Critique

Belle, l’anime qui plonge La Belle et la Bête dans le metaverse

29 décembre 2021
Par Thomas Laborde
Le film d’animation réinvente “La Belle et la Bête”.
Le film d’animation réinvente “La Belle et la Bête”. ©Studio Chizu

Les deux personnages popularisés par Disney et leur romance hors-norme sont au cœur d’une nouvelle adaptation du maître de l’animation japonaise, Mamuro Hosada. Dans Belle, il les propulse dans un monde virtuel qui questionne le monde réel.

Elle, c’est une chanteuse-star. De celles qui réunissent par delà les classes sociales, les âges, les frontières et les genres. De celles qui, aux premières notes de musiques, aux premiers mots offerts à la foule, enchantent sans concession, sans compromis. Elles envoûtent, ensorcellent, quelle que soit la métaphore magique que l’on puisse vouloir utiliser. Belle, c’est une chanteuse comme il n’en existe pas vraiment.

Lui, c’est un dragon. Gigantesque, furieux, à la gueule de loup enragé et au corps couvert de bleus phosphorescents. Ça, c’est sûr, ça n’existe pas du tout. Du moins dans le monde conscient d’un être humain à peu près normal.

D’un monde à l’autre

On est justement là pour échapper à la morosité d’un quotidien sans fantaisie. Par contre, ce qui semble authentique, c’est ce qui va unir Belle et La Bête. Rings a bell(e), diraient les Anglo-Saxons. Une association familière. L’anime Belle, Le Dragon et La Princesse aux taches de rousseur (dans la traduction à peu près littérale de son titre japonais originel) se présente comme une adaptation libre de La Belle et la Bête. Il transpose la rencontre dans un monde virtuel, un metaverse en 3D version Facebook du futur pas du tout lointain, même très actuel, dans lequel les personnages vont et viennent depuis le monde réel, le Japon d’aujourd’hui.

Suzu est une lycéenne solitaire et introvertie. Depuis le décès brutal de sa mère, elle vit seule dans un coin paumé du territoire nippon avec son père avec lequel elle n’échange jamais. Lorsqu’elle découvre U, un univers virtuel, elle y devient Belle, une artiste suivie par cinq milliards de followers, malgré elle. Suzu se retrouve confrontée à la célébrité inattendue et disproportionnée de Belle et tente de préserver son anonymat. C’est alors qu’elle rencontre, dans U, une créature mystérieuse, violente, rejetée de tous, mais pour qui elle va développer une grande affection, persuadée de l’humanité profonde de l’intrus. S’engagent alors de nombreux allers-retours de Suzu à Belle afin de comprendre qui est cet être blessé, le dragon, et la personne qui se cache derrière.

De la vindicte populaire au rassemblement humaniste

Après Cocteau, Disney (en anime et en live action), Christophe Gans, réalisateur français du Pacte des loups et d’autres auteurs, au tour du grand réalisateur japonais d’animation Mamuro Hosoda, notamment connu pour One Piece : le baron Omatsuri et l’île secrète, Summer Wars, Les Enfants loups, Miraï, ma petite sœur de s’approprier le célèbre conte. « J’aime cette histoire depuis que je suis petit. Le regard qui change et s’inverse à propos du personnage de la bête me touche », justifie le créateur. Ici, il travaille des thèmes qui lui sont chers : la perte d’un parent (sa mère est morte lorsqu’il avait 35 ans), le lien entre les humains et les animaux (le monde d’U est peuplé de créatures, dont une grande baleine – l’un des symboles, aujourd’hui, du combat pour la protection des océans), l’enfance perturbée et la construction de l’identité (déjà abordées dans Miraï), et Internet, dont il suit avec attention l’évolution dans ses films.

C’est là que Belle, dont le dispositif rappelle le chef-d’œuvre popculturel de Steven Spielberg Ready Player One, trouve toute sa modernité. U y est montré comme une place publique sans régulation, en proie à une vindicte populaire nerveuse et toxique, un lieu de dérives haineuses, de réactions instantanées sans recul, un espace où la masse se constitue, s’uniformise, se densifie à grand renfort d’opinions sans fondement, mais pleines d’aplomb. Suzu le vit à travers tous les messages, toutes les notifications qu’elle reçoit. Mais Mamuro Hosoda tient surtout à rappeler qu’Internet et les réseaux sociaux peuvent être rassembleurs. Ils peuvent unir autour de valeurs humanistes et solidaires. Belle pointe des dérives, certes, mais s’attache avec verve à saluer une utilisation positive de ces outils inhérents à nos modes de vie. Et c’est là l’occasion pour l’auteur de traiter avec audace et bravoure des thèmes sociétaux universels et graves (que l’on ne divulgâchera pas).

Dans le U, Suzu se retrouve confrontée à la célébrité inattendue et disproportionnée de Belle.©Studio Chizu

Dans son esthétique, Belle oppose un Japon traditionnel qui ne veut pas changer à un univers effervescent où tout est possible. Les couleurs, les formes, les mouvements… La matrice n’a jamais été aussi savoureuse. Des images et des mélodies, celles que Belle/Suzu entonne, chante, clame avec autant de ferveur, une fois la timidité passée, que de mélancolie. La voix originale est celle d’une artiste japonaise en passe de reconnaissance, la VF est celle de la chanteuse Louane.

Dans l’aura du double de sa protagoniste, Belle rappelle cette époque fantasmée des idoles. Celle des artistes qui remplissaient des stades et au-delà, à propos desquels seuls quelques vieux bougons râlaient. Ça tombe bien, Belle, film musical puissant et émouvant, devrait tous nous mettre d’accord.

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Article rédigé par
Thomas Laborde
Thomas Laborde
Journaliste
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