
Le nouveau film ambitieux du cinéaste sud-coréen est notamment tenu par l’incarnation impeccable et (multiple) de l’acteur. Critique.
Pour Bong Joon-ho, Mickey 17 est le film de l’après. L’après Parasite (2019), l’après Palme d’or, l’après Oscar du meilleur film… Désormais, le cinéaste sud-coréen a une belle réputation à l’international – en dehors des passionnés vantant les qualités de l’immense Memories of Murder (2003) – et son nouveau projet, après le succès incroyable de Parasite, est attendu au tournant.
Décidant de retourner aux États-Unis, Bong Joon-ho propose avec Mickey 17 un film de science-fiction qui, s’il se mêle habilement au reste de sa filmographie grâce à ses qualités évidentes de réalisation, souffre des faiblesses inhérentes à un tel pas de côté.

Si Bong Joon-ho est une référence du cinéma sud-coréen, il a décidé, depuis 2013, de s’essayer au cinéma en langue anglaise. D’abord avec Le transperceneige (2013), puis avec Okja (2017), sorti directement sur Netflix. Un retour aux sources épatant plus tard (Parasite, en 2019) et le voilà en 2025 aux studios Warner Bros., à tenter de concilier deux approches parfois totalement opposées : le blockbuster américain et le cinéma d’auteur sud-coréen. Mickey 17 est un projet étrange, qui tranche radicalement avec la façon de faire aux États-Unis, tout en conservant une forme d’accessibilité internationale. Bong Joon-ho n’opère pas une révolution avec son nouveau film, mais poursuit une carrière habitée des mêmes thématiques et de la même approche quasi artisanale dans ses longs-métrages.

Adapté du livre Mickey 7 d’Edward Ashton, paru en 2022, Mickey 17 suit l’histoire de Mickey Barnes, qui accepte de devenir un « Remplaçable » afin de rejoindre une expédition spatiale visant à découvrir une nouvelle planète pour l’humanité. En tant que Remplaçable, Mickey voit sa conscience sauvegardée et participe aux missions les plus périlleuses tout en servant de rat de laboratoire. Ainsi, chaque fois qu’il meurt, il est ré-imprimé, créant un cycle sans fin de vie, de mort et de maltraitance. Considéré à tort comme mort, Mickey 17 est ré-imprimé en Mickey 18, donnant naissance à deux Multiples et à tout un tas de problématiques.
La nouvelle performance de Robert Pattinson
Mickey 17 est un long-métrage dense. Outre son postulat intrigant, le film développe plusieurs thématiques chères au cinéaste et crée autour du protagoniste un large éventail de personnages – des archétypes facilement identifiables, pour certains –, permettant à Bong Joon-ho d’illustrer ses thèmes et d’enrichir le fond.
Robert Pattinson incarne ainsi Mickey Barnes et toutes les déclinaisons qui s’en suivent jusqu’à Mickey 18. L’acteur révélé par Harry Potter et Twiligth continue de compléter une carrière habilement menée. Après avoir brillé chez David Cronenberg (dans Cosmopolis notamment), il trouve un nouveau cinéaste adepte de l’authenticité en Bong Joon-ho. Mickey 17 est un film qui joue avec les aspects les plus répugnants et sales de son propos. L’acteur se met à nu tout au long du film, offrant une participation de jeu multiple, complexe et servant toutes les fulgurances que propose Mickey 17, que cela soit dans l’écriture ou dans la mise en scène. Par ailleurs, l’aspect plus coloré ou romantique du film, servi par Naomi Ackie et Anamaria Vartolomei, toutes deux impeccables, ajoute de l’émotion et crée un lien d’empathie avec le spectateur.

Narrateur du film, Mickey détaille ainsi son destin dans une construction sous forme de flashbacks. Les décisions l’ayant mené à devenir un Remplaçable sont découvertes et la vie au sein de l’expédition est révélée. La première partie est un magnifique coffre à jouets. Bong Joon-ho enchaîne les idées à la minute et développe son univers et ses règles sans aucun temps mort.
Mi-drame, mi-comédie cynique, Mickey 17 s’apparente presque à du burlesque teinté d’humour noir. Le cinéaste sait varier les tons (on se souvient de la richesse de Parasite) et Robert Pattinson est à son meilleur quand il a, aussi, l’opportunité de varier son jeu et son intensité. La rencontre entre Bong Joon-ho et Robert Pattinson fonctionne donc pleinement.
Une seconde partie moins marquante ?
Passé l’exposition des nombreuses règles du jeu de cet univers foisonnant, Mickey 17 se rattache à une intrigue moins intéressante dans sa deuxième partie, bien qu’en parfaite cohérence avec la filmographie de Bong Joon-ho. Conservant un ton mêlant le drame à l’humour, il développe autour de Mickey 17 une grille des rapports sociaux encapsulée par le personnage de Mark Ruffalo (dans un registre assez semblable à celui de Pauvres créatures). L’acteur incarne un ancien politicien à l’ego démesuré, chef de l’expédition et conseillé par sa femme – tout aussi exubérante et ambitieuse –, jouée par Toni Collette.
Lorsque la nouvelle colonie confronte le peuple autochtone de la planète envisagée pour faire prospérer l’humanité, le film devient plus chaotique, mais également plus statique. Après une première heure faisant constamment avancer son intrigue, la seconde partie est plus immobile. Le réalisateur adopte le même procédé que sur Parasite. Il pose des idées, fait croire au futur chemin pris par l’histoire, avant de radicalement changer de direction, sans prévenir.

Dans Mickey 17, bien que la rupture opérée se fasse au travers d’une énergie constante et d’un désordre jouissif (la folie des personnages sert une intrigue tout aussi folle et volontairement dispersée), le résultat est moins marquant. Une limite imposée par les codes du cinéma américain ?
Mickey 17 ravive les débats autour de la filmographie de Bong Joon-ho. Est-il meilleur en Corée du Sud avec sa liberté totale d’auteur et de cinéaste ? Ou parvient-il à tordre les règles des blockbusters américains ? Mickey 17, comme Le transperceneige avant lui, est un peu des deux. Mais entre les deux films, il y a eu Parasite. Et le souvenir toujours aussi fort de cette proposition affranchie de toutes considérations dans la forme comme dans le fond ne sert pas forcément Mickey 17.
Les obsessions d’un réalisateur
Dans la riche filmographie de Bong Joon-ho, des thématiques récurrentes s’apprécient. Questionnant constamment la lutte des classes et les inégalités – Le transperceneige est probablement le film le plus évident à ce propos, suivi par Parasite –, Bong Joon-ho est également impliqué dans les considérations écologiques et animales (The Host et Okja en sont la preuve).
Mickey 17 est un condensé de ces deux thématiques. En tant que Remplaçable, Mickey Barnes est déshumanisé au possible par les autres membres de l’expédition et considéré comme un être inférieur. Au cœur de l’intrigue, le regard porté sur les locaux de la nouvelle planète et la volonté par les têtes pensantes de l’expédition de les exterminer traduit les considérations sociales qui imprègnent depuis toujours le cinéma de Bong Joon-ho.
Propos anticapitaliste – la comparaison entre Mark Ruffalo et Donald Trump sera naturellement faite –, réflexion autour de l’écologie, de la rareté des ressources et du bien-être animal… L’aspect délirant de Mickey 17 ne l’empêche pas d’être très incarné dans ses thématiques. Bong Joon-ho questionne aussi la vie et la mort, offrant quelques instants existentiels particulièrement forts.

Quoi qu’il arrive, le film après Parasite aurait été toujours été pour Bong Joon-ho « le film après Parasite » (la promotion ne trompe pas). Même en signant un nouveau chef-d’œuvre, la comparaison avec son illustre prédécesseur aurait eu lieu. Mickey 17 n’a pas l’ambition d’être un chef-d’œuvre et il souffre d’une deuxième partie trop contenue pour véritablement exploiter son plein potentiel.
Cela dit, le nouveau film du cinéaste est à appréhender dans la lignée du Transperceneige et d’Okja, comme une envie, à nouveau, de mélanger le meilleur des genres et des nationalités pour obtenir un ensemble différent. Quand, dans Le transperceneige, il offrait à Chris Evans un premier rôle saisissant, en rupture totale avec ce qu’il avait l’habitude de faire, il trouve dans Robert Pattinson un même esprit, aussi libre que lui.

Le réalisateur et l’acteur semblent ainsi s’accorder à la perfection dans un mélange passionnant de science-fiction, d’aventure, de romance, de drame et de comédie, servi par une direction artistique organique et fascinante.
Plusieurs genres, plusieurs Mickey, plusieurs Robert, plusieurs thématiques, plusieurs Bong Joon-ho aussi ? Mickey 17 est incontestablement riche, dense et invite même à y revenir. Pour un après-Parasite, c’est déjà immense.
Mickey 17, de Bong Joon-ho, avec Robert Pattinson, Mark Ruffalo, Toni Collette et Naomi Ackie, 2h17, au cinéma le 5 mars 2025.