Décryptage

Michael Mann ou l’art du mouvement perpétuel

09 mars 2024
Par Robin Negre
Daniel Day-Lewis dans “Le Dernier des Mohicans”.
Daniel Day-Lewis dans “Le Dernier des Mohicans”. ©Morgan Creek Productions

À l’occasion de la sortie française de Ferrari sur Prime Video, ce vendredi 8 mars, retour sur la carrière détonante de Michael Mann, connu pour son approche singulière du cinéma américain.

Après des mois de suspens, Ferrari, le nouveau film de Michael Mann sort enfin en France sur Prime Video, le 8 mars. Une sortie presque anecdotique, discrète, qui ferait passer le cinéaste pour un réalisateur de second plan. Pourtant, la carrière de Michael Mann pourrait se résumer à ses retours incongrus et imprévisibles, laissant exploser le génie de l’artiste pour un film, avant qu’il ne disparaisse à nouveau pendant plusieurs années.

Michael Mann, c’est l’art du mouvement, de la fuite en avant, de l’évolution constante d’un art maîtrisé. Sa façon même de faire du cinéma va dans ce sens. Il n’est donc pas étonnant de voir le cinéaste s’attaquer aujourd’hui à la vie du constructeur automobile, Enzo Ferrari.

La bande-annonce de Ferrari.

Années 1970. Un jeune réalisateur commence à faire parler de lui dans le monde de la télévision. Son nom ? Michael Mann, né en 1943 à Chicago, et déjà bien au fait des techniques cinématographiques. Après s’être fait la main dans la publicité et le documentaire, il écrit pour la télévision – notamment sur la série Starsky et Hutch – et commence la production de son premier long-métrage, Le Solitaire, qui sort en 1981.

En suivant le destin d’un malfrat de Chicago, Michael Mann pose les bases de son cinéma : les marginaux et les bandits, la représentation violente d’un monde également en mouvement et en mutation. Sélectionné en compétition au Festival de Cannes, Le Solitaire développe l’imagerie de Mann et lance un début de carrière prometteur… rapidement contrebalancé par l’échec de La Forteresse noire en 1983, film fantastique et mystique sur des nazis dans un village en Roumanie.

Michael Mann est un cinéaste de polar, mais il développe une approche de l’onirisme et de l’étrange, ainsi que la volonté de s’intéresser à d’autres genres cinématographiques et à d’autres archétypes.

Forger sa légende

Un succès et un échec plus tard, Michael Mann a les deux facettes de son cinéma en main pour construire sa filmographie avec minutie. De 1986 à 2024, le réalisateur s’offre une place unique au sein du système hollywoodien en faisant le pont entre cinéma indépendant et cinéma d’action, tout en se créant une sorte de passe-droit chez les différents profils de cinéphiles. En mesure de toucher tous les publics, tous les genres et toutes les critiques, Michael Mann asseoit sa légende en trois films seulement.

Tout d’abord, il réalise la première adaptation au cinéma du personnage d’Hannibal Lecter, dans Le Sixième Sens (1986) avec l’incroyable Brian Cox dans le rôle tenu plus tard par Anthony Hopkins dans Le Silence des Agneaux (1993). Un thriller glaçant porté par ses personnages et son rythme, dévoilant à nouveau la fascination de Mann pour les personnages hors-normes.

Brian Cox est Hannibal Lecter.©De Laurentiis Entertainment Group

Vient ensuite un premier chef-d’œuvre en 1992, Le Dernier des Mohicans, pépite visuelle ne s’embarrassant d’aucune convention dans la mise en scène, jusqu’à un climax mémorable le long d’une falaise, alors que la musique de Trevor Jones et Randy Edelman entre dans la légende.

Avec Le Dernier des Mohicans – et son impérial Daniel Day-Lewis –, Michael Mann atteint ce que peu de cinéastes parviennent à faire : créer un monument du 7e art grâce à l’impact sensoriel du film. Le Dernier des Mohicans peut se prêter à l’analyse, à la dissection de ses thématiques et de ses personnages ou de sa réalisation nerveuse, mais c’est grâce à son impact émotionnel et au ressenti purement irrationnel qu’il procure qu’il devient immense. À partir de là, Michael Mann est Michael Mann et n’a plus d’autres justifications à donner.

Il ne manque pas d’en livrer une dernière avec Heat (1995), film policier par excellence, polar mythique d’introspection et de tension qui redéfinit le genre par la maestria de l’écriture, de la réalisation et de l’interprétation – la rencontre de Robert De Niro et Al Pacino devient à juste titre culte.

Heat s’illustre dans la tension et la solitude des personnages, et fait un lien évident avec Le Solitaire, le premier long-métrage remarqué de Michael Mann. Le natif de Chicago réalise le remake de son propre téléfilm (L.A. Takedown de 1989) et s’attaque à la ville de Los Angeles en suivant le parcours d’un braqueur d’exception poursuivi par un lieutenant de police.

La scène la plus culte de toute la filmographie de Michael Mann.©Warner Bros.

En trois films, Michael Mann pousse ses thématiques et développe son cinéma de mouvement. Les personnages sont toujours en fuite, constamment recherchés ou traqués, et ne trouvent le salut que dans le fait d’avancer sans se retourner. Une obsession annoncée textuellement lors de l’échange emblématique entre Robert De Niro et Al Pacino dans Heat.

Le cinéaste s’illustre aussi grâce à sa réalisation de plus en plus minutieuse et importante, autant à l’aise dans l’intime que dans le spectaculaire, et capable de rendre une scène d’apparence anodine mémorable grâce à son utilisation innovante de la caméra.

La disparition et les retours

L’œuvre de Michael Mann ne se résume pas seulement à ces films-là. Durant les années 2000 et 2010, il revient sporadiquement avec de nouvelles propositions franches, creusant un peu plus ses thématiques ou s’essayant à des subtilités de genre.

L’expérimentation avec Révélations (1999), le biopic avec Ali (2001), le thriller avec l’excellent Collatéral (2004), le film de gangster, encore, avec Miami Vice : deux flics à Miami (2006)… La carrière de l’artiste continue d’être surprenante, avec ses hauts, mais aussi ses bas.

La bande-annonce VO de Collatéral.

En 2009 et 2015, Michael Mann réalise Public Enemies et Hacker sans trouver son public, malgré des qualités à nouveau indéniables dans sa façon de tenir et de manier la caméra. Le réalisateur adopte une nouvelle posture, montrant des personnages qui ne fuient plus seulement vers leur destin, mais en essayant de s’intégrer au monde.

Comme s’il questionnait également sa place dans cette nouvelle façon de réaliser et produire des films. Michael Mann prend son temps et ne répond jamais aux sirènes de la sur-productivité. Alors, quand, dans les années 2020, il retourne à son genre de prédilection, le public sait qu’il le fait selon ses propres convictions et son besoin éternel de filmer des personnages brisés dans un monde violent.

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Après des années de spéculations, il écrit le livre Heat 2, tout en planifiant son adaptation cinématographique. Il fait également un passage à la télévision avec la série Tokyo Vice, et réalise finalement un autre biopic, Ferrari, nouvelle incursion dans la thématique de la vitesse et du mouvement.

Depuis les années 1980 et jusqu’aux années 2020, Michael Mann a su exploiter le meilleur du cinéma américain en gardant ses particularités propres et ses obsessions. Le résultat est vertueusement inégal, le cinéaste ne se conformant jamais dans une routine ou une habitude, même en traitant deux fois d’un sujet similaire.

À 81 ans, Michael Mann dispose encore et toujours de ce passe-droit qui intrigue le public… Même si son nouveau film sort en catimini, même si l’aura du cinéaste n’est plus la même, la seule mention de son nom suffit à espérer : Ferrari sera-t-il un grand Michael Mann ?

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