
Le manga phénomène aux accents de fable sociale fait son entrée dans le paysage animé, avec un premier épisode attendu le 6 juillet sur Crunchyroll. Sous ses atours de shōnen classique, il explore les mécanismes d’exclusion et les logiques de rejet.
C’est un monde où la société trie les humains comme elle trie ses ordures. Sombre, funeste, injuste – et pourtant terriblement fascinant. Avec son gouffre vertigineux et ses castes reléguées aux marges, Gachiakuta déploie une dystopie urbaine d’une noirceur rare.
Après avoir conquis les fans de manga depuis le début de sa publication dans le Weekly Shōnen Magazine en 2022, l’œuvre de la mangaka Kei Urana passe l’épreuve de l’animation ce 6 juillet. Nous avons pu visionner les deux premiers épisodes, diffusés par Crunchyroll. L’anime va-t-il transformer l’essai et s’imposer dans la génération montante du shōnen ? Voici notre avis.
Un monde vertical, une société brisée
Tout commence dans une ville scindée par un mur. En haut, les quartiers aisés ; en bas, le bidonville, où vivent les descendants d’anciens criminels, relégués loin des regards. Rudo, jeune orphelin élevé par Regto, survit en collectant les objets abandonnés par les riches. Jusqu’au jour où son mentor est retrouvé mort.
Fils d’un homme accusé de meurtre, il devient le coupable idéal. Sans autre forme de procès, il est condamné à l’exil dans la Fosse : un gouffre sans fond où l’on jette aussi bien les ordures que les indésirables.

Mais Rudo survit, projeté dans un territoire sauvage peuplé de créatures difformes. Dans ce monde obscur, il croise Enjin, un « Nettoyeur » au visage masqué. Guide, sauveur ou simple émissaire d’un ordre encore plus opaque ? Armé d’un parapluie qu’il manie comme une arme, ce dernier semble capable d’insuffler une forme de vie aux déchets… tout comme Rudo. Un pouvoir rare, à l’image de l’univers qui l’entoure : brut, instable, corrosif.
Un récit classique dans un monde atypique
En matière de narration, Gachiakuta emprunte les chemins balisés du shōnen : un orphelin marginalisé, un mentor éliminé, une injustice fondatrice, de mystérieux pouvoirs longtemps ignorés… Autant de ressorts scénaristiques connus, presque incontournables, qui jalonnent les premiers épisodes sans chercher à dissimuler leur héritage.

Mais c’est ailleurs que le manga trouve sa singularité : dans la densité de son univers et la radicalité du système qu’il expose. La Fosse n’est pas un simple décor ; elle incarne un ordre social qui trie les vies comme il trie les déchets, relègue, écrase, efface. Derrière une mise en scène spectaculaire – avec des premiers combats déjà impressionnants –, affleure en réalité une charge sociale impitoyable, qui prend sa source dans l’injustice et les inégalités.
Un graphisme crasseux et stylisé
L’esthétique de l’anime est indissociable de cette rage souterraine. Le trait de Kei Urana, stylisé par les graffitis d’Andou Hideyoshi, est fidèlement retranscrit à l’écran : silhouettes anguleuses, contours bruts, couleurs ternes.

L’animation, volontairement rugueuse, renforce cette tension visuelle constante. Certains plans en 3D, notamment lors des scènes d’envergure, utilisent une CGI parfois rigide ou datée. Si ces effets peuvent surprendre, ils n’entament pas pour autant la cohérence de l’ensemble ni sa force graphique.
La tension comme moteur narratif
Le studio Bones (Fullmetal Alchemist, My Hero Academia), connu pour ses scènes de combat nerveuses, joue ici une partition encore plus sombre. Les affrontements sont rapides, mais c’est dans les instants suspendus que la série nous hypnotise avec des regards rouges et des ruptures de rythme soudaines.

L’animation épouse les nerfs du récit. Impossible de ne pas penser à Fire Force pour l’ambiance sonore ou à L’attaque des titans pour l’architecture oppressante et la hiérarchie sociale. À la différence près que, dans Gachiakuta, les murs ne protègent pas les hommes des monstres, mais les puissants « de la misère et de la crasse ».
Un anime prometteur
Derrière l’âpreté du récit, une forme d’élégance affleure dans le détail : la légèreté de certains dialogues, une romance esquissée, un humour noir – qui ne désamorce jamais la gravité. Et toujours cette question en toile de fond : que vaut une vie aux yeux d’un monde qui ne voit que des déchets ?

Avec plus de 140 chapitres à son actif et plusieurs distinctions à son palmarès, le manga a tout du phénomène en devenir. L’adaptation animée, bien que naissante, semble en mesure d’en prolonger la puissance. Si la série conserve cette intensité, elle pourrait bien s’imposer, non par l’originalité de son récit, mais par la façon dont il l’enveloppe : crue, stylisée et viscérale.