Critique

La bande dessinée célébrée dans toute sa diversité au Centre George Pompidou

31 mai 2024
Par Benoît Gaboriaud
“Corto Maltese - La jeunesse”.
“Corto Maltese - La jeunesse”. ©1985 Cong S.A. Suisse - Tous droits réservés

Enfin, une institution française célèbre toute la BD ! C’est le Centre Pompidou qui s’y colle, la hissant véritablement au rang d’art majeur. Pour rattraper le temps perdu, l’institution lui cède tous ses espaces, le temps de La BD à tous les étages. Cet événement propose non pas une, mais cinq expositions complémentaires qui explorent cette expression artistique dans toute sa diversité.

D’Hergé à Bilal, en passant par Tezuka et Crumb, le beau monde de la bande dessinée se retrouve au Centre Pompidou pour célébrer comme il se doit cet art majeur, encore boudé par un grand nombre de musées et d’historiens de l’art. Conjuguant littérature et graphisme, le médium porte pourtant bien son surnom de 9e art !

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Dans l’opinion publique, ce n’est pas mieux, elle est encore trop souvent associée à l’univers de l’enfance ou de l’adolescence. Aujourd’hui encore, parce que je suis journaliste spécialisé, des amis me demandent souvent si je n‘ai pas des ouvrages à leur prêter pour leurs enfants. Amusé et exagérant un brin le trait, je réponds que si leurs progénitures aiment les histoires qui traitent de la Shoah, de la dépression, de l’homosexualité, du cancer, de l’économie, de la politique ou des migrants, oui, j’ai ce qu’il faut ! 

Un virage adulte dans les années 1960

La grande exposition de cet événement, baptisé Bande dessinée, 1964-2024, remet parfaitement et méticuleusement les pendules à l’heure. Non, la BD n’est pas réservée aux enfants ! Comme le cinéma, elle est plurielle. On en trouve de tous les styles et pour tous les publics.

Art Spiegelman, Comics as a Medium for Self-Expression. Illustration de couverture de PRINT Magazine, mai-juin 1981. Encre de Chine, blanc opaque et aquarelle, 41,3×29,8 cm. Collection Art Spiegelman. ©1981, Art Spiegelman, used by permission of The Wylie Agency (UK) Limited

En guise d’introduction, la première salle le souligne et montre comment, à partir des années 1960, la BD s’éparpille et emprunte de nouveaux chemins narratifs et graphiques. Elle se réinvente et passe à l’âge adulte grâce à l’émergence de projets libres et transgressifs soutenus par des périodiques tels que Hara-Kiri en France, Garo au Japon et les comics underground aux États-Unis. Chacun participera à l’émergence de ce qu’on appellera « la contre-culture ». 

Une première mondiale

« On a voulu donner à voir et à découvrir des auteurs qui ont une écriture et un style graphique singuliers, et qui ne correspondent pas forcément aux stéréotypes de la BD dite commerciale », précise Anne Lemonnier, co-commissaire de l’exposition. Le Centre Pompidou ose franchir le cap et aller au-delà d’Astérix et Tintin, dont les aventures ont été, elles, maintes fois exposées. Ici, Hergé, Goscinny et Uderzo sont bien présents, mais laissent la place à leurs pairs moins célèbres et aux nouvelles générations, parfaitement mis en lumière.

À ce degré d’exigence et de diversité, cette exposition fait office de première mondiale. L’accrochage thématique rassemble 130 artistes venus essentiellement de France, de Belgique, du Japon et des États-Unis, mais aussi d’autres régions du monde comme l’Iran avec Marjane Satrapi ou l’Autriche avec l’incroyable Ulli Lust. 

Marjane Satrapi, Persepolis, tome 1, 2000. « Le Foulard », planche 1. Encre de Chine, 40,5×29,7 cm. Collection privée, courtesy MEL Publisher.©Marjane Satrapi & l’Association, 2000

Le parcours s’articule autour d’une colonne vertébrale agrémentée de projections et dont chaque branche conduit à une thématique : « Villes », « Géométrie », « Histoire et Mémoire », « Écriture de soi »… Chacune a permis aux commissaires de tisser des liens subtils entre les auteurs et de décloisonner le discours autour du style et du genre. Pour montrer que la BD est aussi un art du fil narratif, ils ont également souhaité présenter le plus souvent possible des séquences, et non juste des planches sans lien les unes aux autres : un choix judicieux et parfaitement récréatif !

Des dialogues percutants

Se limitant aux années 1964-2024, l’exposition pourtant extrêmement riche et variée contient forcément quelques lacunes. Vous pourrez d’ailleurs vous amuser à les compter, mais nous sommes prêts à parier que votre liste sera extrêmement courte ! Pour autant, le Centre Pompidou, et en premier lieu son président Laurent Le Bon, ont souhaité ouvrir davantage le champ de vision, et de ce fait les portes de l’accrochage permanent à six artistes, dont McCay et Eisner.

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Leurs travaux sont présentés dans les traverses, par des monographies. Quinze autres ont été invités à converser avec des chefs-d’œuvre de la collection. Certains dialogues apparaissent comme une évidence, notamment ceux entre Schad et Giandelli ou Rothko et Meurisse, les bédéistes ayant cité le peintre dans une de leurs œuvres, d’autres plus subtils, à l’instar de celui entre Sommer et Picabia, articulé autour de l’ironie. Certains ont même été instaurés « de toute pièce ». En effet, Baudoin a créé ses planches sur Artaud spécialement pour cet accrochage. 

Philippe Dupuy, Mon papa dessine des femmes nues, 2020. Stylo bille, aquarelle et collages sur papier, 21×29,7 cm. Collection Philippe Dupuy – Dupuy.©Dupuis, 2024

Enfin, pour élargir encore davantage le spectre, le Centre Pompidou propose un grand écart audacieux entre Tenir-tête, une exposition-atelier de Marion Fayolle pensée pour le jeune public, et Revue Lagon, le chemin de terre, une invitation à découvrir les formes du 9e art les plus contemporaines, aventureuses et expérimentales. 

Corto Maltese en invité de marque

Après Posy Simmonds en 2024, Chris Ware en 2022 et Catherine Meurisse en 2020, la Bibliothèque publique d’information (BPI) profite de cette occasion pour mettre en lumière un des héros les plus mystérieux et fascinants de la bande dessinée à travers l’exposition Corto Maltese, une vie romanesque. Plus conventionnelle, mais révélant un Hugo Pratt en grand aquarelliste, l’accrochage montre comment la littérature a aidé l’auteur à construire son personnage et comment à son tour, il rend hommage aux grands auteurs dans ses récits. 

La ballade de la mer salée.©1976 Cong S.A. Suisse - Tous droits réservés.

La visite de l’ensemble des expositions nécessite plusieurs heures, mais que vous soyez un érudit ou un novice en la matière, fort est à parier que vous en repartirez avec quelques belles idées de lecture.

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