Les super-héros de DC et Image Comics font équipe dans un nouveau crossover publié presque 30 ans après leur première rencontre.
Depuis la formation des Avengers dans le MCU, le grand public s’est familiarisé avec le terme de crossover, et ces événements réunissant plusieurs super-héros lors d’une même aventure sont devenus assez courants. On en oublie presque le caractère phénoménal qu’ils revêtaient à leurs débuts dans les comics. S’ils sont monnaie courante de nos jours, il en existe un type qui reste remarquable, de par sa rareté : la rencontre entre des personnages cultes issus de maisons d’édition différentes.
Alors, forcément, lorsqu’Image Comics et DC ont annoncé la publication d’un numéro spécial associant Batman à Spawn, les fans d’encapés se sont affolé. Le Chevalier Noir et le rejeton du diable œuvrant de concert pour chasser le mal des ruelles obscures de Gotham et New York ? De quoi raviver l’excitation qui devrait toujours accompagner la mention du terme crossover.
Retrouvailles au sommet
Bien sûr, pour les lecteurs français, l’excitation doit souvent être contenue le temps que leurs héros favoris traversent l’Atlantique. Mais Batman/Spawn arrive enfin dans nos librairies ce 10 novembre, mettant fin à une attente de presque 30 ans. Car ce n’est pas la première fois que Bruce Wayne et Al Simmons unissent leurs forces contre le crime.
Une telle alliance avait déjà vu le jour en 1994, dans deux histoires concoctées par l’équipe créative de DC, d’un côté, et, de l’autre, par Todd McFarlane (le père de Spawn et ancien dessinateur de Batman) au crayon et Frank Miller (connu notamment pour son emblématique The Dark Knights Returns) au scénario.
Ces publications avaient fait sensation, d’une part parce que les deux derniers artistes cités occupaient le devant de la scène comic, mais également car cette association marquait la consécration d’un tout jeune personnage apparu avec la naissance d’une nouvelle maison d’édition, deux ans auparavant. Pour DC, accepter qu’un petit jeunot comme Spwan fasse équipe avec son célèbre Batman, presque sexagénaire, mais toujours porté par la Batmania post-Burton, c’était admettre que la nouvelle icône d’Image Comics pèserait dans le milieu.
Un pari gagnant, puisqu’aujourd’hui la série créée par Todd McFarlane détient le record de longévité pour un titre indépendant, avec plus de 300 numéros. Voilà de quoi rendre encore plus excitante cette nouvelle rencontre entre deux héros désormais reconnus comme des monstres sacrés de la bande dessinée américaine.
Une relation qui a de l’avenir ?
Si leurs aventures ont connu le succès dans les années 1990, ce n’est pas grâce à la qualité des scénarios de l’époque. Il faut dire qu’une première rencontre entre héros est très codifiée. D’abord, on commence par se taper dessus au lieu de s’en prendre au véritable vilain, à l’identité bien plus évidente pour les lecteurs que pour les super-détectives. Puis, on finit par se rendre compte qu’on est dans le même camp et on se décide à aller cogner ensemble sur le grand méchant.
Ajoutez à cela l’esprit très testostéroné des comics de cette décennie-là et vous avez un aperçu de ce que valent les histoires de 1994. Mais ce n’est pas bien grave. Les crossovers sont excitants, car ils réalisent justement les fantasmes des fans qui se demandent qui de tel ou tel encapé est le plus fort (petit spoiler : les affrontements se terminent quasi toujours sur une sorte statu quo entre héros devenus bons copains).
Mais si tout cela convient bien à une première rencontre, on s’attendait à autre chose pour ce second rendez-vous. D’autant que les héros, leurs éditeurs et leur lectorat sont tous devenus suffisamment mûrs pour se dispenser du traditionnel échange de bourre-pifs. Mais Todd McFarlane, qui signe le scénario de ce numéro spécial, semble très attaché aux vieilles coutumes.
Le Chevalier Noir et le rejeton diabolique commencent donc par une petite séance de pugilat avant de faire plus ample connaissance. Cela n’a rien d’incohérent avec les épisodes de 1994 qui ne tenaient compte d’aucune continuité et ne servent pas de prologue à cette aventure. Bruce et Al peuvent donc se comporter l’un avec l’autre comme s’ils étaient face à un inconnu.
Vous me direz, le commun des mortels se bat rarement avec le premier inconnu qui passe pour faire connaissance. En même temps, le commun des mortels n’attire pas l’attention de la Cour des Hiboux, qui a tiré les ficelles dans l’ombre pour monter Batman et Spawn l’un contre l’autre. Voilà le véritable enjeu de ces retrouvailles : un complot interdimensionnel destiné à nuire à nos héros en leur faisant miroiter qu’ils pourront sauver l’âme de leur mère et de leur femme décédées.
Cette intrigue décousue comporte de nombreuses zones d’ombres, mais cela convient aux personnages habitués aux mystères occultes et insondables. Surtout, le récit porte en lui la promesse d’éclaircissements futurs, dans un potentiel deuxième numéro, dévoilant cette fois l’alliance du Joker et du Violator, les némésis de nos justiciers, arborant tous deux le faciès de clowns pas si marrants.
Ce serait l’occasion pour Spawn et sa clique de mettre un peu plus le pied dans la porte dimensionnelle entrouverte sur l’univers DC Comics. Les frontières entre la Distinguée Concurrence et Image Comics ont pu être assez poreuses par le passé et Todd McFarlane, devenu depuis un magnat de la figurine de collection, commercialise justement tout une gamme de jouets représentant les personnages DC, notamment Batman. Ce numéro spécial Batman/Spawn version 2023 pourrait donc être le tout premier opus d’un partenariat à plus long terme.
D’une ère à l’autre
Pour les fans des deux justiciers nocturnes, cet album est donc un incontournable. Soit parce qu’il augure un avenir radieux (ou plutôt sombre et torturé, vu leurs caractères) pour ce duo, soit parce qu’il constitue un événement qui ne sera peut-être pas réitéré avant 30 ans.
Et puis, les amoureux de Batman et Spawn auront sans doute une affection particulière pour Greg Capullo, le dessinateur de ce comic qui a bâti sa carrière sur ces deux personnages. Ce crossover, accompagné de sa version originale en noir et blanc et des crayonnés dans cette édition d’Urban Comics, pourrait donc passer pour un artbook mettant magnifiquement en valeur les talents d’un artiste qui a mûri en même temps que ses deux muses.
Mais pour tous les curieux qui, sans être passionnés, se demandent justement qui de Batman ou Spawn est le plus fort, ce numéro spécial présente peu d’intérêt. On leur conseillerait plutôt de se tourner vers la mouture de 1994, opportunément republiée par Urban Comics ce 10 novembre.
Illustration parfaite des premiers rendez-vous entre super-héros, cette version séduira également les nostalgiques des années 1990, dont les récits reposaient sur deux ingrédients majeurs : des muscles hypertrophiés et une violence exacerbée. De quoi faire sourire ceux qui aborderont l’œuvre avec un peu de second degré. Et deux héros moroses comme Batman et Spawn qui arrivent à faire sourire leurs lecteurs, c’est un véritable événement.