Sur son quatrième album, Dom Perignon Crying, le rappeur français n’a pas besoin de tout révolutionner pour conforter son statut : sa technique infaillible, ses instrus fouillées et sa mélancolie contagieuse suffisent.
La larme qui fait déborder la coupe de champagne. L’image pourrait paraître déroutante, presque indécente. Pourtant, c’est bien celle que Josman a tracée, mot par mot, flow par flow, pour envelopper son quatrième album, Dom Perignon Crying, dévoilé ce 31 octobre 2025. Et elle alimente bien le portrait détonnant de l’une des têtes du rap français actuel : un artiste bien seul au sommet, mais aussi seul dans sa catégorie.
En dix années à ferrailler au micro, José Nzengo a eu plus que le temps de faire ses armes. En découle un tableau de chasse gratifiant : ses trois albums certifiés platine ou double platine, des singles devenus viraux en kickant (Intro) comme en fredonnant (J’aime bien !), quatre trophées aux Flammes… Mais cette ascension de sa province vierzonnaise à la plus grande salle d’Europe en mai 2026, Josman ne l’a pas entreprise sur les versants musicaux les plus fréquentés. Et c’est ce qui confère à sa dernière sortie une aura aussi contrastée.

Rappeur avec mention très bien, option kickeur
Dans le marathon ultraconcurrentiel qu’est devenu le rap game, nombre de challengers misent sur des singles formatés plus grand public, aux refrains « earwormesques », pour assurer un départ éclair à leurs albums. Josman, lui, a toujours misé sur la technique. Pour teaser Dom Perignon Crying, pas de mélodies catchy ou d’instru’ entêtante avec L’eau (Part. II), juste 2 minutes 37 de rap chirurgical sur une production minimaliste. Car J.O.$ vient d’une école plus classique : celle des kickeurs. Avec une exigence pour l’écriture « qui manque à la nouvelle génération », estimait-il dans les colonnes de Libération en novembre 2023.
En arrivant à Paris au début des années 2010, Josman a d’abord fait ses classes comme battle MC autodidacte, jusqu’à conquérir une compétition en vue, End of the Weak, en 2013. Élocution, placements, interprétation… Son capital de rimeur est solide, sacrifiant parfois le fond de ses textes pour leur forme. Mais, même à l’heure où la mélodie gratte de plus en plus de terrain à la technique dans le rap mainstream, il l’investit toujours efficacement. Comme sur les fluctuations athlétiques de Nerveux 72bpm ou sur l’avalanche maîtrisée de rimes en back de Fucked Up V.
Des beats bigarrés pour un MC polyvalent
La richesse de la formule josmanienne réside pourtant ailleurs. S’il peut trouver sa place aux côtés d’un crooner comme Monsieur Nov ou d’un découpeur comme Stavo, puis assurer son projet avec Hamza comme seul invité (une statistique rare chez les cadors du moment), c’est grâce à son subtil équilibre entre polyvalence et constance. Polyvalence dans les prods qu’il sélectionne, des échos jazzys de Panorama aux drums brésiliens de Mateus. Constance dans son flow fluide qui surfe sur toujours plus de styles. « Je fais la musique que j’aimerais entendre », résumait-il à Deezer en citant André 3000. Et ça tombe bien : on veut l’entendre aussi.

Si une telle alchimie entre J.O.$ et toutes ses couches musicales a pu être atteinte, un autre homme est à remercier. Depuis ses premiers couplets, son beatmaker Eazy-Dew évolue à ses côtés. Et, épaulé par MYSTR (frère de Josman), c’est lui qui a offert à Dom Perignon Crying une telle profondeur et une telle variété instrumentale, en épurant sans céder au hit tendance. Qui d’autres qu’eux pourraient allier une rupture de beat et de flow aussi percutante que sur Tendu en 2025 ? In fine, en prenant le temps, une variété d’auditeurs rap pourra donc y trouver son compte. Comme l’estimait l’artiste chez Apple Music : « Il n’y a pas UN public de Josman […], je trouverais bizarre quelqu’un qui aime tous les sons que je fais. »
Josman et le spleen du nouveau riche
Il existe pourtant bien un fil conducteur dans le corpus du Vierzonnais : une mélancolie sublimée. Comme beaucoup de ses homologues, Josman cultive le tiercé classique : réussite-femme(s)-drogue. Mais sa plume reste ancrée dans son quotidien. Exactement comme sur sa mixtape 000$ de 2017 où ses poches vides le plombaient, aujourd’hui, il reste honnête sur le fait que ses poches pleines ne le comblent pas. « Les billets arc-en-ciel ne peuvent rien face aux nuages gris dans l’ciel », rappe-t-il sur le tourmenté titre éponyme de l’album, Dom Perignon Crying.
L’album entier d’un nouveau riche névrosé dédié à ses larmes dans le mousseux aurait pu sonner redondant. Mais l’extrême douceur des productions d’Eazy-Dew donne des respirations, surtout quand J.O.$ s’évade un peu dessus, comme sur Platinum Sniper ou sur AF la première. Puis si le monde est aussi sombre à ses yeux, il place enfin un responsable dans le viseur : la droite et l’extrême-droite. En chargeant le RN, « le gouvernement de Darmanin », CNEWS, TPMP, BFM et les « fachos », il fait valser l’apolitisme d’une partie du rap mainstream. Et l’entendre le faire à son meilleur niveau est rafraîchissant.