
Quatre livres photographiques puissants nous exhortent à la prise de conscience climatique. Alors que les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) montrent une aggravation significative de la crise environnementale, comment la photographie peut-elle jouer un rôle et nous faire sortir de notre confort consumériste ?
Le 28 février, le Giec publiait le second volet du sixième rapport d’évaluation de l’impact humain sur le climat. Le groupe d’experts qui en est à l’origine montre que les conséquences du changement climatique sont manifestes dans la plupart des écosystèmes, des hydrosystèmes et des sociétés humaines. Wolfgang Cramer, qui a dirigé l’un des chapitres du rapport, estime que les catastrophes naturelles survenues ces dernières années « sont de plus en plus courantes et que cette hausse est due, dans un grand nombre de cas, à l’activité humaine. […] La situation s’est significativement aggravée. »
L’expert tire la sonnette d’alarme entre autres sur la montée des eaux de la Méditerranée, sur les différences d’adaptation au changement climatique entre populations, et sur la nécessité d’une implication majeure des pays du Nord : « Pour changer les choses, nous avons besoin de davantage d’efforts financiers et technologiques, impliquant le soutien des pays du Nord, responsables de la plus grande partie des émissions de gaz à effet de serre. »
La photographie est, depuis des années, un moyen efficace et puissant d’éveiller les consciences. Nous connaissons bien l’engagement et les publications de Yann Arthus-Bertrand, Thomas Pesquet ou encore Sebastião Salgado, sans oublier Vincent Munier, qui a sorti son sublime Tibet, Mineral Animal en 2018 et qui vient d’être césarisé pour le film tiré de cette aventure au Tibet avec Sylvain Tesson, La Panthère des neiges.
Mais d’autres photoreporters arpentent le monde pour nous raconter les histoires de celles et ceux qui commencent à subir le changement climatique de plein fouet. Entre 2021 et 2022, quelques livres d’envergure ont marqué le paysage de la photographie de nature. Les quatre ouvrages photographiques que nous vous présentons ici sont des outils d’information et de sensibilisation nous ramenant dans un réel on ne peut plus tangible. Pour découvrir d’autres photographes environnementalistes et soutenir leur travail à l’international, vous pouvez suivre l’association Vital Impact, créée par la photographe de National Geographic Ami Vitale, qui organise régulièrement des actions, des ventes et des expositions en ligne en défense de l’environnement.
1 Pete McBride, Seeing Silence : un périple dans les endroits les plus silencieux au monde
Dans son nouveau livre Seeing Silence, Pete McBride mène une réflexion sur la pollution sonore et nous emmène dans certains des endroits les plus reculés de la planète pour redécouvrir le silence. Un voyage du pôle Nord au pôle Sud, d’est en ouest en quête de ces lieux que le photographe définit comme des « sanctuaires pour nos âmes ».
Pete McBride est l’un des photographes de nature les plus reconnus à l’international, mais ce qui, d’après lui, définit une bonne photo de paysage sauvage n’est pas tant ce que l’on voit avec les yeux que le silence que l’on peut transmettre à travers l’image. Un silence illusoire, car en réalité ces endroits sont pleins de vie et celle-ci s’exprime de toutes les façons possibles : le ruissellement d’un fleuve, le langage des animaux et des insectes, les plantes se mouvant au gré du soleil et du vent, les pas d’un homme qui, seul, descend des sommets de l’Himalaya.
Selon le photographe, notre perception du silence est quelque peu erronée : nous avons tendance à considérer que le silence est en effet l’absence de sons, alors qu’il s’agit plutôt d’un espace sonore laissant la place à des vides, à des blancs, nous permettant d’apprendre d’autres langages.
Ces lieux rappellent la magie d’être vraiment « loin de tout », que ce soit sur le sommet du mont Everest, le long du Gange, dans la savane africaine ou bien dans les hauteurs du désert d’Atacama. Derrière cet éloge du silence, le reporter veut néanmoins nous rappeler que ces lieux sont en train de disparaître, menacés par l’action humaine. À travers la quête de quiétude, l’humain pourra peut-être se souvenir de pourquoi ces endroits sont si importants pour sa propre survie.

Pete McBride est photographe, cinéaste, écrivain et conférencier autodidacte. Il est un artisan de l’image Sony et a voyagé dans plus de 75 pays pour des organisations telles que la National Geographic Society, le Smithsonian, Google et The Nature Conservancy. Avant de sortir Seeing Silence, il avait publié Grand Canyon: Between River and Rim, pour lequel il avait escaladé le Grand Canyon en long et en large, ce qui lui a valu le titre d’Aventurier de l’année 2019 par National Geographic. En 2020, le documentaire tiré de ce livre a été nommé aux Emmy Awards.
Pete McBride, Seeing Silence, Rizzoli, 2021, 208 p., 22,50 €.
2 Nick Brandt, The Day May Break : aux côtés des rescapé·e·s de la crise climatique
Également sorti à la fin de 2021, The Day May Break du photographe de nature Nick Brandt se focalise sur les rescapé·e·s du réchauffement climatique, les premières victimes de ces catastrophes naturelles et humanitaires. Des hommes et des animaux sont photographiés ensemble pour souligner que ces dégâts concernent tout le vivant et que, face à la destruction des habitats, nous sommes condamné·e·s au même sort.
Photographié au Zimbabwe et au Kenya à la fin de l’année 2020, The Day May Break est le premier volet d’une série qui se déroule autour du monde afin de dresser le portrait de personnes et d’animaux touchés par la dégradation et la destruction de l’environnement. Les personnes représentées sur ces photographies ont toutes été touchées par le changement climatique, déplacées par les cyclones et les sécheresses qui durent depuis des années. Les animaux, quant à eux, sont des rescapés qui ne pourront jamais redevenir sauvages et qui sont abrités dans des sanctuaires. Habitués à la présence humaine, il a été assez facile de les faire poser aux côtés des humains.
Le brouillard qui entoure les personnages dans ces clichés en noir et blanc est le symbole d’un monde connu qui s’estompe, comme si l’on quittait ce que l’on connaît pour rentrer dans une instabilité, dans une sorte de limbe. Le livre tire la sonnette d’alarme : la crise climatique a déjà commencé et certain·e·s en subissent déjà les conséquences tangibles… Alors que l’Occident semble cloîtré dans le déni, Nick Brandt veut provoquer une bonne « douche de réalité », nous sortir de nos chimères de metaverse et de virtualité pour nous rappeler que la réalité est tragique.

Dans la préface du livre par l’autrice de Dust et The Dragonfly Sea, Yvonne Adhiambo Owuor, nous lisons : « Nick Brandt est un artiste et un témoin qui s’empare de destins sombres et désespérés et, par un certain mystère et une certaine alchimie, les transmue en un geste d’une beauté poignante et douloureuse. Cela fait une éternité, et même plus, que je n’ai pas vu de photographies contemporaines de personnes d’origine africaine créées par une personne d’origine euroaméricaine, qui étaient aussi tendres, humaines et magnifiques. »
Pour continuer de suivre le projet de Nick Brandt, rendez-vous sur son compte Instagram.
Nick Brandt, The Day May Break, Hatje Cantz, 2021, 168 p., 54 €.
3 Beth Moon, Baobab : en défense des arbres sacrés de Madagascar
Publié par Abbeville Press en 2022, Baobab de Beth Moon est l’un des plus beaux livres photographiques parus récemment. Un livre de photos spectaculaires grand format célébrant les arbres les plus majestueux d’Afrique, qui sont aujourd’hui confrontés à une menace écologique sans précédent.
Depuis 2006, Beth Moon photographie les fascinants arbres sacrés du Madagascar en essayant de mettre en lumière les relations intimes et spirituelles profondes qui unissent les baobabs et les habitants de l’île. Ces géants millénaires abritent bien souvent les divinités locales et l’épidémie qui s’abat aujourd’hui sur eux met à mal l’équilibre et le tissu social de ces populations. En 2018, la photographe est allée photographier le plus impressionnant de ces arbres, le Tsitakakoike, « l’arbre où on ne s’entend pas parler d’un bout à l’autre ». Pendant près de 1 400 ans, cet arbre a fourni du bois, de la nourriture, un abri aux animaux et aux humains qui habitaient autour de lui. Au sein de son immense tronc résidaient les divinités du peuple Masikoro. À cause des sécheresses prolongées, les baobabs s’effondrent sur eux-mêmes et meurent partout en Afrique du Sud et à Madagascar. Le Tsitakakoike n’a pas échappé à ce triste sort et il s’est effondré en 2018. La photographe s’est rendue sur place pour lui rendre un dernier hommage. Elle décrit un spectacle accablant : les racines de l’arbre étaient sorties de terre, comme des bras tendus vers le ciel en quête d’eau.
Le livre retrace ce véritable pèlerinage auprès de ce magnifique arbre, décrit avec émotion et poésie par la photographe. Comme pour clore l’aventure sur une note d’espoir, Beth Moon rend aussi visite à l’arbre qui succédera au Tsitakakoike, le Tsitakakansa, dans lequel les vieux du village invitent les anciens esprits à se rendre par un rituel ancestral. Les baobabs sont un patrimoine inestimable pour notre planète, une espèce végétale rare et complexe. Un baobab peut vivre jusqu’à 2 500 ans et son tronc qui stocke l’eau est une vraie merveille de la nature, pouvant dépasser les 30 mètres de large.
Alors que les plus imposants de ces géants sont en train de disparaître, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme sur la catastrophe majeure qui menace les habitats dépendants de ces arbres sacrés. Avec son livre, Beth Moon veut nous ouvrir les yeux sur l’importance de leur conservation. Vous pouvez naviguer dans la captivante exposition en ligne montée par la photographe en vous rendant ici.

Beth Moon, Baobab, Museo Publishing, 2022, 120 p., 44,50 €.
4 Brice Portolano, No Signal, vivre au plus près de la nature : rencontre avec celles et ceux qui ont tout plaqué pour vivre autrement
No Signal de Brice Portolano est le résultat d’un financement participatif réussi. Un livre photographique qui nous emmène des archipels sauvages de l’Alaska aux forêts enneigées de la Laponie à la rencontre de celles et ceux qui ont décidé de vivre au plus près de la nature. Sans renoncer totalement à la modernité, ces personnes remettent néanmoins en question le fonctionnement de nos sociétés qui brutalisent en permanence le vivant et l’environnement.
Un projet photographique qui soulève un constat central : à ce jour, plus de la moitié de l’humanité vit en milieu urbain et se détache de plus en plus de la nature, ce qui entraîne une incompréhension des enjeux environnementaux qui traversent notre époque. Avec des taux d’urbanisation parmi les plus élevés au monde, l’Europe (73 %) et l’Amérique du Nord (82 %) sont le théâtre de ce projet construit autour de quatre portraits. Pendant cinq ans, le photographe a tissé ce récit autour du monde de la façon cinématographique qui lui est chère, en rencontrant des couples qui se lancent dans un mode de vie autosuffisant, un ancien professeur reconverti à l’archerie équestre, une éleveuse de chiens de traîneaux dans le nord de la Laponie, des fermiers de l’Utah, ayant tout quitté pour poursuivre une envie de liberté et de connexion avec le vivant. Cette nouvelle vie, guidée par le désir impérieux de suivre un autre chemin, se transforme malgré les obstacles en une véritable quête de sens et de liberté.
Brice Portolano est né à Paris, en 1991. Après une enfance en Provence, il se passionne très jeune pour la nature, le voyage et la photographie. Après ses études, il décide de partir explorer les grands espaces pour photographier celles et ceux qui les habitent. Son style mêlant photo documentaire et ambiances cinématographiques a fait de lui l’un des nouveaux grands talents de la photographie française. Son travail est régulièrement publié dans la presse française et internationale, notamment dans GÉO Magazine, National Geographic, The Guardian et 6MOIS.

Brice Portolano, No Signal, Hoëbeke/Gallimard, 2021, 272 p., 35 €.