Critique

Surréalisme : on a visité l’exposition événement au Centre Pompidou

06 septembre 2024
Par Benoît Gaboriaud
“Visage du grand masturbateur”, de Salvador Dalí, 1929. Huile sur toile, 110×150 cm.
Museo Nacional Centro
de Arte Reina Sofía, Madrid Legado Salvador Dalí, 1990 Ph.
“Visage du grand masturbateur”, de Salvador Dalí, 1929. Huile sur toile, 110×150 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid Legado Salvador Dalí, 1990 Ph. ©Photographic Archives Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dali/Adagp, Paris 2024

Renfermant un grand nombre de pièces iconiques du mouvement, le Centre Pompidou célèbre comme il se doit le centenaire du surréalisme avec une vaste exposition labyrinthique. Documents littéraires, peintures, dessins, photographies, extraits de films… L’accrochage particulièrement riche et inventif dévoile des œuvres emblématiques et quelques découvertes. Parfait pour une remise à niveau ! 

Retraçant plus de 40 années d’effervescence créative, l’exposition Surréalisme célèbre les 100 ans du mouvement, né avec la publication du Manifestes du surréalisme d’André Breton en octobre 1924, et qui a compté comme adhérents des peintres aussi importants que Salvador Dalí, René Magritte, Giorgio de Chirico ou encore Joan Miró. Quelques-uns de leurs plus grands chefs-d’œuvre sont réunis ici. Mais, pour parvenir à les admirer, il faut d’abord franchir une porte toute particulière, un brin inquiétante, mais qui a du sens : la gueule de L’Enfer. 

Bienvenue en Enfer

Jugé aujourd’hui complexe par la conscience collective, le surréalisme a pourtant rencontré un énorme succès dès sa création. « Les expositions qui lui étaient consacrées suscitaient un enthousiasme populaire, mais étaient vivement critiquées par les journalistes spécialisés qui les qualifiaient de simples Luna Park. Ceci étant, l’attrait des surréalistes pour ces attractions, comme le palais des glaces ou le train fantôme, était bien réel. Ils fréquentaient aussi assidûment le Cabaret de l’Enfer, un établissement situé place de Clichy, juste derrière l’atelier d’André Breton. Il nous a donc semblé essentiel de le rappeler dès l’entrée de l’exposition par cette gueule de l’Enfer, d’autant qu’en 1947, un critique de la revue Combat a écrit que les expositions surréalistes ressemblaient à des numéros du Cabaret de L’Enfer », précise Marie Sarré, attachée de conservation au service des collections modernes du Centre Pompidou.

Ainsi, les scénographes ont reproduit, en guise de porte d’entrée de l’exposition, le mythique portail qui ornait la façade de l’établissement, décoré en forme de gueule béante de Léviathan dévoreur d’âmes damnées. Une fois franchi, le visiteur pénètre au cœur d’un labyrinthe où est présenté le manuscrit original du Manifestes du surréalisme et autour duquel rayonne l’exposition constituée de 13 chapitres qui cartographient l’imaginaire poétique du mouvement.

La traditionnelle scénographie labyrinthique

Le choix d’une scénographie en forme de spirale labyrinthique n’est pas anodin. « Ce motif récurrent dans le surréalisme s’oppose, comme le mouvement, à tout esprit de grille moderniste, à la raison et au rationalisme », explique Marie Sarré. De plus, entre 1938 et 1947, Marcel Duchamp concevait lui-même les principales expositions du surréalisme en forme de labyrinthe pour susciter l’égarement.

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Mais ici, tout a été pensé pour que vous ne vous perdiez pas et que vous puissiez sans mal traverser les 13 chapitres évoquant les figures littéraires inspiratrices du mouvement comme Lautréamont, Lewis Carroll ou Sade, et les mythologies qui structurent son imaginaire poétique : l’artiste médium, la pierre philosophale, la forêt… et bien sûr, le rêve.

Du rêve à la réalité

« Il faut rappeler que le surréalisme a été créé par des jeunes gens qui avaient entre 25 et 28 ans et qui ont connu les tranchées de la Première Guerre mondiale. Pour eux, les valeurs occidentales, et donc du rationalisme, ont mené à ce désastre. Ils inventent alors un nouveau rapport au monde affranchi du rationalisme », précise Marie Sarré. Ainsi, le rêve est devenu le thème central du surréalisme, dont ses membres étaient aussi contemporains des recherches de Sigmund Freud.

Les Valeurs personnelles, de René Magritte, 1952. Huile sur toile. 80×100 cm. San Francisco Museum of Modern Art, purchase through a gift of Phyllis C. Wattis Ph.©San Francisco Museum of Modern Art/Photograph Katherine Du Tiel Adagp, Paris, 2024

Mais la salle nommée « Forêt » met l’accent sur le fait que certains surréalistes, héritiers du romantisme allemand comme Max Ernst (artiste largement représenté tout au long du parcours), étaient enracinés dans des problématiques bien réelles et ont notamment anticipé les questions écologiques soulevées par le mouvement écocritique.

Poétique, mais révolutionnaire avant tout

Cette exposition montre d’ailleurs très bien que les surréalistes marchaient sur deux jambes, l’une poétique, l’autre politique, et conciliaient le « changer la vie » de Rimbaud et le « transformer le monde » de Marx, selon Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’art moderne. Le parcours est ainsi ponctué de bandes noires sur lesquelles sont affichés des tracts, neuf au total. On y apprend notamment qu’en 1925, ces artistes se sont rapprochés du mouvement communiste Clarté pour signer un tract en commun contre la guerre du Rif, le colonialisme et le nationalisme, et qu’ensuite, ils ont combattu le totalitarisme.

Présentant des toiles, entre autres, de Tatsuo Ikeda (Japon), Helen Lundeberg (États-Unis) ou Rufino Tamayo (Mexique), les commissaires rappellent à juste titre que l’engouement pour le surréalisme et sa dimension politique ont dépassé les frontières de la France, bien sûr, mais aussi celles de l’Europe, et que les femmes en étaient un porte-drapeau essentiel, à l’instar de Leonora Carrington, Remedios Varo, Ithell Colquhoun, Dora Maar ou encore Dorothea Tanning, dont les travaux sont présentés dans plusieurs chapitres.

Complète, l’exposition ne fait donc l’impasse sur aucune des facettes du surréalisme et aborde avec clarté les aspects poétiques, révolutionnaires, écologiques, féminins, sexuels ou internationaux de ce mouvement aussi dense que passionnant, le tout au fil d’un parcours qui se révèle parfaitement limpide, ce qui n’était pas une mince affaire !

Surréalisme, au Centre Pompidou, à Paris, du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025. Billetterie par ici.

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