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Rentrée littéraire 2024 : les monstres du polar sont de retour

02 mars 2024
Par Léonard Desbrières
Hannelore Cayre.
Hannelore Cayre. ©Métailié

À l’occasion de la rentrée littéraire 2024, et alors que se tient du 2 au 3 mars le Salon du polar à la Fnac Bercy Village, L’Éclaireur revient sur cinq thrillers bien corsés pour les lecteurs amoureux de grands frissons.

1 Les Doigts coupés, d’Hannelore Cayre

Dans RRRrrrr !!!, film culte pour toute une génération sorti en 2004, Alain Chabat utilisait le registre de la comédie et de l’absurde pour raconter, à l’âge de pierre, l’histoire du premier crime jamais commis par l’humanité. Avocate pénaliste, autrice acclamée de La Daronne (Points, 2017) et de Richesse oblige (Points, 2020), Hannelore Cayre emprunte les voies du noir pour développer cette idée. Avec Les Doigts coupés (Metailie), chose rare, elle défriche un territoire littéraire encore inexploré et nous offre le tout premier polar préhistorique.

Un paléontologue découvre un jour un squelette féminin vieux de 35 000 ans. Tout indique qu’il tient là la première scène de crime de l’histoire. Une empreinte de main sur la paroi de la grotte près du corps sonne comme un appel : « Regardez donc ce qu’ils m’ont fait ! » Mais quelle atrocité cette femme a-t-elle pu commettre pour mériter la mort ? On embarque pour un voyage dans le temps fascinant.

D’une plume hilarante et acérée, qui s’amuse des décalages et des anachronismes, mais qui maintient à chaque page un suspense haletant, Hannelore Cayre mène l’enquête et fait les présentations avec Oli, une héroïne inventive, badass, une femme furieusement libre qui se rêve en chasseuse au mépris des règles établies. On comprend que sa seule erreur fut de vouloir endosser un autre rôle que celui que les hommes lui avaient assigné. Hannelore Cayre remonte jusqu’à la nuit des temps pour raconter une sordide réalité qui perdure jusque dans la modernité. C’est l’émancipation des femmes qui pose problème aux sociétés et justifie pour messieurs les meurtriers les crimes et les pires atrocités.

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2 Holly, de Stephen King

Avec le temps, les nouvelles parutions de Stephen King font de moins en moins l’événement. Il faut dire qu’avec plus de 100 romans au compteur, dont des titres entrés dans la légende comme Shining (1977), Carrie (1974), Le Fléau (1978), La Ligne verte (1996) et tant d’autres, on a l’impression qu’il est désormais difficile d’être à la hauteur. Mais c’est mal connaître le « King » et son appétit gargantuesque pour la fiction.

Il continue pierre après pierre à bâtir la plus grande cathédrale romanesque de notre temps. Son œuvre est comme une toile d’araignée, un piège terrifiant où les histoires et les personnages sont reliés, où les univers communiquent pour ne jamais nous lâcher.

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Il confie ici le premier rôle à un personnage inattendu. On avait aperçu Holly Gibney dans Mr. Mercedes (LgF, 2009), premier tome d’une trilogie de polars dont Bill Hodges, vieux flic fatigué, était le héros magnifique. Elle n’était alors qu’une figure subalterne, voire décorative, la cousine de l’une des victimes, une vieille fille névrosée. Magie de la littérature, on la retrouve dix ans plus tard, métamorphosée, dans la peau d’une enquêtrice hors pair, employée par l’agence de détectives Finders Keepers, créée par Bill Hodges avant sa mort. Elle traque sans relâche les meurtriers qui peuplent ce bas monde.

Bande-annonce VO d’Hannibal Lecter.

Pas de fantastique ni de paranormal ici, simplement la manifestation la plus effroyable de la monstruosité des hommes. Rodney et Emily Harris sont professeurs d’université et voient la retraite se profiler. Mais de la vieillesse, ils n’en veulent pas. Le couple suit une cure de jouvence d’un genre un peu particulier. Au déjeuner et au dîner, ils rivalisent d’imagination pour déguster les jeunes éphèbes qu’ils ont capturés. Holly nous offre un duel d’anthologie entre une flic féroce et deux vieux notables détraqués qui ne sont pas sans rappeler le Hannibal Lecter (Pocket, 1999) de Thomas Harris. Du pur plaisir de lecteur, le « King » à son meilleur.

3 Un homme dangereux, d’Alexandre Kauffman,

Alexandre Kaufmann est un drôle de spécimen ; un oiseau rare et un auteur d’avant-garde dans le paysage littéraire français. Il incarne une non-fiction gonzo engagée et engageante héritée d’Hunter S. Thomspon, l’auteur de Las Vegas Parano (10/18, 1971) mais surtout Hell’s Angels (Robert Laffont, 1967), résultat d’un an d’infiltration au sein du gang de motards le plus dangereux d’Amérique. Largement adoubée aux États-Unis, cette littérature en immersion, caméra au poing, a mis du temps à se faire une place dans l’Hexagone, mais deviendrait presque à la mode aujourd’hui. On vous conseille d’ailleurs l’excellent L’Homme aux mille visages (Grasset, 2024) de Sonia Kronlund, qui vient tout juste de paraître.

Bande-annonce VF de Las Vegas Parano.

Revenons à Alexandre Kaufmann. Cela fait déjà plusieurs années qu’il est le patriarche de ce courant littéraire, le plus reconnaissable, le plus déglingué aussi. Dans Surdose (Harpercollins, 2018), il racontait un an passé au sein de la brigade des stupéfiants de Paris, chargée d’enquêter sur les morts par overdose. Dans le troublant La Mythomane du Bataclan (Goutte d’or, 2021), il partait sur les traces d’une fausse victime des attentats du 13 novembre, une menteuse pathologique devenue un des visages de la mobilisation citoyenne. Il revient cette fois avec Un homme dangereux (Gouttes d’Or), peut-être son expérience la plus terrifiante à ce jour.

Tout part d’une rencontre et d’une interview, celle d’un tueur psychopathe qui a passé 40 ans non pas en prison, mais en UMD, des « unités pour malades difficiles », sorte d’hôpitaux ultrasécurisés qui abritent les meurtriers jugés irresponsables à cause de leur folie. L’homme lui décrit des lieux terrifiants, où le mal rôde, et lui parle surtout d’un homme, considéré comme le plus dangereux qu’il ait jamais rencontré. Il n’en fallait pas plus pour attiser la curiosité d’Alexandre Kauffmann qui s’élance dans une course folle pour le retrouver.

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4 Châtiment, de Percival Everett

Money, Mississippi, de nos jours. Dans cette petite ville restée tristement célèbre pour le lynchage et le meurtre du jeune noir américain Emmett Till en 1955, mort parce qu’il aurait sifflé et pris par la taille une jeune femme blanche, le racisme continue de faire rage et une découverte va définitivement mettre le feu aux poudres. Coup sur coup, deux hommes blancs, deux descendants des probables meurtriers de l’adolescent, sont retrouvés étranglés par du barbelé, les testicules tranchés. À leurs côtés, allongé, un homme noir, mort lui aussi, tient les bijoux de famille comme le trophée d’une vengeance réussie. Mais, aussitôt découvert, le corps s’évanouit comme par magie.

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Un duo improbable et hilarant de flics noirs est envoyé sur place pour résoudre cette bien étrange affaire et vient mettre un coup de pied dans la fourmilière. Dans un État où l’autorité est détenue par les blancs, voir deux Afro-Américains incarner les forces de l’ordre chamboule les perceptions. Châtiment (Actes Sud) est un polar qui déborde du cadre.

Avec cette chronique au vitriol d’une Amérique en pleine crise identitaire doublée d’une comédie macabre à la lisière du fantastique, Percival Everett nous offre un cocktail explosif et jubilatoire. Mélange de burlesque et de gore à la sauce Tarantino, peuplé de personnages grotesques – notamment les encapuchonnés du KKK et même Donald Trump en personne –, le roman rappelle surtout par instants l’excellent Blackkklansman (2018) de Spike Lee avec ses airs de ne pas y toucher, mais son message puissant et engagé.

Bande-annonce VF de Blackkklansman.

5 Colère, d’Arpad Soltesz

En Slovaquie, jeune pays ravagé par la corruption et le crime organisé, le journaliste indépendant Arpad Soltesz fait office de chevalier de la liberté. Une existence méritante, mais risquée quand on connaît la destinée de son confrère, Ján Kuciak, assassiné avec sa femme en février 2018 parce qu’il souhaitait raconter la vérité. Alors, pour se protéger, il a pris la littérature comme bouclier et a enfilé le costume du romancier. Mais, si certains personnages et certaines situations sont inventés, il s’agit bien ici de raconter une réalité.

Révélé aux yeux du public français avec Il était une fois dans l’Est (Points, 2019) – tableau noir et âpre de la brutalité des années 1990 et du capitalisme sauvage sans foi ni loi qui a suivi la chute de l’URSS –, consacré avec Le Bal des porcs (Points, 2020), récit au vitriol sur l’imbrication entre mafia et politique, il revient aujourd’hui avec Colère (Agullo), une nouvelle charge impitoyable contre son pays natal.

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Jeune policier idéaliste, le lieutenant Molnár est mort parce qu’il était seul contre un système tout entier, parce qu’il pensait pouvoir enfiler le costume du justicier et en finir avec la corruption. Miki Miko, son partenaire, l’avait pourtant prévenu du danger. Ne pas faire de vague pour ne pas se faire tuer. Mais, quand la réputation de son ami est traînée dans la boue, le vieux flic résigné décide finalement de le venger et de faire tomber un à un les criminels impliqués dans cette exécution politique. Un roman noir, très noir, porté par un supplément d’âme, celui d’un homme qui veut empêcher son pays de sombrer.

Le Salon du polar, à la Fnac Bercy Village, du 2 au 3 mars 2024.

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