Critique

Le Nom sur le mur : Hervé Le Tellier éclaire son passé  

19 avril 2024
Par Thomas Louis
Hervé le Tellier revient en librairie avec “Le nom sur le mur”.
Hervé le Tellier revient en librairie avec “Le nom sur le mur”. ©Francesca Mantovani – Editions Gallimard

Avec Le Nom sur le mur, le prix Goncourt 2020 s’intéresse à la vie d’André Chaix, un résistant dont la vie replonge Hervé Le Tellier dans un passé en kaléidoscope.

Comme il doit être dur à écrire, le deuxième roman après un succès comme L’Anomalie (2022, Gallimard), couronné du prix Goncourt en 2020. Lorsqu’il a été question de ce fameux « nom sur le mur », celui d’André Chaix, dans sa nouvelle « maison natale » de la Drôme provençale, Hervé Le Tellier a-t-il instantanément imaginé qu’il s’agirait de son prochain livre ?  

« Sans doute, toutes les vies sont romanesques. Certaines plus que d’autres. »

Hervé Le Tellier

L’histoire qu’il faudrait raconter 

On ne connaît pas André Chaix. Pourtant, c’était un résistant membre des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Son destin est celui d’autres : être tué à 20 ans, en 1944. Un destin, oui, mais certainement pas une trajectoire universelle. En reconstituant ce que l’on peut savoir de la vie d’André Chaix, Hervé Le Tellier montre que la vie de ce résistant est une histoire singulière, en aucun cas un symbole.

Le nom sur le mur, le nouveau livre d’Hervé Le Tellier, sur les traces d’André Chaix.©Gallimard

Fragments de soi 

Est-ce que chaque écrivain est voué à s’emparer, un jour, d’un sujet dont la mémoire est le pivot, à l’instar d’un Patrick Modiano ? Probablement pas, mais il semblerait qu’en traçant des parallèles (toujours bien sentis) avec sa propre vie, Hervé Le Tellier parvient à nous faire oublier ce que l’on a l’impression d’avoir déjà lu.

Ce qu’il semble essentiel de lire, encore. Un exemple ? Le souvenir du suicide de Piette, la femme que l’auteur aimait, alors qu’elle avait 20 ans. Coïncidence, c’est aussi l’âge auquel André Chaix a été tué, laissant Simone, sa fiancée, livrée à leur amour. Le Tellier n’avait probablement pas imaginé que ce nom sur ce mur le conduirait à raconter ces moments de sa vie. Mais ainsi va la littérature : elle éclaire parfois les coins sombres. 

« André aura à jamais 20 ans, Simone sera toujours sa femme. »

Hervé Le Tellier

Le sujet de ce livre est ce que l’on pourrait appeler un sujet périlleux, osons le terme, même « casse-gueule ». C’est aussi la raison pour laquelle, avec son petit ton plein de malice que l’on prend plaisir à retrouver, l’auteur nous plonge dans les rouages de l’écriture, peut-être pour se dédouaner. S’autoriser. Il nous présente ce qu’il aurait pu faire, ce qu’il s’est refusé de faire (typiquement, une lettre ouverte à André Chaix). Une sorte de petite coulisse, où l’on réalise aussi que 2024 est l’année du centenaire de la naissance d’André Chaix. Une coïncidence, encore une, en forme de rappel que le sujet reste capital. Il le restera.  

Sur les traces d’André Chaix 

Et puis, il y a les images. Le Nom sur le mur est un livre illustré. Car Hervé le Tellier a regroupé tout ce qu’il avait l’occasion de regrouper. Par exemple, lors d’une exposition sur la résistance dans la Drôme, il découvre des clichés d’André Chaix et de son frère, mais, point culminant de cette petite quête, il se retrouve avec une boîte où sont regroupés les papiers d’identité d’André, son fume-cigarette, ou encore un article du Dauphiné libéré qui annonce ses funérailles.  

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Rappelons-le, Hervé Le Tellier est l’actuel président de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Au fil des pages, on retrouve d’ailleurs le nom de certains membres : Perec, Queneau, le Lionnais, Calvino. Mais il ne s’agit pas d’un livre oulipien à proprement parler. Du moins, pas frontalement. Le Nom sur le mur est davantage un livre de la sensibilité, qui pourrait, à certains égards, nous rappeler Toutes les familles heureuses (LgF), un autre livre de l’auteur, publié en 2017, dont l’écho autobiographique pourrait être un fil à tirer. 

Penser l’histoire 

Le Nom sur le mur est aussi un livre qui nous rappelle qu’au-delà de la démocratie, l’homme est fragile. Pas si fort qu’on veut bien le croire. Qu’il veut bien le croire. L’occasion pour Le Tellier d’évoquer à nouveau sa découverte du film Nuit et Brouillard (1956) d’Alain Resnais.  

L’auteur prend d’ailleurs cet exemple saisissant de l’expérience de Stanley Milgram, reportée au cinéma par des films comme La Vague (2008). Un exemple qui, une nouvelle fois, nous montre qu’on reconnaît la démocratie peut-être moins au fait de parvenir à se mettre d’accord, qu’à la faculté que l’on a de ne pas l’être, en paix.

Bande-annonce de La Vague.

Au fond, à bien y réfléchir, on ne sait pas vraiment si Le Nom sur le mur est une enquête. On ne sait pas trop ce que l’on cherche avec André Chaix. Mais ça nous va. On prend plaisir à le trouver, ensemble. Car André Chaix n’est rien d’autre que le nom d’un homme qui nous ressemble, un peu. Beaucoup. Pas du tout. 

Le Nom sur le mur, d’Hervé Le Tellier, Gallimard, 176 p., 19,80 €, depuis le 18 avril 2024 en librairie.

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