Critique

En exposant Henri Matisse et Ellsworth Kelly, la Fondation Louis Vuitton prend de belles couleurs

09 mai 2024
Par Benoît Gaboriaud
Ellsworth Kelly, “Four Greens, Upper Manhattan Bay”, 1957.
Ellsworth Kelly, “Four Greens, Upper Manhattan Bay”, 1957. ©Ellsworth Kelly Foundation

En ce printemps, la Fondation Louis Vuitton célèbre la couleur en dévoilant simultanément non pas une, mais deux expositions : Matisse, L’Atelier rouge et Ellsworth Kelly. Formes et couleurs, 1949-2015. La première est consacrée au chef-d’œuvre éponyme du pionnier du fauvisme, la seconde – une large et inédite rétrospective – fête le centenaire de la naissance de l’artiste : un parallèle flamboyant qui a du sens.

Du 11 mai 2016 au 2 mai 2017, la Fondation Louis Vuitton revêtait son habit de couleur, imaginé par Daniel Buren pour sa création contemporaine L’Observatoire de la lumière. En ce printemps 2024, la couleur pénètre, cette fois-ci, à l’intérieur de l’édifice grâce à deux expositions événements : Matisse, L’Atelier rouge et Ellsworth Kelly. Formes et couleurs, 1949-2015

Ellsworth Kelly, Atlantic, 1956.©Ellsworth Kelly Foundation – Courtesy Whitney Museum of American Art, New York ; Courtesy Glenstone Museum, Potomac, Maryland Ron Amstutz – Cette exposition a été organisée avec Glenstone Museum, Potomac, Maryland et en collaboration avec le Ellsworth Kelly Studio

Le parcours débute au niveau -1 de l’institution par Spectrum IX (2014). Signée Ellsworth Kelly (1923-2015), cette œuvre est formée de 12 panneaux rectangulaires joints les uns aux autres et qui symbolisent le spectre électromagnétique perceptible par l’humain, soit un arc-en-ciel. Le ton est donné ! L’accrochage sera coloré ; une évidence.

Rappelons-le. En 2014, pour l’inauguration de l’auditorium de la Fondation, l’artiste américain avait agrémenté la salle de panneaux colorés qui dialoguaient avec l’architecture de Frank Gehry, et réalisé un rideau de scène sur le même principe que l’œuvre d’ouverture de l’exposition, baptisé également Spectrum VIII.

Ce concept, Kelly l’a imaginé pour la première fois à Paris en 1953. Alors, pour célébrer comme il se doit le centenaire de sa naissance, il semblait logique que la Fondation lui consacre une vaste exposition, la première de cette ampleur en France, histoire de ne pas oublier qu’Ellsworth Kelly reste l’un des plus importants peintres et sculpteurs abstraits américains, et ce, grâce à sa volonté de jouir d’une liberté totale en s’affranchissant de toute école ou mouvement artistique.

Couleur, ligne et espace 

Rassemblant 100 œuvres – peintures, sculptures, collages et photographies –, pour une bonne partie issues de collections américaines, l’exposition Ellsworth Kelly. Formes et Couleurs, 1949-2015 met l’accent sur l’exploration par l’artiste de la relation entre forme, couleur, ligne et espace. Ainsi, son œuvre, constituée essentiellement de grands formats, ne pouvait pas trouver meilleur écrin que les espaces épurés, immaculés et monumentaux de la Fondation Louis Vuitton.

Particulièrement aérée, la scénographie offre le recul nécessaire pour apprécier les fantaisies de l’artiste qui en déconcertent plus d’un, à la seule vue des titres des tableaux. Ici, Gironde, là, Seine ou encore Méditerranée. De toute évidence, Ellsworth Kelly n’était pas un figuratif, seules comptaient pour lui la couleur et les formes.

Exposition Ellsworth Kelly. Formes et Couleurs, 1949-2015 – Teaser.

Pour comprendre au mieux sa démarche, la lecture des nombreux cartels particulièrement instructifs s’impose. Ainsi, sa toile Seine (1950), comme beaucoup d’autres, se révèle moins « abstraite ». Ici, l’artiste a voulu retranscrire la surface scintillante du fleuve. Pour ce faire, il a collaboré, comme bien souvent, avec le hasard, par l’intermédiaire d’un tirage au sort, grâce auquel il a rempli son quadrillage de 41 unités de haut par 82 de long.

Apparemment simples, ses œuvres sont réfléchies et ne laissent aucune place à l’improvisation. L’accrochage ne fait l’impasse sur aucune de ses toiles emblématiques, comme Tableau Vert (1952), son premier monochrome réalisé après sa visite à Giverny, ou encore Painting in Three Panels (1956), un exemple clé de son engagement vis-à-vis de l’architecture. Cet aspect de son travail est également magnifiquement illustré par Yellow Curve (1990), une vaste installation de 60 m2 façonnée pour un espace conçu sur mesure. 

Ellsworth Kelly, Yellow Curve, 1990. ©Ellsworth Kelly Foundation – Ron Amstutz;Courtesy Glenstone Museum, Potomac, Maryland – Cette exposition a été organisée avec Glenstone Museum, Potomac, Maryland et en collaboration avec le Ellsworth Kelly Studio

La mise en abyme de Henri Matisse

Cette démarche, soit ce rapport à l’architecture et aux espaces, n’est pas sans rappeler celle d’Henri Matisse, maître à penser d’Ellsworth Kelly. Preuve en est avec L’Atelier rouge, le portrait de son atelier d’Issy-les-Moulineaux réalisé en 1911. Conservé au MoMA, à New York, le tableau revient chez nous, le temps de l’exposition, et en bonne compagnie, celle des toiles et des sculptures qui le composent.

Elles sont toutes rassemblées dans la première salle, tel un enchantement, à l’exception du Grand nu, probablement détruite selon la volonté de l’artiste après sa mort. Même si le peintre est souvent exposé et médiatisé, un peu trop sûrement, l’exposition vaut le coup d’œil et suscite l’intérêt.

Exposition Matisse, L’Atelier rouge – Teaser.

Conçu par Matisse comme le musée imaginaire de la première partie de son œuvre, L’Atelier rouge figure parmi les plus grands chefs-d’œuvre du XXe siècle, et cette reconstitution est inédite, bien que dévoilée au préalable au MoMA, aux États-Unis, et au SMK à Copenhague. Le parcours retrace l’histoire fascinante de ce tableau grâce à des documents et des archives, et lui permet de dialoguer avec Grand Intérieur rouge (1948) qui en est le prolongement. Rares sont les toiles qui ont autant d’histoires à raconter ! Pour les découvrir, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

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Matisse, L’Atelier rouge et Ellsworth Kelly. Formes et couleurs, 1949-2015, à la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 9 septembre 2024.

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