Critique

Jour de ressac de Maylis de Kerangal : enquête au Havre

17 octobre 2024
Par Lisa Muratore
Maylis de Kerangal a publié “Jour de ressac”, présent dans la deuxième sélection du prix Goncourt 2024.
Maylis de Kerangal a publié “Jour de ressac”, présent dans la deuxième sélection du prix Goncourt 2024. ©Francesca Mantovani pour les éditions Gallimard

Sélectionné pour le prix Goncourt 2024, Jour de ressac marque le retour en librairie réussi de Maylis de Kerangal, avec un roman en forme d’enquête sur soi.

Maylis de Kerangal est de retour depuis le 15 août 2024 en librairie avec son huitième roman. Baptisée Jour de ressac (Verticales), cette œuvre inédite n’a pas tardé à attirer l’attention des prix littéraires, et plus particulièrement du prix Goncourt 2024, pour qui il était évident que ce nouveau livre figure dans la deuxième sélection, avant l’annonce du lauréat le 4 novembre prochain.

Il faut dire que Maylis de Kerangal est une habituée des compétitions et des prix littéraires, Naissance d’un pont avait, en 2010, récolté plusieurs honneurs, tandis qu’en 2014, l’autrice marquait la profession grâce à Réparer les vivants, drame compilé sur 24 heures au cœur des urgences du Havre racontant le périple autour du don d’organe de Simon, un jeune garçon en mort cérébrale. Une adaptation cinématographique plus tard par Katell Quillévéré, et dix ans après ce récit choc, l’écrivaine nous replonge dans sa ville natale du Nord.

Couverture du dernier roman de Maylis de Kerangal, Jour de ressac.©Gallimard/Verticales

Dans Jour de ressac, Le Havre est une fois de plus le terrain de jeu de l’écrivaine, les contours de cette ville décrite comme froide et humide servant de décor à un nouveau drame. En effet, le corps d’un homme a été retrouvé sur la plage et les inspecteurs ne savent pas de qui il s’agit. Leur seul indice : un ticket de cinéma sur lequel est inscrit le numéro de téléphone de la narratrice, une doubleuse d’une cinquantaine d’années, qui ne semble avoir aucun lien avec le cadavre.

Le Havre au cœur

Les promesses de ce récit pourraient d’emblée attirer les aficionados de romans policiers. Bien que Jour de ressac en présente les codes principaux – une mystérieuse victime, une scène d’interrogatoire préliminaire, le tout dans un décor souvent décrit comme austère –, le livre ne s’attache pas à suivre l’enquête du policier en charge de l’affaire, mais davantage les pas de sa narratrice. Celle-ci nous sert ainsi de guide dans cette ville qui a autrefois été son berceau. De son cinéma au bar du quartier, en passant par son front de mer, le lecteur découvre ainsi les contours d’une ville qui a compté et compte toujours pour son autrice-narratrice.

Le Havre devient ainsi rapidement un personnage à part entière de cette histoire intime, en forme de déambulations. Alors qu’elle cherche ce qui peut la lier au cadavre, notre héroïne nous plonge à la manière d’un journal passionnant dans ses souvenirs de jeunesse auxquels se mêle l’histoire de la ville. Ainsi, Maylis de Kerangal, que l’on devine facilement derrière les traits de sa protagoniste, nous embarque dans un roman au pouvoir identificateur très fort.

Ses réminiscences d’un projet scolaire autour de la Seconde Guerre mondiale côtoient ainsi la reconstruction post 1939-1945, tandis que la description des docks glacials de cette ville ouvrière se mêle aux retrouvailles de la narratrice avec d’anciens camarades. Dans Jour de ressac, la grande histoire se mélange à la petite. On comprend ainsi que Le Havre a été important dans la construction de cette femme dont on suit les pérégrinations sentimentales ; comme si finalement elle ne faisait qu’une avec sa ville d’origine.

Enquête de soi

Il en ressort ainsi une forme de nostalgie plaisante, un road trip aux quatre coins du Havre, imprégné des souvenirs de cette narratrice quasi impénétrable. Cependant, derrière ses joyeuses réminiscences et certaines anecdotes digressantes liées au 7e art, le livre est également traversé par un arrière-goût amer ; un sentiment de traumatisme indélébile lié au cocon.

C’est d’ailleurs là que réside la véritable enquête de Jour de ressac. Plus que l’affaire du corps non identifié, le lecteur se retrouve propulsé dans les brisures de son autrice, dans une quête intérieure, terriblement humaine, à travers laquelle elle questionne son passé afin de se reconstruire. Avec ce nouveau livre plein de vie, en forme d’autobiographie romancée, Maylis de Kerangal pose son regard sur les douleurs anciennes et les stigmates qu’elles laissent.

Grâce à un style percutant et dynamique, proche de l’oral, l’autrice et narratrice nous embarque dans ses pensées et ses réflexions sur le monde, auxquelles se mélangent les dialogues. Un exercice d’écriture surprenant, qui nous happe par sa franchise et sa spontanéité, mais qui surtout ne fera jamais tomber ce récit dans le piège du sentimentalisme à outrance.

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Entre décor posé, attentes de lecture déjouées et récit intime surprenant, Jour de ressac s’impose comme l’une des œuvres les plus personnelles, mais aussi les plus inattendues de la rentrée littéraire. À l’image de Marie Vingtras et de ses Âmes Féroces, lauréat du Prix du roman Fnac 2024, qui, sur fond d’enquête pour homicide, nous plongeait dans la psyché de ses nombreux personnages, Maylis de Kerangal est parvenue à tordre le genre du polar pour donner à lire un roman vibrant et émouvant autour d’une femme écorchée, mais ô combien magnétique.

Jour de ressac, de Maylis de Kerangal, Verticales, 256 pages, en librairie depuis le 15 août.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste