lecteurs fidèles. J’aurais pu écrire cette même histoire quasiment sans la dimension policière, mais les lecteurs attendent aussi que les histoires soient bien ficelées, qu’il y ait un début, une fin, des rebondissements, que tout se tienne. Je trouve qu’il y a beaucoup d’auteurs qui ont des plumes merveilleuses, mais qui parfois ne vont pas jusqu’au bout d’une intrigue. Ils laissent peut-être un peu le lecteur en chemin. Écrire des histoires policières, des histoires sous forme de puzzle, c’est compliqué, ça demande du temps, mais je crois que les lecteurs attendent cela ; c’est un petit plaisir supplémentaire de lecture. Quelque part, je trouve que les critiques en règle générale ne mettent pas assez l’accent là-dessus.
8. Dans vos lectures récentes, pouvez-vous nous conseiller un livre que vous avez particulièrement aimé ?
J’aime beaucoup Paul Colize, un romancier belge qui commence à être de plus en plus connu, mais pas aussi connu que son talent ne le mériterait. Il a écrit des petits chefs d’œuvre comme Back Up ou Un long moment de silence, que je conseille.
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Parution le 4 mai 2016 – 400 pages