Son nom est Oldman, Gary Oldman. À 66 ans, il rempile pour une quatrième saison de Slow Horses sur Apple TV+ et, plus que jamais, son interprétation de Jackson Lamb fait entrer son personnage d’espion alcoolique et débraillé dans le bureau des légendes.
« La maison des tocards ». C’est ainsi que les producteurs anglo-américains ont décidé de traduire la série Slow Horses dans sa version française. Et, une fois n’est pas coutume, le nom tombe pile-poil. En centrant leur histoire autour du bureau des agents ratés du MI5 – le service de contre-espionnage anglais –, ils réussissent depuis 2022 à révolutionner l’image devenue un peu clichée de l’espion anglais tel qu’on l’imagine depuis les années 1960.
Dans le rôle principal, River Cartwright (Jack Lowden) affecté à « l’étable » (le surnom de cette troisième division du renseignement) après une grosse bourde professionnelle. Au-dessus de lui, Diana Taverner (Kristin Scott Thomas, parfaite, comme toujours) en tant que directrice générale adjointe du MI5.
Et sur le côté, voire au bord du précipice, Jackson Lamb, patron de la maison des tocards, agent en fin de carrière un peu trop porté sur la bouteille, dépotoir humain mal fringué ayant la sale habitude de péter sans retenue. Faut-il vraiment préciser quel rôle joue Gary Oldman dans cette série so british qui revient à la rentrée pour six nouveaux épisodes ?
Ian Fleming vs John le Carré
Celles et ceux ayant grandi avec Goldfinger, Meurs un autre jour ou 007 Spectre le savent : le monde se divise en deux catégories. Ceux qui croient qu’un espion anglais doit irrémédiablement ressembler à James Bond et aimer le Vodka Martini, et ceux qui pensent qu’on peut servir son pays d’une autre manière, façon Austin Powers ou OSS 117.
Derrière ce grand schisme culturel, on peut d’ailleurs opposer deux grands artistes ayant donné au spy movie ses lettres de noblesse. D’un côté, Ian Fleming, romancier anglais à succès connu pour avoir donné vie à James Bond avec 12 romans. De l’autre, John le Carré, un auteur irlandais ayant réellement officié au MI5 et devenu l’un des champions du roman d’espionnage en temps de guerre froide, avec des personnages et intrigues nettement plus retors, psychologiques et tordus.
On n’est donc pas surpris que Gary Oldman ait jeté son dévolu sur l’adaptation ciné de l’un des blockbusters de John le Carré (La Taupe, 2011) plutôt que sur la franchise EON en charge de l’exploitation ciné des James Bond. La légende raconte même que l’acteur aurait refusé d’y participer le rôle d’un méchant du temps où Pierce Brosnan portait encore le smoking, sans aucun regret.
Et tout cela nous amène à son rôle dans Slow Horses, où l’acteur né dans le sud-est de Londres dynamite tous les poncifs associés aux espions. Plus qu’un agent double, Oldman incarne donc Jackson Lamb, un chef de service foireux à la vue trouble qui, sous ses airs de Colombo à l’accent anglais à couper au couteau, réussit à faire la nique aux pros du MI5.
Neuf nominations aux Emmy Awards
Avec ses canassons fatigués à moitié mis au placard, Oldman (qui n’a jamais aussi bien porté son nom) fait encore des miracles dans cette saison 4. Moins hilarante qu’on a pu le lire çà et là, la série à cheval entre drame policier et action movie réussit le tour de passe-passe de sortir les espions de l’impasse viriliste où James Bond les avait plongés.
Rincé, fatigué et avec le cheveu gras, Oldman illumine les six nouveaux épisodes sans même être au centre de l’histoire, et sa nouvelle rivalité avec Hugo Weaving (le fameux agent Smith de Matrix) offre aux spectateurs un combat inédit entre le bien (bedonnant) et le mal.
C’est surement ce contre-emploi absolu qui a permis à la série adaptée des romans de Mick Herron de glaner neuf nominations aux prochains Emmy Awards, dont trois pour celles du meilleur rôle principal (Gary Oldman), meilleur second rôle (Jack Lowden) et meilleur guest (Jonathan Pryce, formidable dans son interprétation d’un papy gâteux).
Coup de chapeau également au scénariste Will Smith, homonyme du Prince de Bel Air, et déjà repéré sur les séries grinçantes The Thick of It et Veep. Ajoutez à cela un générique chanté par Mick Jagger, et vous obtenez le bon cocktail pour effacer toutes les idées associées à l’espion, ainsi que toutes les productions du genre sorties à la hâte (The Night Agent, The Night Manager, Téhéran) depuis le succès du Bureau des légendes.
Gary Oldman, bourreau des légendes
Si sur le petit écran les espions sont désormais partout, il en va de même pour Gary Oldman, autant capable d’incarner le fou furieux cosmique du Cinquième Élément que le Sergent James Gordon dans la trilogie Batman de Nolan.
Dans Slow Horses, l’agent qui n’est pas vraiment au service de Sa Majesté fait mieux qu’imiter le Malotru de Kassovitz ; il s’en éloigne tellement qu’on n’a, de mémoire, pas souvenir d’un tel espion loser qui gagne à la fin.
Et si la série française imaginée par Éric Rochant reste de loin la meilleure chose qui soit arrivée à la culture de l’espionnage depuis 20 ans, la création Apple TV+ n’a pas forcément à rougir. Notée 98% sur Rotten Tomatoes et 8,2/10 chez IMDb, elle offre à Oldman un écrin fait de mauvaises taches de vin rouge et de cigarettes mal écrasées.
Pas mal pour un acteur qui n’avait a priori plus rien à prouver et qu’on devrait encore retrouver dans la peau de Jackson Lamb pour encore au moins deux saisons. Comme quoi, quand on est un espion britannique, demain ne meurt vraiment jamais.
Slow Horses, saison 4 à regarder sur Apple TV+ dès le 4 septembre.