Mon petit renne, Raising Voices, Unbelievable… De multiples shows traitent des agressions sexuelles. Si le but est noble, l’effet sur les spectateurs peut se révéler problématique, en particulier s’il y a des scènes explicitement violentes.
Les séries qui parlent ouvertement des violences sexuelles se multiplient à la télévision et sur les plateformes de streaming. Grâce au mouvement #MeToo, les scènes d’agressions ne sont plus là par hasard, elles ont un but : libérer la parole et aider les victimes. Récemment, ce sont Mon petit renne et Raising Voices qui ont fait sensation sur Netflix.
La première a fait le buzz à l’international grâce au bouche-à-oreille. Elle a même gardé pendant plusieurs semaines la 10ᵉ place des séries les plus vues sur Netflix dans le monde, avant d’être détrônée par la saison 3 de La Chronique des Bridgerton en juillet.
Ni una más, en version espagnole, a de son côté été numéro 1 dans une trentaine de pays, dont la France, et se positionne encore un mois après à la deuxième place des séries non anglaises les plus visionnées. Si l’idée derrière ces fictions est bonne, l’impact sur le public peut malheureusement être néfaste.
Une question se pose alors : les fictions sur les violences sexuelles ont-elles réellement un effet positif ? Nous avons demandé l’avis d’une psychologue pour mieux comprendre la réaction du public en fonction de son vécu, de son âge et de son rapport à la violence.
Un impact à double tranchant pour les victimes
Les séries sur le thème des violences sexuelles sont essentielles dans notre société. Dans le cas des victimes, ces programmes peuvent leur permettre de ne plus se sentir seules et injustement coupables de ce qui leur est arrivé, comme nous l’a expliqué Marie Chaudagne, psychologue spécialisée en gestion des émotions et en TCC (technique cognitivo-comportementale) depuis plus de 20 ans.
« Cela permet d’alléger la culpabilité fréquente quand on est agressé·e sexuellement, de plus facilement libérer la parole et, avec du temps, de se soigner », détaille-t-elle. Cependant, même si la série apporte une fin qui rend justice ou un apaisement au personnage, revivre à l’écran un traumatisme peut avoir un effet dévastateur à cause de l’effet miroir.
Si la fiction raconte avec détails une agression sexuelle ou la montre à l’écran, cela peut « activer ou réactiver des symptômes de stress post-traumatique (SPT) », nous explique la spécialiste. La victime peut avoir des « flashbacks de son vécu traumatisant, des sensations physiologiques, des angoisses ou des crises de panique », sans que cela se produise de manière consciente, « ce qui la replonge dans un mal-être ». L’effet miroir peut avoir beaucoup d’impact sur les personnes qui ne sont pas parvenues à guérir d’un épisode traumatisant, autant négatif que positif.
La psychologue ajoute que le visionnage de ces scènes peut, dans quelques cas, « déclencher le souvenir d’une amnésie refoulée, permettre de sortir d’un déni, et ainsi travailler sur les effets de cette agression ». Certaines victimes d’agressions dans l’enfance, par exemple, peuvent ainsi vivre sans avoir conscience ou mémoire de ces agressions pendant de nombreuses années.
« Si je ne me souviens pas de ce que j’ai vécu, je resterai dans mon malaise, explique-t-elle. Mais si des flashs apparaissent grâce aux fictions, je peux travailler dessus. » Un impact positif qui reste néanmoins minime face aux effets négatifs que ces scènes peuvent avoir sur le public.
Le problème du dosage et du traitement
Dans le cas des personnes qui n’ont jamais vécu d’agressions ou de viols, les programmes sur ce thème des plus complexes permettent de prendre conscience de sujets peu traités, tels que les violences faites aux hommes, comme dans Mon petit renne. Pour Marie Chaudagne, ces fictions peuvent avoir un effet bénéfique sur le public, à condition d’être traitées de la bonne façon.
« Selon la morale évoquée et s’il est possible d’en parler par la suite (dans les écoles, en famille ou dans les médias), cela peut être un excellent outil pédagogique pour sensibiliser le public dans le bon sens, analyse-t-elle. Mais encore faut-il que ce soit encadré et que la parole soit libérée de manière volontaire. »
L’un des plus grands risques est la désensibilisation des spectateurs, à cause de la culture du viol et des scènes de violences sexuelles qui apparaissent encore trop souvent sur nos écrans. Une série qui a pour but d’aider les victimes perd tout son sens et son effet bénéfique si elle en contient trop.
On peut notamment citer 13 Reasons Why, qui est une production très impactante et nécessaire, mais qui peut avoir des effets néfastes sur certaines personnes à cause de ses scènes de violences, de harcèlement et de viols des plus abominables. Le but était vraisemblablement de choquer le public, mais à quel prix ?
Les dangers de la désensibilisation
Une enquête publiée en 2017 montre que regarder ce type de scènes « nous rend moins conscients de la force de notre réaction négative face à la violence sexuelle » et « peut contribuer aux attitudes sexistes dans notre vie de tous les jours ». L’étude rappelle que les violences sexuelles sont un spectre qui englobe les blagues inappropriées ou encore les contacts non désirés, en plus du viol.
Les fictions ayant un rôle important dans la vision du monde du public, ces actes et comportements peuvent devenir la norme et la référence pour certaines personnes. Les violences sexuelles montrées ont alors moins de conséquences, en particulier pour les personnes violentes ou perturbées psychologiquement.
La normalisation des violences sexuelles peut désinhiber certains comportements et servir de modèle, comme nous l’explique la spécialiste en TCC : « Cela peut intensifier certains fantasmes et faciliter le passage à l’acte. » Il existe notamment plusieurs cas de crimes inspirés de films d’horreur. En 2002, un Nantais de 17 ans a donné plusieurs coups de couteau à l’une de ses amies âgée de seulement 15 ans avec le célèbre masque de Scream.
Le jeune homme a expliqué aux autorités que son envie de meurtre lui était venue après le visionnage du film culte de 1996. Un exemple parmi tant d’autres qui prouve que les violences dans les fictions peuvent donner de sombres idées à certains spectateurs s’ils ne sont pas encadrés ou se trouvent dans un état psychologique à risque. Comme le rappelle Marie Chaudagne, « on peut toutefois rester optimiste et penser que ces personnes sont suivies ».
Les effets sur les enfants et adolescents
Comme nous l’avons évoqué plus haut, il existe des contextes aggravants, qui peuvent provoquer les mauvaises réactions. « Il est difficile de maîtriser comment ce type de films ou séries sont reçus, notamment par des enfants et adolescents, s’ils regardent seuls, en état de mal-être, sous cannabis ou autre drogue », ajoute la psychologue.
Les scènes violentes peuvent effrayer les plus sensibles ou même provoquer un phénomène de projection. Ils vont alors s’identifier à l’agresseur et culpabiliser en exagérant leurs actes. « Voir trop de scènes sexuelles ou violentes trop tôt a été reconnu comme négatif », affirme la spécialiste, même si le but de la série est de libérer la parole sur le sujet et d’avoir un impact positif sur la société.
« En particulier chez les enfants, parce qu’il y a une plus grande sensibilité et qu’on se construit encore, ajoute-t-elle. Il peut y avoir un choc, un inconfort ou même une excitation qui va conduire à de la culpabilité. Les enfants expérimentent leur sexualité assez tôt, ce qui est normal. » Ces scènes peuvent influencer leur perception de la sexualité, leurs croyances et leurs valeurs pour plus tard.
« Si je vois des scènes de sexe violentes trop tôt, je peux penser que c’est normal que l’homme et la femme se comportent ainsi », donne comme exemple la psychologue. C’est pourquoi il est impératif d’être vigilant avec ce que les jeunes personnes regardent sur leurs écrans et de parler avec elles de ce qu’elles ont vu, pour être sûr que le message de la série soit compris de la bonne manière.