Outre-Atlantique, les rewatch podcasts sont devenus un véritable phénomène et se hissent au sommet des plateformes d’écoute. De Ugly Betty à 90210, les acteurs des années 1990 et 2000 reviennent sur leurs rôles et les coulisses de ces séries cultes. Un concept qui fait le bonheur des fans – et des sociétés de podcast.
Citez une série des années 1990 ou 2000 ; il y a de fortes chances qu’il existe un podcast de rediffusion à son sujet. En mars dernier, l’acteur Josh Radnor et le cocréateur de How I Met Your Mother ont lancé leur podcast How We Made Your Mother. Au même moment, la plateforme Max a annoncé The Official Big Bang Theory, en collaboration avec Warner Bros.
Depuis 2019, le phénomène de podcasts de revisionnage (ou « rewatch podcasts ») envahit le secteur de l’audio. Le principe est simple : des stars de séries emblématiques se retrouvent chaque semaine pour revisionner le show. L’occasion de dévoiler les coulisses du tournage en compagnie des réalisateurs, producteurs et comédiens. Une formule éprouvée qui séduit les auditeurs et offre un second souffle à des productions souvent terminées depuis des années.
Nostalgie et relations parasociales
En octobre 2019, les actrices Jenna Fischer et Angela Kinsey – les iconiques Pam et Angela de The Office – lancent Office Ladies, cinq mois avant le confinement aux États-Unis. Le succès est immédiat. Rien d’étonnant, quand on sait que la série américaine était la plus regardée en streaming aux États-Unis lors de la pandémie, en 2020.
En 2021, Office Ladies est élu podcast de l’année par iHeartRadio. « Nous avons commencé à voir chez les auditeurs un désir de trouver du réconfort, de l’évasion, et une raison de sourire », expliquait Will Pearson, président de iHeartPodcasts à NBC News en 2022.
C’est à ce moment-là qu’iHeart a enchaîné les lancements. L’entreprise a notamment été à l’origine de The Office Deep Dive, d’une reprise des Frères Scott intitulée Drama Queens, de 90210MG, ou encore d’un podcast sur Gilmore Girls nommé I Am All in with Scott Patterson – pour n’en citer que quelques-uns.
« Aucun de ces projets n’a été un échec », a déclaré Will Pearson. Il s’agit même du « hitmaker le plus fiable » du studio, juste après les podcasts de true crime. Le concept n’est pas si nouveau : au début des années 2000, les coffrets DVD des séries se vendaient par milliers avec, pour certains épisodes, une version commentée par les acteurs et producteurs.
À l’ère du streaming, les podcasts s’imposent comme un nouveau moyen de communication afin de donner aux fans leur dose de potins. Mais si le public est au rendez-vous, c’est surtout parce que ce type de contenu mise à fond sur la nostalgie.
Les adeptes se replongent dans une période de leur vie où ils ont découvert le show, certains regardent les épisodes en même temps que la sortie des podcasts, tandis que d’autres se réjouissent de voir des réunions d’acteurs phares.
L’aspect parasocial de ce format joue aussi pour beaucoup dans son succès. Ces personnages fictifs avec lesquels nous avons grandi sont comme nos amis et nous avons l’impression de les connaître en tant que personnes. Ainsi, entendre les comédiens parler de leurs expériences dans ces émissions cultes fonctionne comme une « extension » de cette relation.
Une réflexion sur les intrigues et leurs évolutions des années après
Les rewatch podcasts ne se contentent pas de revenir sur des anecdotes de tournage, ils appellent aussi à la réflexion et permettent d’échanger sur la manière dont certains sujets ont vieilli avec l’évolution de la société, comme le manque de diversité ou le féminisme quasi inexistant à l’écran. Dans un épisode de 90210MG, l’actrice Jennie Garth est revenue sur le manque de sororité sur le plateau et dans l’industrie.
« Pour être honnête, je pense que l’émission m’a appris à me sentir menacée par les autres femmes et à être plus compétitive parce que je voulais l’approbation ou l’attention de nos vedettes », a-t-elle confié. En 2020, Trina McGee, la star de Boy Meets World, a déclaré sur Twitter qu’elle avait été victime de racisme pendant son travail sur la série.
Les conversations qui en ont résulté avec ses partenaires (à qui elle a depuis pardonnés) ont été les prémices du type d’analyses que Pod Meets World propose désormais toutes les deux semaines. Le podcast Drama Queens, animé par Bethany Joy Lenz, Hilarie Burton et Sophia Bush a quant à lui fait couler beaucoup d’encre.
Les iconiques Haley, Peyton et Brooke ont dévoilé les coulisses d’une série à l’environnement toxique, dénonçant le harcèlement sexuel de Mark Schwahn, créateur et scénariste du show. Intrigues surréalistes, scènes de baiser gênantes, hypersexualisation, pression de la part des équipes pour forcer les actrices à faire des séances photo sexy…
Le podcast permet aux actrices de se réapproprier cette production, et au public d’ouvrir les yeux sur une industrie loin d’être tendre avec ses comédiens et comédiennes. Dans Still Ugly, le podcast de rewatch d’Ugly Betty, les acteurs Michael Urie et Becki Newton, interprètes d’Amanda et de Marc, ont, au contraire, réalisé à quel point la série était « en avance sur son temps ».
« Il y a beaucoup de représentation homosexuelle dans cette série. Je n’arrive pas à croire que nous parlions de ces choses en 2006 », a confié Michael Urie lors d’une interview pour Decider. Becki Newton a toutefois reconnu que l’œuvre est « plus inappropriée par moments », faisant référence à des intrigues qui ont mal vieilli. « Oui, il y avait du racisme occasionnel et, plus tard, il y a eu de la transphobie occasionnelle lorsque le personnage d’Alexis a rejoint le show », a-t-elle précisé, avant de nuancer : « Mais ces personnages sont punis pour leurs mauvaises actions. »
Un business juteux
Il serait illusoire de penser que le phénomène ne repose que sur une volonté de réunion des membres du casting ou un désir profond de contenter les fans. Ce concept permet à des acteurs oubliés de faire leur come-back et aux sociétés de production de générer des revenus importants. En plus de s’appuyer sur une audience presque certaine, les podcasts de rewatch offrent une occasion en or aux annonceurs : celle de travailler avec des célébrités à la fanbase bien acquise.
« Plus l’acteur·rice hôte du podcast est connu, plus le CPM est élevé », note Will Person du côté de Marketing Brew. En clair, les prix des publicités sont en grande partie fixés en fonction de la renommée des acteurs. Selon Will Pearson, les meilleurs podcasts atteignent des millions de téléchargements mensuels et autant de chiffres en termes de recettes publicitaires.
Lui et son équipe sont à la recherche d’émissions qui peuvent non seulement atteindre ces chiffres, mais aussi le faire sur le long terme. « Les célébrités construisent une relation incroyable avec les auditeurs, et les annonceurs adorent cela parce qu’ils ont construit une relation authentique et qu’ils ont la possibilité de faire lire des publicités par quelqu’un que ces fans adorent », conclut-il.
Alors que les rewatch podcasts jouent la carte de la nostalgie, une autre catégorie a vu le jour : les companion podcasts – ou podcasts compagnons – qui misent sur les succès en cours. Les séries House of the Dragon, Les chroniques de Bridgerton ou The White Lotus s’y sont déjà mises.
